Fête nationale de la consommation

Je devrais faire un billet sur Liu Xiaobo, qui est en prison parce qu’il a diffusé un document qui énonce des choses sur la politique et la société qui sont des banalités en Occident (lire la Charte 08 ), tellement banales que quand on n’aime pas notre président actuel, on dit « On s’en débarrassera en 2012 », comme si la date des élections était aussi sûre que celle des équinoxes. Ca m’agace un peu que tant de gens applaudissent son Prix Nobel de la paix parce que ça fait la leçon à la Chine. Les étudiants chinois en France connaissent ça, quand des gens de gauche leur reprochent de ne pas se révolter contre leur gouvernement qui … Quand j’étais au lycée, et même après, il y avait des penseurs qui disaient que Mao traçait l’avenir de l’humanité. Ils ne sont pas tous morts et ils n’aimeraient pas que leurs écrits de ce temps là soient réédités, et ils félicitent ceux qui ont « osé » braver l’ogre du Parti chinois.

Liu Xiaobo est un lettré confucéen dans la tradition. Son devoir est de se mettre au service du souverain pour contribuer au bien de l’Etat et du peuple. Dans son devoir, il y a l’obligation de réprimander celui qui est chargé de la souveraineté (le fils du Ciel autrefois, les dirigeants du Parti aujourd’hui), quand il dirige l’Etat dans la mauvaise direction. Aussi bien, ses arguments en faveur de la démocratie sont pratiques et modestes. Il s’agit de s’aligner sur la banalité des pays modernes. Wei Jingsheng (la cinquième modernisation, 1978) expliquait au temps de Deng Xiaoping, juste après la fin du maoïsme, que la démocratie est plus efficace que la guerre civile pour choisir les dirigeants et l’assassinat pour les remplacer, et que les représentants du peuple prennent moins de décisions idiotes qu’un dictateur. Comme on n’est plus au temps de Mao, il développe l’argument de la réussite des principes démocratiques ailleurs, et des désordres que le manque de principes cause à l’intérieur. Mais les dirigeants actuels sont debout sur un tout petit tabouret très haut, et ils ne veulent pas qu’on le fasse trembler.

Mais ce n’est pas de ça que je parle aujourd’hui. Nous (mon épouse et moi) venons de rentrer de notre voyage de la Fête Nationale (1e octobre, 61e anniversaire de la proclamation de la République populaire par Mao). Pendant  une semaine, la plupart des gens ne travaillent pas, on voyage et on achète des choses.

Longues-vues

Là nous sommes à Dalian, la ville au bord de la mer, près de la gare. Tout autour, ce sont les centres commerciaux; au milieu, le marché dans la rue.

Jeune couple et pantoufles

Ce jeune couple (quand on veut montrer à tout le monde qu’on a décidé de vivre ensemble, on  s’habille pareil) est en train de chercher son bonheur sur une montagne de pantoufles. C’est elle qui choisit. Lui a les deux mains prises; regardez en bas à droite, c’est lui qui porte les achats déja faits et même le sac à main.

Centre commercial, le haut

Centre commercial, le bas

Nous sommes dans un centre commercial. Mon épouse a décidé d’acheter des vêtements; la mode est plus belle et plus variée à Dalian qu’à Tianjin. Moi, choisir et acheter des habits m’angoisse. Je suis comme Alexandre Zinoviev (celui qui a écrit « Homo sovieticus », et a été chassé du paradis terrestre soviétique en 1978), qui raconte: « Quand je vivais en Russie, si j’avais besoin d’un pantalon, j’entrais dans un magasin où il y a des pantalons, j’en trouvais un à ma taille et je partais avec. Maintenant que je suis en Occident, je rentre dans un magasin; il y a cent pantalons à ma taille; j’ai peur de me tromper; je finis par me décider; je paie et je sors dans la rue; là je vois dans le magasin à côté le même pantalon, moins cher, et ma journée est ruinée. »

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Mais quand ce n’est pas moi qui achète, c’est très amusant. Je dois répondre à la question « Que vaut cette marque française ? ».  Ci-dessus la réponse est facile.

Pierre Cardin

Ici c’est une marque locale connue qui fabrique sur place. Au fait, le « vrai » Pierre Cardin est-il toujours de ce monde ?

Longchamp

Mais là ? Dans le monde réel il y a bien une boutique Longchamp au 404 rue Saint-Honoré (maison fondée en 1948). Je me demande ce que vient faire Segré (Maine et Loire) dans le décor.

Chemise homme

(chute complète des prix, Vêtements du Vieux Français SA, )

Il y a quand même quelque chose de flatteur pour un Occidental qui se promène dans les magasins en Chine: tout ce qui est chic ou luxueux a un nom européen, de préférence français, et c’est un corps occidental qui le porte.

Triumph

Les rondeurs chinoises sont généralement plus modestes et ogivales.

Lunettes Bulgari

Les nez d’ici sont moins pointus (lunettes Bulgari; ça doit être une image pour le monde entier).

Soucils bleu nuit

Mon épouse rêve d’avoir des sourcils aussi longs que ceux de ses belles-soeurs.

Fille aux yeux bleus

Il y a aussi celles qui voudraient avoir de grands yeux (je ne me rappelle plus quelle marque la fille illustre; si quelqu’un sait …).

Fille aux pomettes hautes

Celle-ci a des pommettes hautes mais un visage allongé.

Cotton republic

Là on atteint l’exotisme complet.

Filles Chapelle sports

La Chapelle Sport, autre image exotique, mais pas tout à fait; les filles sont probablement chinoises.

Bellville

Transcription phonétique bei la wei la. Le mot « Belleville » est connu ici. J’ai entendu Donatien Schramm raconter qu’un chauffeur de taxi l’avait un jour appelé à son secours. Il avait chargé à Roissy trois Chinois qui lui avaient donné un papier où était écrit « Métro Belleville ». Arrivés à destination, ils voulaient le payer avec des dollars. C’étaient des gens de Wenzhou qui rejoignaient un membre de leur famille déja installé dans le quartier. Avec cette adresse rassurante, ils ne s’étaient inquiétés de rien. Est-ce que le quartier se reconnaît sur la photo ?

Aimer

Personne ne connait le sens du mot; pas grave, l’image est bien lisible.

L'oréal

Finalement, pour retrouver des figures asiatiques, il faut compter sur les grandes marques internationales.

Olay

Si vous ne l’aviez pas reconnue, c’est Maggie Cheung , Zhang Manyu, actrice plus qu’à moitié occidentale. Et ici, Olay, ce sont des crèmes pour blanchir le teint.

Maybelline

Les jolies anonymes de Maybelline (New York) vendent aussi un produit pour s’éclaircir la peau.

Gingko

Camenae , marque chinoise. Mais là aussi la fille au teint de perle vante un produit à base de gingko biloba, pour la blancheur de la peau. Nous sommes dehors; l’arbre devant l’affiche est un gingko.

Centre commercial argent

Nous sommes entrés dans un autre centre commercial, couleur argent.

Ascenseur

Pendant que mon épouse se livre aux joies de l’essayage, je regarde l’ascenseur monter et descendre. Ces deux là en sont à leur troisième tour. Le centre commercial est une fête.

Massage de la tête

Encore un produit pour lequel on a fait appel à une tête exotique. Pourtant quoi de plus chinois qu’une machine à masser les points d’acupuncture du crâne.

Massage réel

Cette photo représente une Chinoise réelle; je veux dire que ce n’est pas l’image d’une image.

Façade d'un centre commercial

Nous finissons par sortir. Il fait nuit. Au premier plan, une séance de photos de mariage. Toute la Chine est un décor pour les photos de mariage.

Le lendemain à 11 heures, nous avons pris le train 715 pour rentrer à la maison. Le train lent et pas cher, 14 heures en wagon « assis dur »  (ce n’est pas que nous soyons radins ou fauchés; mais pour le dernier jour des vacances, même en s’y prenant à l’avance, il faut acheter les billets qui restent).  Le train était plus que plein, et les autres voyageurs étaient les gens que nous avions croisés dans les centres commerciaux de la grande ville. Les wagons sont tout neufs et confortables, le train est à l’heure. Pour revenir à ce que j’écrivais au début, certains disent que la Chine vit sa période Napoléon III, qui a bien commencé et mal fini. Pour l’instant, on a l’impression d’être au milieu du règne.

13 commentaires sur “Fête nationale de la consommation

  1. Bien vu les marques soit disant francaises !
    Je crois que les cosmétiques est un des rares domaines ou les marques (meme étrangères) emploient majoritairement des asiatiques pour leur pubs, car les chinoises ne voient pas comment des produits pour les peaux occidentales peuvent leur correspondre. Pardon pour les sous-vetements, pas de soucis ! :p
    — Woods

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  2. « Les étudiants chinois en France connaissent ça, quand des gens de gauche leur reprochent de ne pas se révolter contre leur gouvernement qui …  »
    Ou en France, quand les épouses chinoises reprochent à leurs maris français la xénophobie française grandissante et toutes les tracasseries administratives actuelles contre les étrangers…. En voyant, par son épouse, comment sont traités les étrangers, même « légaux », en France, on se fait modeste dans les leçons à porter à l’extérieur. Mais cela n’empêche pas la critique et l’admiration pour Liu Xiaobo et tous les autres qui forcent notre admiration pour les chinois.

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  3. « Je me demande ce que vient faire Segré (Maine et Loire) dans le décor. »
    Fondée en 1948 par Jean Cassegrain, la société Longchamp a, à ses débuts, orienté son activité vers le gainage en cuir de pipe. Très vite, cette activité de maroquinerie va s’étendre à un ensemble d’articles pour fumeurs et ensuite à la petite maroquinerie. Restée familiale, elle ouvrira sa première usine à Segré (Maine et Loire) en 1957 : région historique du travail du cuir.
    http://www.longchamp.com/fr/histoire-1684.html

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  4. « Liu Xiaobo est un lettré confucéen dans la tradition. »

    Ne trouvez-vous pas que c’est un peu osé d’écrire cela ? Un lettré confucéen ne réagirait pas comme Liu Xiabo, parce que la chartre 08 n’apporte rien de plus pour l’intérêt général. Liu Xiabo est plutôt un idéologue qui veut faire passer coûte que coûte une idée qui semble banale en Occident, mais qui peut faire basculer la Chine dans une guerre civile. Il faut aussi rappeler que pour de nombreux Chinois, les dissidents et intellectuels chinois comme Liu Xiabo font partie de la classe aisée et par conséquent n’ont que faire d’idéologues qui ne leur ont jamais apporté par le passé le centième de ce qu’ils avaient promis avant d’accéder au pouvoir.

    Franchement, je ne vois pas en quoi ce prix apporte quelque chose à la paix. Pour les Chinois, cette attribution ne changera rien, pour Liu Xiaobo non plus, seuls sortant vainqueurs ceux-là mêmes qui étaient censés être les plus visés, c’est-à-dire les dirigeants Chinois qui ne manqueront pas l’occasion d’utiliser cette attribution de prix à leur avantage, tant sur le plan national qu’international. La libération anticipée de Liu Xiaobo ou d’un autre dissident notoire serait perçu comme un signe de faiblesse de la part du gouvernement, mais également comme un encouragement à la dissidence, ce que ne peuvent se permettre des dirigeants de plus en plus affaiblis par les gouvernements provinciaux et régionaux. Pour les dissidents en liberté, celle-ci devrait devenir à l’avenir bien plus étroite, toujours en raison des risques de contamination.

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  5. Encore une chose… Dans les journaux français, on lit que la Chine censure internet et ce prix Nobel. Vous qui êtes en Chine, comment faites-vous pour avoir l’information ? C’est la Chine qui censure ou c’est plutôt nos médias qui désinforment ?

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  6. Bonjour,
    Pour répondre à Cai, depuis la Chine continentale : je ne sais pas s’il y a censure dans les médias chinois. Ce qui est certain, c’est que les journaux chinois ont donné une fois encore une démonstration de la légendaire modestie chinoise. Alors que par exemple le journal Xin Jing Bao consacrait une page complète chaque jour pour célébrer les différents nobélisé, après l’annonce de l’attribution du prix Nobel de la paix à un citoyen de République populaire de Chine, plus une ligne sur ces prix.
    Les médias chinois ont effectivement affiché un silence complet sur l’affaire.
    Par contre, les médias étrangers en parlent. Et beaucoup sont accessibles par internet, soit directement, soit via un VPN, pour ceux qui sont bloqués par la Grande Muraille. Voici donc comment on peut recevoir cette nouvelle en Chine. Nouvelle donc, accessible aux 10 à 15% de Chinois qui lisent une langue étrangère, et inaccessible aux 85% de Chinois qui n’ont que les médias locaux pour s’informer.

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  7. Je suis largement d’accord avec l’honorable Cai; je maintiens quand même que Liu Xiaobo suit la tradition du lettré qui réprimande le souverain quand il s’égare. Le lettré est un privilégié, certes; il a conquis ses privilèges en se consacrant à l’étude et c’est pour cela que le peuple le respecte et que sa parole a du poids.

    La censure d’Internet vue d’Occident a quelque chose de folklorique; les journalistes du Monde se sont sentis obligés d’écrire que les moteurs de recherche ne répondaient pas et que la connexion était coupée; bobard évidemment, sauf le fait que la connexion est coupée quand on essaie de consulter un site étranger interdit, ça c’est tous les jours. Aussi bien, ça permet de vérifier que tout ce qui dit autre chose que la déclaration du ministère des affaires étrangères est effacé des forums et des sites à l’intérieur de la Chine. La déclaration est d’ailleurs rigolote, en disant que Lui Xiaobo est en prison parce qu’il a été condamné, mais sans pouvoir expliquer de quoi il est coupable.

    Là où je ne suis pas d’accord, c’est quand Cai dit « … une idée qui semble banale en Occident, mais qui peut faire basculer la Chine dans une guerre civile. » Même Hu Jintao en pleine forme ne dit pas des choses pareilles. Il dit seulement « la démocratie est une impasse ». C’est vraiment prendre les Chinois pour des sous-développés. Ca fait quand même 100 ans qu’il n’y a plus d’empereur. Et si les Japonais n’étaient pas arrivés dans les années 1930, la Chine serait un pays démocratique (à sa manière, avec par exemple un « pouvoir des examens » qui recalerait ceux qui prétendent se présenter aux élections sans avoir prouvé qu’ils sont compétents pour occuper le poste; c’était dans le programme de Sun Yatsen). Les Chinois sont instruits et informés, ils savent comment ça se passe ailleurs, par exemple à Taiwan. Ils sont sûrement aussi capables de devenir des citoyens que les Français en 1871, après Napoléon III et la guerre civile.

    Au fait, « d’où parles-tu, camarade Cai ?  » Chinois en France, Français en Chine ?

    A part ça, si vous voulez lire des inepties sur la Chine et l’évènement, lisez Marie Holzman : Prix Nobel : « Les répercussions positives sont potentiellement immenses » dans Lemonde.fr du 8 octobre. Tout ce qu’un Occidental prétentieux peut raconter est dedans, avec un vocabulaire d’instruit « schizophrène, autiste » en parlant des dirigeants du Parti. Son excuse : elle est patronne de l’organisation « Solidarité-Chine » et il faut bien servir la clientèle. http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2010/10/08/prix-nobel-les-repercussions-positives-sont-potentiellement-immenses_1422734_3216.html

    Et si vous voulez lire quelque chose de sens rassis, il y a Jean-Louis Rocca, professeur à l’université Xinhua « Prix Nobel de la paix : dialogues de sourds avec la Chine » dans Le Monde du 13 octobre. Il rappelle entre autres que ça ne passionne pas les Chinois. Et il a raison. http://www.lemonde.fr/imprimer/article/2010/10/13/1425720.html

    (le temps de consulter, les articles risquent d’être devenus payants; écrivez moi pour avoir une copie, j’ai un abonnement)

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  8. 1°) Heu… je ne suis pas sûr que le peuple respecte les idées de Liu Xiabo… Peu de Chinois se sentent vraiment concernés par ce que demande Liu Xiabo. Les problématiques abordées par Liu Xiaobo sont en effet assez éloignées des préoccupations premières des Chinois moyens, pour qui les questions de droits sociaux, de pouvoir d’achat ou d’accès à l’enseignement sont plus urgentes qu’un basculement ou pas vers un état démocratique.

    2°) Pour les dirigeants chinois, la Chine est déjà démocratique. Les Chinois ne comprennent pas l’exigence des pays occidentaux en matière de droit de l’homme ou de politique, alors que ces mêmes pays ne respectent rien eux mêmes : civils tués en Irak; torture à Guantanamo; etc…

    3°) La charte 08 de Liu Xiabo demande principalement au Parti communiste chinois d’établir un régime démocratique fédéral où les pouvoirs seraient partagés et où les minorités auraient plus d’impact. Le modèle américain quoi… Ce modèle là est un danger pour la Chine. Ca n’a rien à voir avec l’éducation des Chinois, mais c’est plus lié à la géopolitique. Regardez comment le problème du Tibet est exploité en Occident comme un moyen d’endiguement de la Chine.

    4°) Certes, c’est très respectable d’exiger un véritable Etat de droit, une vraie démocratie et de suspecter l’attitude des responsables chinois. Mais il est aussi évident que les intellectuels respectables comme Liu Xiabo se font des illusions sur la démocratie occidentale. A les lire, on a l’impression que la démocratie va régler tous les problèmes de la Chine. On se demande alors pourquoi l’Inde démocratique n’a pas pu résoudre ses problèmes ethniques et religieux, encore moins ses problèmes sociaux. Le problème des intellectuels chinois comme Liu Xiabo est qu’ils restent trop enfermé dans la féérique de la démocratie…

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  9. Moi aussi, j’ai quelques liens : un super texte du philosophe Domenico Losurdo

    http://www.voltairenet.org/article167219.html

    Il est curieux qu’après la consécration et la transfiguration de Liu Xiaobo, le président états-unien est tout de suite intervenu : et il a demandé la libération immédiate du « dissident ». Mais pourquoi, en attendant, ne pas libérer les détenus sans procès de Guantanamo ou au moins faire pression pour la libération des innombrables Palestiniens (parfois à peine adolescents) emprisonnés par Israël, comme le reconnaît même la presse occidentale, dans des complexes carcéraux terrifiants ?

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  10. Cai, j’ai le sentiment que pour bcp de français de Chine, il est difficile de parler de démocratie avec les chinois. On a pas envie de passer pour un donneur de leçons, et souvent les positions défensives qui ne questionnent pas l’un ou l’autre des systèmes prévalent. Il faut reconnaître que c’est très difficile de comprendre comment fonctionne une démocratie quand on a vécu et grandi sous un régime autoritaire. De même, les français ont bcp de mal à comprendre le régime politique de la Chine, quelles répercussions ce système a sur la vie et la psyché des chinois.
    Personnellement, j’aime parler de droit à l’expression, car il me semble que c’est la seule façon de garantir la justice. Et la justice est elle une valeur universelle qui est facilement compréhensible par tout le monde. Si vous vous faites exproprié, si vous avez un accident ou tombez malade à cause de qqun de plus puissant que vous par exemple, si vous êtes témoin d’un abus de pouvoir, vous voulez avoir le droit de dénoncer ces injustices. Et le droit à la liberté d’expression, qui est synonyme de plus de justice, mène, petit à petit, à la démocratisation de la société.

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  11. Le débat sur la démocratie est difficile parce qu’on ne sait plus ce que signifie ce mot. Et surtout, il y a si souvent confusion entre République et Démocratie. Avant d’être une démocratie, la France est d’abord une République qui a mis longtemps à émerger du magma de quatre révolutions. C’est du côté de la république que s’élaborent les vrais espaces de liberté — même s’il s’agit d’une liberté bornée par l’idée républicaine. Ca, c’est de l’histoire.

    Quant à la démocratie… Autant de démocraties que de peuples. La démocratie athénienne, c’est l’affaire des hommes libres — ni les femmes, ni les esclaves. Pas 10% de la population de l’Attique. La démocratie à l’américaine, c’est la liberté assurée, assumée, assénée, des trusts qui se partagent la Maison-Blanche, par candidats interposés. La démocratie à la française, c’est de plus en plus l’affaire de groupes de pression, de factions, de sectes. La démocratie idéale, c’est une utopie — comme l’anarchisme. Un point de fuite de l’Idée, quand on regarde un horizon qui recule sans cesse. Et, au pire, la démocratie est un prétexte.

    Les intellectuels comme Liu Xiabo sont des champions de la liberté totale et de la démocratie. Mais contrairement à ce qu’ils croient, leurs idées se combinent pour mettre à mal la construction d’une république chinoise — et la liberté. Il faut en finir avec l’idée fausse de la démocratie que transporte le droit à l’expression : la république, ce n’est pas une juxtaposition de communautés ou de peuples, c’est un état commun pour un commun devenir. Les Chinois de la rue sont en colère contre la corruption endémique. Ils exigent des dirigeants, des fonctionnaires d’un comportement républicain digne. Ils ont besoin de droits sociaux. Ils s’encontre-fichent de la démocratie à l’occidentale et du multipartisme. D’ailleurs dans l’ère culturelle chinoise, du Japon à Singapour, les sociétés sont gérées par des partis uniques. Malgré une constitution démocratique imposée par les Américains après la défaite, les Japonais sont dirigés depuis près de soixante ans – hormis une parenthèse de quelque mois – par un même parti, le PLD. Un parti peu séduisant pour un Occidental : largement corrompu, opaque, divisé en clans. Il est particulièrement reconduit aux affaires par les Japonais. Il incarne la nation, gère le développement du pays et préserve l’harmonie sociale. Il est donc légitime. En plus, l’absence d’alternance politique garantit un temps long propice aux stratégies ambitieuses alors que le risque d’alternance dans les démocraties occidentales limite le temps politique à la durée du mandat électif. L’histoire chinoise souvent convulsive a enseigné que rien n’est pire que l’anarchie. L’opposant est d’abord perçu comme un déviant. C’est un terreau bien pratique pour un parti unique. Tant que celui-ci assure une croissance forte, garantit la paix civile et tente de remédier aux injustices les plus criantes, il est perçu comme légitime car il oeuvre pour l’harmonie sociale. Il semble qu’aujourd’hui, pour les mêmes raisons, le parti communiste chinois a encore de beaux jours devant lui.

    PS : Les Français ont vôté pour Sarkozy sur la foi d’un programme qui semblait vouloir mieux faire que les autres candidats. Une fois au pouvoir, notre président ne fait que mépriser la plupart de ses engagements. Qu’est-ce qui est démocratique dedans ? La même chose s’appliquerait si on pouvait élire Liu Xiabo.

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  12. L’année 1989 a constitué un important tournant dans ma vie. J’ai été un professeur respecté et un intellectuel public, souvent invité à m’exprimer un peu partout, y compris en Europe et aux Etats-Unis. Je me suis toujours fixé pour exigence de m’exprimer avec franchise, en assumant mes propos dans la dignité – que ce soit dans ma vie personnelle ou dans mes écrits. Cette année-là, je suis rentré des Etats-Unis pour participer au mouvement [prodémocratique étudiant, finalement réprimé dans le sang le 4 juin]. J’ai été emprisonné pour “propagande et incitation à des activités contre-révolutionnaires”. J’ai perdu par la même occasion ma chaire, à laquelle je tenais tant, et toute possibilité de publier et de m’exprimer publiquement en Chine. Juste pour avoir émis des opinions politiques différentes et pour avoir participé à ce mouvement démocratique pacifique, le professeur que j’étais a donc perdu sa chaire, l’auteur a perdu tout droit de s’exprimer et l’intellectuel public toute possibilité de discourir ouvertement… que ce soit à titre personnel ou en tant que citoyen d’une Chine ouverte au monde et aux réformes depuis trente ans, quelle tristesse !

    Vingt ans après, les âmes des victimes du 4 juin ne peuvent toujours pas reposer en paix. Amené par le 4 juin à prendre le chemin de l’opinion ­politique divergente, à ma sortie de la prison de ­Qincheng, en 1991, j’avais perdu tout droit à m’exprimer publiquement dans ma propre patrie ; je ne pouvais le faire que dans les médias étrangers et encore cela m’a-t-il valu d’être placé sous surveillance durant de longues années, assigné à résidence (de mai 1995 à janvier 1996), puis envoyé en camp de rééducation par le travail (d’octobre 1996 à octobre 1999).

    La haine peut corrompre la sagesse

    Aujourd’hui, à plus de 50 ans, je suis une nouvelle fois mis au banc des accusés par un pouvoir obnubilé par l’idée de “l’ennemi”. Cependant, je veux malgré tout dire à ce régime qui m’a privé de ma liberté que je reste fidèle à mon credo, exprimé il y a vingt ans dans ma déclaration lors de la grève de la faim du 2 juin : je n’ai pas d’ennemis, ni de haine. Les policiers qui m’ont surveillé, arrêté, interrogé, les procureurs qui m’ont inculpé, les juges qui m’ont condamné ne sont pas mes ennemis. Je n’accepte ni surveillance, ni arrestation, ni inculpation, ni condamnation, mais je respecte la profession et la personne de tous ces fonctionnaires, y compris les magistrats de l’accusation, qui, le 3 décembre dernier, ont fait preuve de respect et d’honnêteté à mon endroit.

    Car la haine peut corrompre la sagesse et le discernement ; l’idéologie de l’ennemi peut empoisonner la mentalité d’un peuple, attiser des rivalités sans merci, détruire toute tolérance et toute raison dans une société, empêcher une nation de cheminer vers la liberté et la démocratie. C’est pourquoi je souhaite parvenir à dépasser mon propre sort pour me préoccuper surtout du développement du pays et de l’évolution de la société, en opposant à l’hostilité du pouvoir une grande bienveillance, pour dissoudre la haine dans l’amour. Il est communément admis que c’est la politique de réforme et d’ouverture qui a entraîné le développement du pays et l’évolution de notre société. Pour moi, l’ouverture du pays date du moment où a été abandonnée la “primauté de la lutte des classes” de l’ère Mao. Dès lors, on a concentré les efforts sur le développement économique et l’harmonie sociale. Cet abandon a permis une certaine tolérance et la coexistence pacifique d’intérêts et de valeurs différents. L’économie s’est tournée vers le marché, la culture a tendu vers plus de diversité, le maintien de l’ordre public a peu à peu été régi par les lois. Tout cela est dû à l’affaiblissement de la notion d’ennemi. Même dans le domaine politique, où les progrès sont le plus lents, le pouvoir a fait preuve d’une tolérance croissante vis-à-vis de la diversité de la société, il a atténué les persécutions à l’encontre des voix divergentes et a tempéré sa qualification des événements de 1989 de “rébellion” en “tourmente politique”.

    Une fois relativisée cette notion d’“ennemi à combattre” le pouvoir a pu accepter peu à peu le caractère universel des droits de l’homme. En 1998, le gouvernement chinois a promis au reste du monde de ratifier deux grandes conventions internationales des Nations unies relatives aux droits de l’homme [dont la Convention internationale sur les droits civils et politiques], manière symbolique de reconnaître ces valeurs. En 2004, ­l’Assemblée nationale du peuple a révisé la Constitution en y introduisant pour la première fois la phrase : “L’Etat respecte et protège les droits de l’homme”, ce qui indique que les droits de l’homme sont devenus un principe de base du droit chinois. Dans le même temps, le pouvoir a reconnu la nécessité de “mettre l’homme au centre” de sa politique, de “créer une société harmonieuse”, autant d’avancées dans la conception du gouvernement qu’a le Parti communiste.

    J’ai pu ressentir l’effet de ces changements depuis mon arrestation. J’ai persisté à me dire innocent et à déclarer que l’accusation portée contre moi était inconstitutionnelle, mais, au cours de cette année de privation de liberté où j’ai été successivement incarcéré dans deux lieux différents et interrogé par quatre policiers, trois procureurs et deux magistrats, leurs méthodes sont restées empreintes de respect, ils n’ont pas excédé les temps d’interrogatoire et ne m’ont pas extorqué d’aveux. Leur attitude a été pacifique, raisonnable et même parfois bienveillante. Le 23 juin, j’ai été transféré d’un lieu de résidence surveillée au Centre de détention numéro un de Pékin, où j’avais déjà été détenu en 1996, et j’ai pu y observer de grandes améliorations tant dans les installations que dans les méthodes d’administration.

    Je suis vraiment optimiste

    J’ai tiré de ces expériences personnelles la certitude que les progrès politiques en Chine ne vont pas s’arrêter. Je suis vraiment optimiste quant à l’arrivée d’une Chine libre dans l’avenir, car aucune force n’est capable de stopper l’aspiration humaine à la liberté. La Chine finira par devenir un Etat de droit plaçant les droits de l’homme au premier plan. J’espère que de tels progrès pourront se manifester dans le traitement de mon dossier ; je souhaite que les jurés prononcent un jugement équitable – un jugement capable d’affronter le verdict de l’Histoire.

    Quant à l’expérience la plus heureuse de mes vingt dernières années, c’est d’avoir reçu l’amour désintéressé de ma femme, Liu Xia. C’est pourquoi je m’adresse à elle. Aujourd’hui, tu ne pourras pas assister à mon procès, mais je veux encore te dire, ma chérie, que je suis certain que ton amour reste inchangé. Ma chérie, grâce à ton amour, j’affronterai calmement le procès qui vient, sans regret pour mes propres choix, et j’attendrai demain avec optimisme. J’espère que mon pays pourra être un jour une terre de libre expression, que tout citoyen pourra prendre la parole sur un pied d’égalité, que toutes les valeurs, pensées, croyances, idées politiques pourront coexister et faire l’objet d’un débat équitable. Je souhaite que les opinions minoritaires, même dissidentes, soient protégées comme les autres. Que tout point de vue politique puisse être exposé au grand jour et soumis à l’appréciation du peuple, que tout citoyen puisse s’exprimer sans la moindre crainte, sans le moindre risque de subir des persécutions pour avoir émis une opinion politique différente. Je voudrais également être le dernier nom sur la longue liste des victimes emprisonnées pour leurs écrits, et que plus personne ne soit condamné pour ses propos.

    La liberté d’expression est la base des droits de l’homme, le fondement de tout sentiment humain, la mère de la vérité. Tuer la liberté d’expression, c’est bafouer les droits de l’homme, étouffer tout sentiment humain, faire taire la vérité.

    Même si j’ai été condamné (alors que je suis innocent) pour avoir honoré la liberté d’expression mentionnée dans la Constitution et pour avoir assumé jusqu’au bout mes responsabilités sociales de citoyen chinois, je ne me plains pas…

    Merci à tous !

    Li Xiao Bo

    Note : (Publié sur Courrierinternational.com, le 27/1/2010)

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