le moulin à prières

Je devrais être de retour de la campagne où habite un oncle de mon épouse, sous la conduite de son cousin d’Amérique. Mais celui-ci avait oublié que mercredi c’était la fête de la Lune

Fête de la lune, Google

(Google Hong-Kong ne l’avait pas oublié, remerciements pour l’image), et qu’il était attendu à diverses festivités, dont un déjeuner de famille à Tianjin. Trois jours de congés pour tous ceux qui travaillent dans un métier où ça a un sens (mon épouse y a droit, moins une demi-journée de permanence car son administration ne ferme jamais, et mes beaux-frères aussi). Nous sommes restés à table tout l’après midi à discuter. Mon beau-père a mis sur la table sa collection de pièces d’un euro toutes différentes et m’a demandé combien il y avait de patries (guojia) en Europe, et comment un truc pareil peut fonctionner, alors qu’il n’y a qu’une seule Chine. J’ai essayé de parler de la Chine des empereurs Qing qui avait quatre langues officielles (le mandchou, le chinois, le mongol et le tibétain). Notre cousin d’Amérique a sorti sa carte de résident permanent pour montrer que dans un pays moderne tout ça n’est pas si important.

green card rectogreen card verso

Voici un exemplaire de la Green Card dont pas mal de gens rêvent.

Nous irons à la campagne samedi et dimanche, demain donc.

En attendant, retournons au Tibet pour faire (en une matinée) le tour du monastère de Drepung, tout près de Lhassa sur la pente de la montagne exposée au sud. C’est là qu’ont vécu les qautre premiers Dalaï-lamas, avant que le cinquième devienne le souverain temporel du Tibet et fasse reconstruire le palais de Potala (ce n’est pas vieux: ça s’est passé au temps de Louis XIV).

Monastère

Le monastère vu du sud, sur le ticket d’entrée. Son nom signifie « tas de riz », accumulation de bâtiments blancs.

Branches de cyprès qui servent d'encens

A l’entrée, on peut se procurer les branchettes de cyprès (c’est ça, l’encens de Lhassa; on le trouve aussi en bâtonnets) qu’on peut brûler tout de suite pour s’attirer des mérites, ou emporter chez soi; on ne peut pas les brûler à l’intérieur du monastère. Les pêlerins feront le tour du monastère par l’extérieur, en commençant par la gauche (dans le sens des aiguilles d’une montre). Nous ferons le parcours des touristes qui permet d’entrer à l’intérieur, mais aux heures où les moines se consacrent à l’étude, et nous ne les verrons pas

Montée du tour

Nous montons le long du monastère. En regardant vers l’extérieur, on voit la pente de la montagne; nous sommes déja à 3700 m. Au premier plan, une mendiante, occasion de gagner des mérites en lui donnant un dixième de yuan.

Fondateurs peints sur le rocher

Les fondateurs du monastère avec leur mitre jaune sur la tête, peints sur le rocher, et quelques petits drapeaux.

Moines visiteurs

Deux moines pêlerins, qui font eux aussi le tour, avant, peut-être, d’être les hôtes de leurs confrères.

Moulins à prières

Voici, le long de la montée, un des ensembles de moulins à prières sous leur auvent. Au-dessus, la façade d’un des palais du monastère, en travaux comme une bonne partie des bâtiments.

Moulins à prière vue de près

Les mêmes moulins vus de près. En rangs serrés devant eux, de petits Bouddhas de céramique que les pêlerins achètent à l’entrée et déposent en passant.

Moine et moulins

En passant, un moine qui va à ses affaires (il serre contre son coeur une plante en pot) en fait tourner quelques uns. Lisons le Révérend père Huc , qui, en 1845, passa avec son confrère Joseph Gabet plusieurs mois au monastère Kumbun dans le nord, à étudier avant de se rendre à Lhassa:

« Il existe plusieurs manières de faire le pèlerinage autour des lamaseries. Il en est qui ne se prosternent pas du tout. Ils s’en vont, le dos chargé d’énormes ballots de livres, qui leur ont été imposés par quelque grand Lama. Quelquefois, on rencontre des vieillards, des femmes ou des enfants, qui peuvent à peine se mouvoir sous leurs charges. Quand ils ont achevé leur tournée, ils sont censés avoir récité toutes les prières dont ils ont été les portefaix. Il en est d’autres qui se contentent de faire une promenade, en déroulant entre leurs doigts les grains de leur long chapelet, ou bien en imprimant un mouvement de rotation à un petit moulinet à prières, fixé dans leur main droite, et qui tourne sans cesse, avec une incroyable rapidité. On nomme ce moulinet Tchu-Kor, c’est-à-dire, prière tournante. […]

« […]  Dans les grandes lamaseries, on rencontre, de distance en distance, de grands mannequins en forme de tonneau, et mobiles autour d’un axe. La matière de ces mannequins est un carton très-épais, fabriqué avec d’innombrables feuilles de papier collées les unes aux autres, et sur lesquelles sont écrites, en caractères thibétains, des prières choisies et le plus en vogue dans la contrée. Ceux qui n’ont ni le goût, ni le zèle, ni la force de placer sur leur dos une énorme charge de bouquins, de se prosterner à chaque pas dans la boue ou dans la poussière, de courir autour de la lamaserie pendant les froidures de l’hiver ou les chaleurs de l’été, tous ceux-là ont recours au moyen simple et expéditif du tonneau à prières. Ils n’ont qu’à le mettre une fois en mouvement ; il tourne ensuite, de lui-même, avec facilité et pendant longtemps. Les dévots peuvent aller boire, manger ou dormir, pendant que la mécanique a l’extrême complaisance de prier pour eux.

« Un jour, en passant devant un des ces tonneaux bouddhiques, nous aperçûmes deux Lamas qui se querellaient avec violence, et étaient sur le point d’en venir aux mains, le tout à cause de leur ferveur et de leur zèle pour les prières. L’un d’eux, après avoir fait rouler la machine priante, s’en allait modestement dans sa cellule. Ayant tourné la tête, sans doute pour jouir du spectacle de tant de belles prières qu’il venait de mettre en mouvement, il remarqua un de ses confrères qui arrêtait sans scrupule sa dévotion, et faisait rouler le tonneau pour son propre compte. Indigné de cette pieuse tricherie, il revint promptement sur ses pas, et mit au repos les prières de son concurrent. Longtemps, de part et d’autre, ils arrêtèrent et firent rouler le tonneau, sans proférer une seule parole. Mais leur patience étant mise à bout, ils commencèrent par s’injurier ; des injures ils en vinrent aux menaces ; et ils auraient fini, sans doute, par se battre sérieusement, si un vieux Lama, attiré par les cris, ne fût venu leur porter des paroles de paix, et mettre lui-même en mouvement la mécanique à prières, pour le bénéfice des deux parties.

Graissage des moulins

Ces dames sont en train de huiler les axes des moulins, ce qui donne une participation aux prières tournantes. On peut voir qu’elles ne sont pas les seules. Je suppose que le Bouddha Sakyamuni aurait été fort perplexe si on lui avait dit à quoi mênerait son enseignement. Lui qui démontrait que tout est illusion, y compris les choses matérielles que nous pouvons toucher (et les physiciens ont découvert qu’il avait raison; tout cela est fait de particules tourbillonnantes, que seule la statistique maintient dans un semblant de stabilité, parce qu’il est très peu probable que tout va se dissoudre), voit donc ses fidèles essayer d’acquérir des bons points pour une vie future. Jésus Christ aussi avait enseigné que faire une bonne action dans l’intention que cela profite ne sert à rien. Mais comment faire fonctionner une Eglise qui ne proposerait pas des moyens faciles à comprendre de capitaliser les mérites (il parait que ça s’appelle « karma », mais je laisse la chose aux experts).

Entrée du palais des dalai-lamas

Nous sommes arrivés devant l’entrée du  palais de Gaden Phodhrang, où habitait le Dalaï-lama avant que le Cinquième fasse reconstruire le palais de Potala. Ces femmes ne sont pas des pêlerines, mais des ouvrières du chantier de restauration. Etonnant, il n’y a que des femmes.

Cour du palais

Nous sommes dans la grande cour au sud, entourée de galeries.

TravailleuseDispositif pour porter

Dehors les travailleuses continuent de s’activer. A droite, un dispositif pour porter commodément les pierres de taille et les sacs de ciment.

Plafond à l'intérieur

A l’intérieur, coup d’oeil sur un plafond. Les pièces sont petites, rien à voir avec les sublimes halles de la Cité Interdite, et pas très éclairées. On est dans un pays froid. Pas d’autres images, faute de lumière, et aussi parce qu’il faut payer pour photographier dans chaque salle; un petit moine encaisse les redevances et vend les objets de piété propres à chaque lieu. On visite la chambre où les Dalaï-lama écoutaient l’enseignement des docteurs de la loi (on est Bouddha vivant à la naissance, ensuite on doit apprendre).

Cuisinière solaire

Au hasard des cours, Patrick tombe sur une cuisinière solaire, un équipement dont il est fervent, ainsi qu’il l’explique à notre guide; ici le soleil brille suffisamment pour qu’on puisse compter dessus.

Entrée d'un appartement

Une autre cuisinière, devant l’entrée d’un appartement. Ce monastère n’a rien à voir avec Solesmes ou Fontevrault. Ici les moines vivent en petits ménages, un maître et ses disciples sous un toit commun.

Vue des bâtiments

En sortant vers le haut, on comprend mieux comment le monastère est organisé. A gauche et en bas, des immeubles d’habitation; en haut et au fond, les frontons des bâtiments communautaires, lieux d’enseignement, bibliothèques et salles de réunions; on n’est pas loin d’un campus universitaire.

Maison d'habitation

Une rue intérieure, et quelques maisons; il n’y a personne ou presque, c’est le milieu de la matinée, heure de l’étude. Au mur à droite, un objet familier: une caméra de vidéosurveillance.

Autre bâtiment

Un autre immeuble d’habitation, avec une échappée sur la ville de Lhassa au sud du monastère.

Façade du grand temple

La façade du grand temple, où tous les moines se réunissent le matin pour la prière en commun suivie de la consommation du thé au beurre qui a été préparé dans la cuisine commune à gauche; le tas de bois est destiné à chauffer les grandes chaudières où il est brassé. Quand le monastère abritait des milliers de moines, on utilisait l’immense marmite centenaire qu’on peut admirer dans la cuisine, et on servait le thé à l’aide des centaines de pots en cuivre rangés sur les étagères; aujourd’hui qu’ils sont quelques 700, c’est une marmite plus petite qui sert, récemment renouvelée en acier inoxydable.

Grande salle du temple

Nous sommes dans la grande nef du temple, le seul espace que j’aie vu qui ressemble à une abbatiale. Chaque matin, les moines mettent leur mitre jaune, semblable à celle du Grand Précieux de Tintin au Tibet, et la cape rouge nécessaire pour résister au froid pendant la longue cérémonie. Ensuite, après le thé en commun, ils vont suivre leurs cours ou travailler chez eux avec leur maître, en s’interrompant pour les cérémonies religieuses particulières, par exemple renouveler l’eau pure des rangées de bassines de cuivre devant l’une ou l’autre statue d’un Bouddha  vivant, qui ressemble à un saint évêque dans une chapelle latérale d’église, à s’y tromper.  Les repas sont pris en privé ou en petite communauté, les prières de la journée et du soir de même, sauf aux grandes fêtes. Vraiment très éloigné de la règle de saint Benoît, qui met au même rang le chant des offices et le repas en commun, obligatoirement en commun. C’est notre guide Mr Tenzin qui nous explique cela (sauf la comparaison avec les Bénédictins).

Inscription maoïste

Au hasard d’un passage entre deux cours, Mr Tenzin nous fait remarquer une inscription en caractères simplifiés qui n’a pas été effacée. Elle date du temps où les gardes rouges de la Révolution Culturelle ont envahi le monastère, chassé les moines, brûlé les bibliothèques et détruit les statues.  En haut à gaucheweidadaoweida dao, immense guide. En bas à droitewan suiwan sui, dix-mille ans, qu’il dure éternellement. Les moines sont revenus. Les rayonnages des chambres du palais de Gaden Phodhrang que les touristes peuvent voir sont bourrés de nouveaux volumes de sutras en tibétain, en sanscrit et en d’autres langues. Les moines se sont remis à étudier et à prier, et les pêlerins à tourner autour du monastère.

Panorama de Lhassa

Nous sommes en haut du monastère, devant la façade du grand temple. Au premier plan, le chantier de la reconstruction de l’esplanade. Au loin, la partie moderne de la ville de Lhassa. On peut distinguer la gare au pied de la montagne, au-dessus de la baraque bleue. La révolution a essayé de détruire la société tibétaine, elle a au moins supprimé la base économique des monastères, qui était assise sur leurs terres et leurs paysans comme dans l’Europe d’Ancien Régime. Quand on sort de la visite, on a l’impression que le plus important n’a pas changé.

4 commentaires sur “le moulin à prières

  1. Sacre Bolivar! Un dixième de yuan? j’espère que cela ne vous a pas trop fait mal à la poche! ;-D
    En verite, c’est moins le montant qui m’amuse (quoi que… en tout cas cela ne me surprend pas de vous) que ce besoin de parler de vos comptes d’apothicaire.

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  2. « …lui qui démontrait que tout est illusion », pas illusion mais vide. Le vide en Asie est, à la différence d’en occident où on le considère comme le néant, plutôt « plein », actif, dynamique. Voir le Sûtra du Coeur : http://www.zen-occidental.net/sutras/shingyo.html
    Ce qui rejoint ce que vous dîtes sur les « particules tourbillonnantes » mais pas seulement car cette manière de voir le monde induit une autre manière d’y agir. Bref….
    Merci pour ce reportage sur le monastère de Deprung. C’est vrai que les tibétains ont le don de remplir le vide des lieux saints, et même le panthéon bouddhiste, d’un amoncellement de représentations symboliques. Ce sont des baroques du symbole ! Cela contraste avec la simplicité de leur vie et de leur habitat.
    C’est certain que Bouddha, comme Jésus, doivent être effarés….
    Pour info : ce type de four solaire, génial et très « design », est maintenant en vente en France dans les jardineries.

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