Noël et boule de métro

DSCN0874_trois_fillesDSCN0892_binjiangdao_quatreC’est l’hiver. Il fait froid, mais pas vraiment. Il gèle la nuit et la rivière commence à prendre en glace, mais le jour le soleil brille et personne ne met encore de gants. Je suis sorti en ville pour voir les décorations de Noël. shengdajieshengdajie, sainte grande fête. Mais justement le nom de la fête n’est écrit nulle part en chinois. Et personne, sauf les chrétiens, ne sait de quoi il s’agit. C’est une fête venue de l’étranger, il y a le Père Noël et le sapin, et toutes les fêtes sont bonnes à accueillir, c’est une occasion de mettre des décors.

DSCN0969_arbre_doreVoici une version minimale, devant une des boîtes de nuit du quartier. Il est sorti des boîtes en carton qu’on voit au fond. Le montage est presque fini. Une vieille dame qui contemple les travailleurs me demande si je trouve ça beau. Je lui demande si elle mettra un petit sapin chez elle. « Sûrement pas, c’est pour les étrangers. » Une de mes amies, jeune mère de famille, en a acheté un, sinon sa petite fille lui demandera pourquoi il n’y en a pas.

DSCN0965_carton_noel_400Sur la porte d’un restaurant. C’est un nouveau modèle de cette année, le sapin ressemble presque à une pagode.

DSCN0810_rue_europeA l’entrée de la Rue européenne (oushi fengqing jie, europe-style, ambiance-sentiment, rue, sur le portique ; c’est Kaifeng dao, dans le quartier de Xiaobailou, pour ceux qui connaissent Tianjin, l’hôtel Renaissance est au coin à droite) il y a un beau sapin rouge,

DSCN0817_blanche_neigemais vu de près c’est n’importe quoi. Et les Père Noël grandeur nature, qui avaient du succès les années précédentes, les filles posaient autour d’eux, sont désertés.

DSCN0865_isetan_fuseeDevant le grand magasin Isetan (tout pour l’expatrié, en particulier japonais, des casseroles aux draps de lit, mais il y a aussi du vrai gruyère et du beurre demi-sel Président), l’installation marie la fusée Longue Marche et un château Disneyland.

DSCN0871_fusee_jauneUne grand-mère est en train de persuader sa petite-fille de poser pour son grand-père. J’ai vu plusieurs échecs, les petits garçons sont trop intéressés par ce qu’on peut voir derrière la barrière rouge.

DSCN0896_binjiangdao_mengzhongguomeng_200Tout à côté, dans Binjiang dao, la rue des plaisirs innocents, il y a bien quelques sapins, mais pas d’images de Noël municipales, tous les réverbères sont monopolisés par la nouvelle campagne officielle « Le Rêve chinois ». zhongguomeng_36zhongguo meng, centrale-nation rève. Le slogan sonne un peu comme hongloumeng_36honglou meng, rouge-bâtiment rêve, Le Rêve dans le Pavillon rouge, le roman, l’équivalent de La Recherche du Temps perdu, que tout le monde connaît mais que peu de gens ont lu en entier, un monument national. C’est Xi Jinping qui a choisi le mot d’ordre de son règne, en essayant d’éviter ce qui est arrivé à son prédécesseur Hu Jintao, qui avait annoncé que son but était de construire hexieshehui_36hexie shehui, harmonieuse société. L’ennui, c’est que tout le monde s’était mis à parler debei_hexie_36bei hexie le, (passif) harmonie (réalisé), ça a été harmonisé, chaque fois qu’un scandale ou un accident fâcheux apparaissait puis disparaissait des nouvelles, après « harmonisation ».  Le nouveau mot d’ordre est peut-être moins susceptible de dérision, mais on ne sait jamais, donc le paysage de la ville se remplit de belles images édifiantes avec le sceau rouge à trois caractères de cette campagne officielle. Il y en a de très jolies. Les plus grandes concurrencent les publicités sur les grands murs des chantiers. Voici un échantillon modeste, collé à l’entrée du jardin du Peuple:

DSCN0957_meng_cuisinier_400Un cuisinier avec ses baguettes est en train de ranger les grands bâtons de pâte frite qu’on mange au petit déjeuner.

chinese_dreamCette petite fille est affichée partout, et illustre même un article de The Economist sur le Rêve chinois, où je suis allé la chercher. Wode Zhongguomeng. Mon rêve chinois à moi.

Il y aussi des enfants qui jouent, des paysages, des animaux favorables, des photos de figurines nirenzhang en terre cuite fabriquées à Tianjin, des images pour livres d’enfants d’il y a cent ans. Il faudra que je les montre.

Mais le rêve ne suffit pas. La municipalité, probablement pressée par le pouvoir central, a déployé une grande démonstration de la préoccupation de sécurité qui l’anime. Depuis 2008, l’année des Jeux Olympiques, les bagages sont radiographiés dans les gares et dans les stations de métro de Pékin. La station de métro de la gare centrale de Pékin a même été fermée plusieurs mois, le temps qu’on la réaménage pour trouver la place des installations.

DSCN0250_mobilier_l9 DSCN0493_mobilier_l1Depuis deux mois, je voyais des mobiliers bizarres s’accumuler dans les stations (heureusement, il y a toute la place qu’il faut).

DSCN0860_yinkoudao_soldatsPourtant, rien n’avait changé. Dans certaines grandes stations, on continuait de voir des petits soldats, qui ont l’air d’avoir 18 ans et ne sont peut-être pas plus âgés. Celui de gauche a un gros pistolet, et celui de droite serre contre son coeur un fusil-mitrailleur avec le chargeur en place. Pourvu qu’ils ne s’effraient pas au milieu de la foule, c’est pour ça que je les ai photographiés sans qu’ils me voient. De temps en temps, au moment des grands évènements politiques comme les réunions nationales du Parti, notre station accueillait une équipe avec un chien flaireur d’explosifs; grand tracas, il fallait faire remonter le chien à l’air libre très souvent pour qu’il ne s’ennuie pas trop.

DSCN0848_entree_xiawafangMais cette fois tout est installé. Il y a un labyrinthe pour absorber la queue à l’heure de pointe et un panneau explicatif (cliquer pour voir le discours en grand).

DSCN0923_labyrintheAu bout du parcours, on devine la nouvelle machine, et un de ceux qui sont chargés de montrer comment faire. Pour l’instant il laisse passer.

DSCN0854_yinkoudao_machineVoici la machine côté entrée. Les gens qui se pressent sur la droite sortent de la station. On voit le préposé à la contemplation des images à gauche. Il n’y a personne qui entre, parce que les voyageurs, en me voyant avec un appareil photo, ont attendu poliment derrière moi que j’aie fait mon travail. On peut lire hexieanjianghexie anjiang, harmonie contrôle, avec le troisième caractère, une femme sous un toit, qui signifie « paix ». Le discours de l’autorité veut être apaisant.

DSCN0917_yinkoudao_inputVue d’une des machines dans la station Yinkou dao, la plus fréquentée. Dès le premier jour tout le monde s’est habitué et les préposés n’ont même pas à persuader les voyageurs.

DSCN0922_yinkoudao_flotAu premier plan, les portes de contrôle des tickets (on présente le ticket en entrant, et on le met dans la fente en sortant; ou bien on présente sa carte et le petit écran dit combien d’argent il reste dessus). La machine de contrôle couverte de discours sur fond bleu est au centre ; tout le monde pose son sac sur le tapis roulant et le récupère avec bonne volonté. A l’heure de pointe il serait bien difficile de persuader chaque voyageur ; mais c’est comme les portes de contrôle qu’il suffirait d’enjamber : on se conduit bien.

DSCN0912_descente_yinkoudaoPourtant, en voyant ce qui se passe à l’entrée de la station Yinkou dao, la plus fréquentée du réseau le samedi (elle dessert Binjiang dao et son quartier), on se dit que le respect des règles n’est pas le point fort du peuple (la vente à la sauvette est interdite, mais les contrôleurs sont obligés de descendre en nombre, sinon on ne fait même pas attention à eux, et ils ne viennent pas souvent).

DSCN0929_xiawafang_nombreuxDSCN0852_filles_sacsUn des petits prodiges de cette opération de sécurité, c’est la mobilisation d’une foule d’agents : chaque station a quatre entrées, il faut au moins trois agents par entrée (pour demander aux usagers de poser leur sac, pour regarder l’image, pour superviser) et éventuellement quelqu’un pour manier le détecteur de métaux sur l’usager lui-même; le métro est ouvert de 5h du matin à 22h30 ; il y a déjà plus de 80 stations de métro à Tianjin, calculer combien il faut en mobiliser. On voit ici un groupe destiné à une autre station, qui vient de regarder comment ça se passe dans notre station calme.

DSCN0933_zigu_operatriceJe fais poser la préposée à l’examen des images. Comme elle vient de me voir parler avec sa chef, qui est maintenant derrière moi et ne voit pas ce que je fais, elle croit que j’ai l’autorisation. A sa droite, la machine à contrôler les bouteilles thermos, qu’il serait impossible d’interdire. Dans la main de son collègue qui attend les usagers, le détecteur de métaux.

DSCN0950_boule_ouverteDSCN0928_boule_fermeeVoici l’objet de la conversation: cet étonnant meuble d’un mètre de haut, qui a l’air très lourd. C’est un container à l’épreuve des explosions, pour séquestrer les objets suspects. J’ai un doute sur son utilité pratique: il peut avaler un sac à main, mais même une valise à roulettes du modèle « bagage de cabine » est trop grosse pour entrer et laisser la porte se refermer. Mais ça fait impression. Il y avait une de ces boules sur chaque quai du métro de Pékin pendant les Jeux Olympiques, elles ont disparu depuis.

Je fais un essai de la vigilance des jeunes servants de la machine de sécurité, en posant sur le tapis roulant mon bonnet de laine. L’agent m’a vu poser quelque chose mais rien n’apparaît sur son écran. Inquiet, il se lève pour regarder le tapis roulant de ses yeux. Rien ne sort: le bonnet est trop léger pour pousser le rideau de lanières qui ferme la sortie. Je passe la main à travers et je sors le bonnet. L’agent me remercie de l’avoir rassuré. Je n’ai pas l’impression que tout ce déploiement dissuaderait un vrai terroriste, mais un fou avec un hachoir de cuisine qui voudrait tuer tout le monde (ça arrive de temps en temps quand même, on le lit dans les journaux) serait contré, rien que par la présence des agents de sécurité, à qui les machines donnent une raison d’être là.

Donc les autorités municipales ont offert aux citoyens la sécurité dans le métro comme cadeau de Noël.

DSCN0901_confessionComme c’était dimanche, et que la cathédrale est tout près de Binjiang dao, je suis entré. C’était un peu avant la messe de trois heures de l’après-midi (il y a chaque dimanche trois messes le matin, celle de 11h30 en anglais, et deux l’après-midi, plus la messe du samedi soir). La grotte de la crèche est montée, mais elle est encore vide. Il y a la queue au confessionnal, à l’approche de la fête. Je suis resté entendre la messe. Une famille s’est tassée sur son banc pour me faire de la place. J’ai vu des retardataires prendre des coussins sur la pile le long d’un pilier, signe qu’il n’y avait plus de places assises. Mercredi il faudra que j’arrive tôt si je veux entrer pour la messe de minuit.

 

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