Marianne la blonde

Je ne sais pas si vous lisez la rubrique des faits-divers politiques dans les journaux français sérieux. J’ai appris que le timbre-poste ordinaire avait une nouvelle figure de Marianne (l’article du Monde est-il encore en ligne ?).

Je l’ai tout de suite reconnue. On la voit partout dans le métro. Elle est Russe et elle vend la nouvelle boisson blonde, le Kwass Wahaha (le kwass, c’est une espèce de bière extrêmement douce, deux degrés d’alcool, que les familles russes préparent à la maison avec les croûtes de pain, et que l’industrie propose maintenant que les Chinois rêvent de manger et de boire étranger; Wahaha, c’est la marque de l’eau du robinet stérilisée en petites bouteilles plastique).

En regardant les images d’autres essais du dessinateur dans Le Monde, je n’ai plus de doute. La fille aux longues jambes, au regard clair et aux boucles blondes, arrivée au pays des  filles aux cheveux noirs et aux petits yeux noirs, a aussi posé pour être la nouvelle Marianne de François Hollande.

J’aime beaucoup cette image, à commencer par le chapiteau de colonne grecque qui supporte les deux soeurs jumelles et leur bouteille (il y a bien plus de frontons et de colonnades à Tianjin qu’à Paris, et on continue d’en construire). L’affiche fait grand effet dans les stations. Justement le métro de Tianjin manque d’images réjouissantes.

(digression: je me demandais pourquoi les sacoches des hommes s’étaient récemment élargies; c’est pour accueillir une tablette numérique grand format; avant, tout le monde dans le métro contemplait son téléphone, maintenant ils ont tous leur ardoise sur les genoux ; moi aussi j’en ai une, et le sac qui va avec).

Traduction du grand texte : xiǎng hēng shòu ài de wēnnuǎn , jiù hē géwǎsī ; dans la chaleur d’une pensée amoureuse, alors buvez un kwass (ou quelque chose comme ça). Avec une image de charrette, tonneaux et vieux paysan à casquette et grand tablier, complètement exotique et qui n’a rien à voir avec le  discours de la blonde, sauf que c’est Russe, pas chinois.

Voici une autre Marianne, dans mon hypermarché habituel, celui qui me vend des yaourts et du vrai jus d’orange. Une Marianne bulgare,  mo si li an, (c’est du phonétique, pas de sens). Elle vend du yaourt bulgare (du lait stérilisé, 12 petis sacs de 190 grammes dans un grand carton décoré), nettement plus cher que le lait de Mongolie (ça fait pas loin de 3 euros le litre). Le village de Momchilovtsi (ici la vision de l’office du tourisme de Bulgarie) a réussi à attirer les Chinois chez lui. A Chongqing on m’avait proposé du lait allemand hallal. Au moins Wahaha, entreprise nationale, fait du kwass entièrement chinois, y compris le fantasme de fille blonde qu’elle a essayé de mettre dans la bouteille.

Avec tout ça, quand j’ai vu des petits schtroumpfs au rayon des gadgets, téléphones pas chers et piles rechargeables, je me suis demandé si le monde tournait encore à l’endroit. Après examen, ce sont des clés USB, tout à fait sérieuses, fabriquées l’année dernière, qui n’ont pas trouvé leur chemin jusqu’à l’Europe. Celui qui les a rachetées a collé derrière une petite étiquette en chinois, qui garantit la conformité aux normes nationales (ne convient pas aux enfants en dessous de trois ans). La vendeuse ne savait pas de quoi il s’agissait mais a accepté de m’en vendre une (88 yuans, presque le prix marqué en euros) après que je lui aie affirmé que je savais ce que j’achetais.

Pour me changer les idées, dimanche soir pleine lune, je suis allé me promener au bord de la rivière. Des gens faisaient de la musique, d’autres de la gymnastique (il avait fait tellement chaud pendant la journée que personne n’avait bougé avant), et des jeunes gens se baignaient.

C’étaient des ouvriers du chantier voisin (pour ceux qui n’ont jamais vu, les ouvriers d’un chantier logent dedans, dans des préfabriqués avec galerie qui a vue sur le lieu de travail où il se passe quelque chose jour et nuit, confort et climatisation de plus en plus souvent, mais lits superposés à trois étages; quand il fait beau, on est mieux dehors). Ils avaient emporté leur casque jaune pour le poser à côté d’eux au bord de l’eau.

Quelque chose de complètement différent: la mécanique de suivi de fonctionnement du blog me dit quelquefois d’où (de quel site internet contenant un lien avec le blog) viennent les visiteurs. J’ai vu qu’un visiteur était venu de la Bibliothèque nationale de France, service du dépôt légal numérique. J’ai écrit et une dame qui porte le titre de « Chargée de collections » m’a répondu:  » … votre blog a été sélectionné par des bibliothécaires pour son intérêt documentaire et fait l’objet d’une collecte régulière, en profondeur,  » Donc cet écrit, ses images et ses commentaires sont conservés à l’intention des chercheurs accrédités actuels et futurs. En même temps que beaucoup d’autres, on le trouvera peut-être un jour dans la bibliographie d’une thèse de sociologie historique sur l’installation des Français en Asie au début du XXIe siècle, ayant échappé à la disparition même quand je ne paierai plus l’abonnement.

Jours d’été

Depuis deux semaines, nous sommes vraiment en été. Il fait 35 degrés le jour, 25 la nuit. Et il pleut. La veille de la pluie, le vent s’arrête et l’air est de moins en moins transparent. On arrive presque à fixer le soleil en plein midi, et on respire mal. Après la pluie, le ciel est bleu pendant une journée, puis on recommence.

Pendant la pluie, tout le monde se met à l’abri, et il n’y a plus personne dans les rues, sauf ceux qui aiment profiter du moment où tout le monde est à l’abri, justement. Je suis allé au Jardin du Peuple avec mon parapluie. Quand il fait beau, le jardin est rempli de grand-parents et de petits-enfants, et il est interdit de pêcher à la ligne dans les bassins; il y a du poisson, tellement que les agents du parc posent des nasses, mais pêcher à la ligne ne serait pas harmonieux avec les bateaux de promenade et les petits navires téléguidés. Mais quand il pleut cela ne nuit à personne. Les pêcheurs arrivent. Les gardiens s’abstiennent de faire leur ronde, puisqu’ils seraient obligés d’attrister les pêcheurs en les empêchant de faire ce qu’ils aiment.

Les gardiens du Jardin du Peuple en service, près de la porte nord, qui n’a pas de corps de garde.

En Chine celui qui représente l’autorité doit faire respecter la loi, mais aussi agir selon la raison pour que la vie soit agréable à tout le monde. C’est ainsi qu’un résident anglais de Canton dans les années 1840, avant que les étrangers aient le droit de se promener librement, avait organisé pour des amis en visite un petit tour dans la ville chinoise interdite aux Européens. Ils s’étaient déguisés décemment et se dirigeaient en chaises à porteurs vers l’entrée de la ville, s’attendant à être priés par le fonctionnaire de la porte de ne pas aller plus loin.  Mais le fonctionnaire de la porte n’était pas là. Ils sont donc entrés, ont fait leur visite, et sont ressortis au moment où la foule commençait à s’intéresser à eux. Plus tard l’organisateur a appris que le fonctionnaire de la porte savait qu’ils allaient arriver, mais n’en avait pas été averti officiellement. Pourquoi attrister d’honorables étrangers qui n’avaient que de bonnes intentions ? Il suffisait de ne pas les voir passer.

Le lendemain de la grande pluie, le ciel était bleu et le soleil tapait fort à l’heure de midi. J’ai ouvert mon parapluie devenu ombrelle et j’ai marché vers l’aval de la rivière. La dernière fois, il y a presque un an, les aménagements pour les promeneurs s’arrêtaient au grand pont où passe le boulevard périphérique. Au-delà il y avait quelques ruines d’usine, puis on ne pouvait plus longer la rivière, et la carte indiquait qu’il n’y avait rien sur quelques kilomètres, en attendant le début des zones industrielles.

La statue des Huit Immortels qui marquait la fin des berges aménagées. Pour montrer combien le ciel était bleu.

Pourtant, une fois passé un chantier où personne ne travaille (la religion des salariés chinois leur interdit de s’activer entre midi et deux heures de l’après-midi), je retrouve des jardins verdoyants et une allée du bord de l’eau.

Il n’y a presque personne et l’homme à l’ombre de la colonnade est en vêtements de travail. D’ailleurs il faut se salir les pieds dans le terrassement du chantier pour arriver. De l’autre côté de la rivière, là où il n’y avait rien,  j’aperçois quelque chose qui ressemble à un autre jardin.

Je croise un couple arrivé à vélo. Les grands arbres qui font de l’ombre ne sont pas là depuis plus longtemps que le pont. Ils ont été plantés au plus tard l’hiver 2012-2013. La municipalité entretient au nord de la ville une forêt d’arbres prêts à replanter (c’est au terminus nord de la ligne 1 du métro, station  Liu Yuan, le jardin de Liu). Tout près du pont, un pêcheur à la ligne s’est installé.

Entre midi et deux heures, personne ne travaille sur le pont. Le jardin d’agrément s’arrête au chantier. Je suis obligé de le longer pour rejoindre l’intérieur, et au-delà du pont, il faut suivre la nouvelle route qui mène au nouveau quartier.

Les feux rouges du carrefour à la sortie du pont sont déjà en place, mais pas la route qui sortira du pont et desservira ce grand ensemble. La vieille usine n’est pas encore démolie. Le grand ensemble, vu de loin,  est presque prêt pour ses nouveaux occupants. Il n’y a personne.

J’ai tort: un peu plus loin, la nouvelle route est passée à travers un village qui se trouvait là.

Même si les résidents dont les maisons et les jardins ont survécu savent qu’ils n’en ont plus pour longtemps, ils ont monté un lavage de voitures(liu che ; couler voiture, sur le panneau rouge) et une terrasse à l’ombre. Il y en a un autre de l’autre côté de la route. Peut-être que, quand je reviendrai dans quelques mois, il y aura une station-service. Les espaces que la grande ville avait oubliés seront vite peuplés.

Les autres grands ensembles couverts de grues sont trop loin; je renonce à aller voir (un de ces jours je persuaderai ma chère épouse de lever son interdit sur le vélo électrique, qu’elle croit mortel pour les étrangers; depuis le temps ça devrait aller). Je refais le chemin en sens inverse, vers la vraie ville, où il y a du monde.

Justement, la boutique à tout qui est à 50 mètres de l’entrée de la résidence vient d’ouvrir. Sa patronne vend des manteaux pour enfants et des sacs à dos à la rentrée des classes, des papiers rouges et des lanternes au Nouvel An, de l’argent de la Banque du Cien et des services à thé combustibles au moment de Qingming, du gingembre frais à la saison (bientôt) et aujourd’hui des petites robes d’été. Il est tard et il fait moins chaud; les vieux à droite jouent aux cartes.

Hier lundi il a plu. J’étais sous la galerie du temple bouddhiste du Jardin du Peuple, en train de lire la biographie de Michel Houellebecq, quand ça a commencé. Ceux qui avaient un parapluie sont vite rentrés chez eux. Les autres m’ont tenu compagnie pendant deux heures. Quand la pluie s’est arrêtée, chacun est rentré chez lui en se mouillant les pieds. Le soir, la télévision nous a montré les inondations dans les montagnes à l’ouest du Sichuan (vers le Tibet), ponts emportés et glissements de terrain. A Tianjin, en terrain parfaitement plat, l’eau monte uniformément, pas très haut, et on attend même pas qu’elle redescende.

Il était six heures, le moment où les maîtresses de maison font les courses du soir et où les travailleurs rentrent chez eux. Tout s’est donc bien passé. Heureusement, ce sont les vacances. Il y a trois semaines, le plus fort de la pluie aurait été à l’heure où les grands-pères attendent leur petit-fils devant l’école primaire.

Ca me rappelle que j’ai parlé de la piété filiale en direct dimanche 7 sur France Inter. Non que j’aie la moindre autorité là-dessus, mais une journaliste m’a envoyé un message pour me demander si je pouvais parler un dimanche matin cinq minute au téléphone, sur la nouvelle loi chinoise qui oblige les enfants à rendre visite à leurs vieux parents, avec un lien vers un article de France24. Article typique du genre littéraire « En Chine tout va mal tout le temps », avec comme circonstance aggravante que ça reproduit la propagande intérieure du gouvernement chinois. Chaque fois qu’il fait une loi qui a des chances d’être mal reçue, le gouvernement passe commande à sa police et à sa justice d’un beau procès du premier jour d’application, pour montrer que c’est sérieux. Cette fois c’est une vieille tracassière qui vit chez un de ses fils et veut que sa fille vienne la voir souvent, alors qu’elle  vit loin et ne s’entend pas avec son frère. Je suis allé chercher la documentation sur le site de l’Assemblée Nationale du Peuple qui « vote » les lois. Les journaux officiels ont joué le même discours, avec un peu d’agacement, par exemple en signalant qu’une des solutions à l’isolement des vieux à la campagne serait de permettre à leurs enfants de les accueillir chez eux en ville, mais les lois sur le permis de résidence l’interdisent. J’ai aussi consulté ceux avec qui je discute en français. Apparemment, tout le monde est très fâché de voir le gouvernement mettre en forme de loi ce que chacun fait déjà si c’est possible, et essayer de faire passer ses promesses de veiller sur les vieux citoyens sur le dos de leurs enfants. Je suis témoin tous les jours de scènes de piété filiale, par exemple au Jardin du Peuple.

Un grand-père qui semble récupérer d’un accident cérébral est accompagné par son fils ou son grand petit-fils (je ne leur ai pas demandé).

Fatigué de son exercice, il est reconduit à la maison. Je vois souvent un vieux monsieur qui promène sa très vieille mère. Elle n’a plus toute sa tête et est sans arrêt en colère contre lui. Arrivé au jardin des roses (là où j’ai pris la photo) il arrête le fauteuil roulant et va s’asseoir un peu plus loin, pendant qu’elle continue de lui crier après. Mon beau-père, qui a 85 ans (mon épouse est une petite ravisée) reçoit ses trois fils et sa fille à déjeuner très souvent. Mais ma famille par alliance illustre bien le problème: quatre enfants, nés au temps de Mao, et quatre petits-enfants, nés sous le régime de l’enfant unique. Donc j’ai essayé d’expliquer ça, pendant que le journaliste essayait de placer ce qu’il avait préparé. En cinq minutes on ne peut pas raconter grand-chose. Si vous voulez m’écouter c’est le 7 juillet à 7h15. Pas sûr que ce soit encore en ligne. France 24 a fait il y a 2 ou 3 jours une émission sur le sujet, plus intelligente que l’article.

(photo Xinhua)

Pour revenir à mon sujet de départ, « tout va toujours mal en Chine », est-ce que cette jolie photo, faite dans une prairie en Mongolie le 26 juin 2013, vous rappelle quelque chose ? C’était l’image officielle du retour des taïkonautes à la fin de leur séjour dans l’espace, avec rendez-vous entre leur capsule et le laboratoire spatial. La démonstration que les Chinois, comme les Russes et le Américains, savent vivre et travailler dans l’espace. Nous avons eu droit à la descente en direct à la télévision vers 8h du matin.

La capsule vient de se poser et elle est traînée par son parachute sur quelques centaines de mètres.

La capsule entourée d’une clôture; l’équipe de télévision est en place mais les chaises et le drapeau ne sont pas encore arrivés. Les taîkonautes patientent à l’intérieur.

Le soir, je suis allé voir sur les sites des journaux français si on en avait parlé. Rien du tout. Juste la photo dans la galerie d’images du Figaro. Par contre, il y avait comme presque tous les jours un article alarmiste sur le ralentissement de l’économie chinoise (8% de croissance prévu en 2013, en baisse). J’ai tort, le Nouvel Observateur en avait parlé au moment du départ, parce qu’il y avait à bord la première femme taïkonaute.

Mot d’excuse: ça faisait trois semaines que je n’avais rien écrit, la paresse, ça arrive de plus en plus souvent. J’ai quand même essayé une autre idée: tous les jours je publie une photo sur Tumblr, avec la date et l’endroit. J’avais été attiré par The World of Chinese, blog digne d’être lu (dommage que ce soit en anglais). Je me fatigue moins qu’eux.

Dossier personnel

Il y a quelques jours, j’étais avec Justine, professeur de langues. Nous nous voyons une demi-journée par semaine pour une séance de travail, elle pour pratiquer le frnçais, et moi pour le plaisir de parler en français. Depuis qu’elle a fini ses études (maîtrise de français, maîtrise d’anglais à l’université des langues étrangères, diplôme d’un institut de formation des enseignants) elle enseigne dans des écoles privées (ouvertes à tous ceux qui peuvent payer; l’enseignement supérieur public n’est ouvert qu’aux lauréats des concours, ou à ceux qui ont été inscrits par leur unité de travail ou d’éducation, et l’enseignement primaire et secondaire public est réservé à ceux qui sont légalement résidents). Elle travaille le soir et le samedi-dimanche, est payée à l’heure (plutôt bien, les écoles ont du mal à trouver et à retenir les bons enseignants), ce n’est pas l’idéal pour une jeune mère de famille dont le mari travaille aux heures « normales », et quand sa fille aura grandi la vie sera compliquée. Elle aime enseigner. Son projet était de trouver un travail stable dans une université ou un institut public. Elle vient de réussir, et l’après-midi après notre séance de travail, elle sera reçue officiellement et signera son contrat avec un institut de formation des adultes où elle enseignera l’anglais.

Elle a apporté avec elle son dossier individuel. C’est une grosse enveloppe qui contient toute l’histoire de sa vie officielle depuis l’école primaire. Les grands caractères dangan dai signifient archive sac. Il y a dedans des relevés de notes, des originaux de diplômes, des contrats de travail, des attestations d’employeurs et aussi, peut-être, des appréciations du représentant du Parti ou des résumés de condamnations.

Le dossier vu de l’autre côté. Les gros caractères à droite feng tiao fermer ruban signifient « scellé ». Le reste du texte est le nom et l’adresse de l’organisme qui a posé le sceau. C’est le tianjinshi hexiqu gonggong jiuye (rencai) fuwu zhongxin, municipalité de Tianjin, district rivière ouest, service public, emploi (homme de talent = ressources humaines), office, centre. Hexi, c’est le quartier où nous sommes. C’est là que le dossier était déposé. Si j’ai bien compris, Justine a retiré son dossier et a rendez-vous avec un représentant de son nouvel employeur et un agent du service municipal de l’emploi du district où est l’institut pour qui elle va travailler. L’agent du service ouvrira le dossier, et à la fin de l’opération d’embauche, mettra le contrat de travail dedans (ou bien dans une enveloppe neuve de son service), le refermera avec un scellé neuf, et écrira son nom en bas à gauche du côté face . Puis le dossier sera conservé par le service municipal, ou bien par l’institut. L’important, dans l’idée du dossier, c’est que l’intéressé ne soit jamais seul avec le dossier ouvert; il pourrait en retirer quelque chose ou remplacer un vrai document par un faux. Celui qui part travailler ou étudier à l’étranger sans dépendre d’une institution confie son dossier à un service municipal. Pour obtenir une copie d’un document, on s’adresse là où le dossier est conservé.

En France, l’employeur ouvre pour chaque salarié un dossier individuel. C’est même obligatoire, et la loi décrit ce qui doit y être et ce qu’il est interdit d’y mettre. Les conventions collectives et les règlements intérieurs en rajoutent. Le salarié a le droit de le voir mais ne s’y risque généralement pas, c’est une mauvaise manière vis-à-vis de son employeur. Souvenir: ayant de bonnes raison de croire que mon employeur voulait se débarrasser de moi (j’avais raison), j’avais demandé communication de mon dossier, dans les formes pour qu’on ne puisse pas me le refuser. Le directeur des ressources humaines lui-même me l’avait apporté dans un bureau vide et était resté avec moi pendant que je le regardais. J’y avais trouvé une note de la secrétaire du directeur général sur ce que j’avais dit pendant un coup de téléphone pour demander un rendez-vous (ce n’est pas légal), et le dernier entretien d’évaluation avec mon supérieur hiérarchique manquait (c’est contraire à la convention collective). J’avais ensuite fait poser officiellement la question de ces irrégularités par les représentants du personnel (et comme j’ai aussitôt après accepté une offre de pré-retraite, l’histoire n’est pas allée plus loin). Finalement, en France c’est l’individu qui est maître de sa destinée professionnelle. Le dossier reste chez son ancien employeur et le nouvel employeur en ouvre un nouveau. Les employeurs s’échangent des informations mais ce n’est pas légal (il y a même dans les guides du bureaucrate des modèles de lettre pour répondre à une demande de renseignement personnel sans écrire des choses illégales). En Chine le travailleur traîne son passé toute sa vie. C’est le livret ouvrier comme dans Le Tour de la France par deux enfants (1877), en plus moderne et plus complet.

Revenons à la collection de documents nécessaire pour l’embauche. Il y a le carnet d’assurance santé, avec le numéro individuel, le même qui figure sur la carte d’identité et dans des quantités d’endroits, même sur les billets de train nominatifs (pour un étranger, c’est le numéro de passeport). Comme le numéro INSEE français, il contient le lieu et la date de naissance, et un rang d’inscription dans le registre, mais pas le sexe. La photo d’identité a été prise chez un photographe, qui a fourni la veste et la cravate de fille sérieuse. Apparemment, les pages pour inscrire les prestations n’ont pas beaucoup servi.

Voici le carnet de cotisation à l’assurance vieillesse des travailleurs. On y inscrit les cotisations mois par mois. C’est un document à valeur nationale. En bas à gauche « République populaire de Chine », en bas à droite « Supervision du ministère du travail ». Heureusement qu’en France les droits à la retraite ne dépendent pas de leur enregistrement par l’intéressé. Quand ma future retraite a été calculée, l’ordinateur de la caisse nationale d’assurance vieillesse avait retrouvé des mois d’emploi et de cotisation dont je n’avais aucun souvenir. On n’a besoin de traces personnelles (par exemple des bulletins de paye pour prouver qu’on a cotisé) que quand les mécaniques collectives sont défaillantes.

jiuye shiye dengjizheng ; travail, chômage, carte. Je n’ai pas compris ce qui est enregistré dessus. D’ailleurs il n’y avait rien d’écrit.

Je me suis fait expliquer pourquoi tant de choses dépendent d’un document individuel. Même l’état-civil est ainsi décentralisé. Chaque citoyen possède un acte de naissance original qu’il doit conserver ou confier à une autorité. La preuve du mariage et du divorce est dans le petit livre rouge (pour le mariage) ou bleu (pour le divorce) donné par le bureau des mariage à chacun des époux. Pour obtenir un document légal à mettre dans un dossier (une demande de visa par exemple), il faut se rendre dans un bureau de « notariat public » avec les originaux. Là un agent examine les documents, fait des vérifications s’il le juge bon, et rédige un certificat disant qu’il a la preuve de ce qu’il affirme.

Voici la pochette plastique où le bureau met les documents qu’il fabrique. Les trois derniers caractères gong zheng chu « public certificat endroit ». On peut obtenir des certificats en langue étrangère, au moins l’anglais et le français. Tout cela est payant et plus ou moins long. Le notariat public n’est compétent que pour ce qui s’est passé dans sa circonscription. Si j’apporte à Tianjin un livret de mariage de Canton, on ne pourra rien pour moi. La copie d’acte de naissance demandée à la mairie du lieu de naissance aussi souvent qu’on en a besoin, avec ses « mentions marginales » de mariage, divorce, et finalement décès, n’existe pas, parce qu’il n’y a pas l’équivalent du registre d’état-civil (aussi bien, jusqu’en 1950, c’étaient les grandes familles qui tenaient l’équivalent de l’état-civil). Celui qui a perdu ses originaux est dans une situation difficile. Celui qui s’est emparé du dossier personnel de quelqu’un lui a volé toute son identité. Tous les ans on entend parler d’étudiants qui découvrent que quelqu’un d’autre s’est inscrit avec ses diplômes et ses résultats de concours.

Dans les documents indispensables pour une embauche, voici le plus important. Jumin hukou bu. résident famille carnet. (le caractère kou, la bouche, est le symbole de l’habitant, une bouche à nourrir). Chaque carnet correspond à une habitation logeant une famille, et ceux qui y sont inscrits sont résidents de l’endroit où est cette habitation. Ainsi mon épouse est inscrite sur le hukou de l’appartement de son père, avec le titre de « première fille » (elle a eu un autre hukou en se mariant, mais en divorçant elle a choisi de « retourner chez ses parents »). Elle habite tout près mais pas là. (je ne suis pas sur le hukou, légalement je suis un membre de la famille en visite, aussi bien seuls les citoyens chinois peuvent être résidents.) Tout le monde est sur un hukou quelque part, sauf les enfants nés hors mariage. Là où on est résident, on a le droit d’envoyer ses enfants à l’école publique, de bénéficier de secours publics s’il y en a, de travailler, d’acheter les denrées rationnées (c’est périmé mais ça peut revenir) et d’être en général tranquille. Dans le cas d’un employé du secteur officiel, un résident ne cause aucun souci à son employeur. Si le nouvel embauché est d’ailleurs, l’employeur l’aidera à obtenir un changement de résidence; celui qui travaille ailleurs que dans son lieu de résidence ne peut être que travailleur précaire. C’est le cas des ouvriers de chantier en ville, qui sont presque tous résidents d’un village à la campagne. Faire venir leur famille est une mauvaise idée: les enfants n’ont pas accès à l’école. Mais ils n’ont pas nécessairement envie de devenir résidents citadins. Ils sont en quelque sorte copropriétaires des terres collectives de leur village. Mais je n’en sais pas assez. Les discussions au sujet des façons de vivre en France, par exemple vivre ensemble sans être marié, avoir des enfants sans se marier avant, laissent perplexes. Les Chinois savent que ça existe (même le nouveau président de la France vit comme ça; les deux précédents étaient plus faciles à comprendre) mais ne sont pas sûrs que ce soit une bonne idée.

Une digression pour finir: ce qui me réjouit chaque fois que j’ai entre les mains un document officiel chinois, c’est la belle image ronde qui l’orne. Sous la grande étoile au-dessus des quatre petites étoiles, on reconnaît la Porte de la Paix Céleste, Tian an men, qui marque la limite entre le palais de l’empereur et la ville de ses sujets. Du haut de la galerie de la porte, on a proclamé pendant cinq siècles la parution des décrets impériaux. C’est de là que Mao a annoncé le commencement de l’ère de la République Populaire. Est-ce qu’on imagine la colonnade du Louvre des rois de France ou la façade de Versailles comme symbole de la 5e république ?

La prochaine fois nos parlerons d’autre chose. Du Musée des Trois Gorges de Chongqing, par exemple.

Histoire virtuelle

Je devais écrire un autre article sur Chongqing, mais ça attendra. Il a fait beau, je me suis promené. Lundi, mardi, mercredi c’étaient les vacances pour tout le monde ou presque et j’ai fait pour la première fois le tour en bateau-mouche sur la rivière.

Et j’ai lu « Virtual History », un livre collectif d’historiens britanniques et américains qui racontent ce qui serait arrivé si … . Si le roi Charles 1er (celui qui est décapité en 1649 dans 20 ans après d’Alexandre Dumas) n’avait pas été aussi peu décidé à gagner, il n’y aurait pas eu de Cromwell ni de révolution en Angleterre.  Si les 13 colonies américaines n’avaient pas déclaré leur indépendance en 1776 (ou si Washington et Lafayette avaient échoué),  Lincoln aurait été Gouverneur Général et il n’y aurait pas eu de Guerre de Sécession quand la Couronne aurait finalement aboli l’esclavage. Pas de chapitre pour raconter la grande réforme de la France par le roi Louis XVI qui profite des Etats Généraux pour supprimer les privilèges de la noblesse et rétablir les finances du Royaume en nationalisant les biens de l’Eglise, le livre est centré sur le monde anglo-saxon, mais vous voyez le propos.

J’aurais aimé trouver le même ouvrage sur la Chine. Si l’empereur Qianlong avait bien reçu l’ambassadeur Macartney en 1793 au lieu de lui dire « En Chine nous avons tout. » , l’empire chinois aurait commencé à se moderniser 70 ans avant le Japon, les aventures du prince héritier paraîtraient dans Voici (et le chinois serait la première langue internationale, il y a de bonnes chances). Le Président Mao avait son avis sur les présents possibles : « Si les Japonais n’avaient pas eu l’idée de coloniser la Chine en 1930, je ne serais pas président. »

Le dernier chapitre, « 1989 sans Gorbatchev », explique très sérieusement que l’effondrement du communisme n’était pas fatal. Si, au lieu du Gorbatchev de la perestroïka applaudie par l’Occident, il y avait eu un autre Brejnev, sûr de sa cause et de la nécessité de maintenir l’Union soviétique contre la puissance impérialiste américaine, les chars auraient de nouveau roulé dans les rues de Prague et de Leipzig, il y aurait eu quelques martyrs, et les Deux Blocs pour encore une génération. Le Monde Libre existerait encore comme une espérance (et les capitalistes auraient été maintenus dans le devoir par la crainte du communisme au lieu de se lancer à l’attaque de la protection sociale comme le fait l’Europe en ce moment, mais c’est moi qui extrapole).

Il y a dix jours le monde a célébré (dans la discrétion, je n’ai pas vu grand-chose à la une des journaux), le 24e anniversaire du 4 Juin. Un autre évènement qui aurait pu ne pas avoir lieu.

L’image parue dans Weibo est restée plusieurs heures en ligne; il parait que c’est sa multiplication qui a alerté les surveillants de l’internet chinois. Ils avaient identifié le Canard de Hongkong et n’y voyaient rien de mal.

(image empruntée à Courrier International)

On peut imaginer qu’il ne se soit rien passé. Après les semaines de manifestations, les étudiants seraient rentrés dans leurs universités et les citoyens ordinaires à leurs occupations. Le vieux Deng Xiaoping n’aurait pas dit « Heureusement que nous les vieux nous étions là pour décider », il aurait dit « Heureusement que j’étais là pour expliquer aux vieux qui n’avaient rien compris. » Et le Parti n’aurait pas le gros souci de démontrer qu’il ne s’est rien passé. A écouter, le témoignage de Renaud de Spens, qui se lève tôt pour voir ce qui parait avant que ce soit effacé. D’autant plus que ça ne marche plus. Tous ceux à qui j’en parle savent (ce n’était pas le cas il y a 5 ans).

(image de Tardi empruntée au Cri du Peuple)

Aussi bien, le Parti ne fait pas le bon raisonnement. Il suffit de demander à un étudiant français ce qui s’est passé le 28 mai 1871 (ou le 18 mars). A l’époque, après la fin des massacres et des incendies, procès à grand spectacle, et construction du Sacré-Coeur de Montmartre pour célébrer les vainqueurs de la Commune. En France tout le monde (sauf ceux qui y tiennent) a oublié. Je ne suis même pas sûr qu’on l’enseigne encore au lycée. Pourtant c’est la vraie fondation de la république en France, et depuis, à part l’une ou l’autre péripétie, ce sont les électeurs qui décident, pas une minorité de citoyens armés. Même si on pense que leurs rêves étaient plus beaux que la médiocrité qui a régné ensuite. En attendant, ils sont morts, et bien plus nombreux que ceux du 4 juin.

photo prise à Guwenhuajie, rue de l’Ancienne Culture, le 12 juin, jour férié.

Il y a une autre question. Est-ce que les conséquences politiques auraient suivi ? Est-ce que la démocratie se serait installée à la place du système crispé où rien de ce qui bouge ne doit être visible du dehors. Là-dessus, il y a l’avis rapporté par Jean Louis Rocca dans son livre Une sociologie de la Chine (2010) : « En définitive, le régime des réformes est le seul à avoir réussi ce que beaucoup ont tenté : faire des Chinois prospères et une Chine puissante. Et on lui en sait gré. A telle enseigne que même des vétérans des mouvements démocratiques confient parfois avec amertume que, finalement, si le mouvement de Tiananmen avait réussi, on n’en serait pas là, mais sans doute à la place de la Russie. » Personnellement je n’y crois pas du tout. L’encadrement social ici est très fort et bien accepté. Le monde aurait continué de tourner, avec des arrangements.

Il y a un autre point de vue, celui de quelqu’un dont je ne vais pas écrire le nom, parce que cette page risquerait de ne plus s’afficher en Chine. Il est en prison en ce moment, pour avoir écrit que dans son pays on vit dans le mensonge. Son avis : « Le système démocratique produit par le processus de modernisation — la règle de la majorité — est effectivement un jeu de sécularisation centré sur les échanges d’intérêts, et même sur la généralisation de la médiocrité. Mais, premièrement, les échanges d’intérêts doivent suivre des règles claires, des règles d’échange justes, garanties par la loi à l’extérieur et par la conscience à l’intérieur. Or, en Chine, l’intérêt a remplacé la loi et la conscience pour devenir le seul pilier du système de gouvernement par les hommes, du règne de l’impudeur et du manque de respect pour les lois. Deuxièmement, la valeur fondamentale qui soutient le système démocratique — la liberté — est une qualité noble innée qui transcende la mesquinerie. Sans un système de valeurs qui accorde la priorité à la liberté, la démocratie non seulement peut aboutir à élire des tyrans comme Hitler, ou à la dictature d’un homme ou d’un parti au nom du peuple, mais elle peut aussi aboutir à l’absorption des qualités de noblesse, de dignité et de beauté par la médiocrité de la majorité anonyme. » (La philosophie du porc, article de septembre 2000). Si la démocratie, ou un début, s’était installé en 1989, il aurait écrit à peu près la même chose, mais on ne l’aurait pas persécuté pour ça.

Les citoyens ordinaires comme mon épouse (pas moi, puisque je suis un étranger en visite) ne s’expriment pas de cette façon. Pourtant ils aimeraient bien avoir la moindre assurance sur ce qui va leur arriver. Un exemple: tout près de chez nous, on a ouvert le chantier de la station de métro de la ligne 5. Pour cela on vient de démolir deux immeubles de la résidence à côté de la nôtre, et deux aussi de l’autre côté du carrefour. Les résidents se croyaient tranquilles. Les façades avaient été ravalées et redécorées en 2008, en l’honneur des Jeux Olympiques. Ce n’est même pas pour laisser la place à la station, qui sera sous le milieu de l’avenue; c’est pour tracer plus facilement la rue provisoire qui contourne le chantier. Quand ce sera fini, on pourra reconstruire autre chose à la place, et c’est probablement le but de la manoeuvre. Les propriétaires ont été indemnisés, à la valeur modeste de leur vieil appartement des années 1980, sûrement pas de quoi acheter quelque chose de moderne dans le même quartier. Nous (l’appartement de mon épouse) y avons échappé pour l’instant, et comme fonctionnaire elle saura faire défendre ses droits. On vit ici dans quelque chose qui est complètement oublié en France: l’insécurité générale. N’importe quoi peut arriver, à la fantaisie de ceux qui prétendent représenter l’intérêt général (le Parti, donc). S’ils avaient des comptes à rendre à d’autres que leurs chefs et leurs confrères (à des électeurs, à des juges qui ne sont pas des confrères), leur vie serait moins tranquille. C’est ça aussi que la répression a évité.

Le chantier du carrefour avec une sortie du métro (ligne 1, ouverte en 2006). L’immeuble bas couleur ocre est un hôtel, qui était caché par la barre d’immeubles à peine plus hauts (5 étages) qui a été rasée. Le photographe est devant l’entrée de l’autre résidence abattue. 

Quand même, je suis sûr que la prospérité est en train de libérer tout doucement la société. Je vois des femmes voilées dans la rue, de plus en plus (j’affirme: je suis attentif à ça, j’ai vu pour la première fois des voiles à Xi’an il y a cinq ans, et maintenant il y en a à Tianjin). Aussi bien, la jeune femme en tenue d’été est la fille ou la belle-fille, et on admirera la voiture d’enfants high-tech. Photo prise à l’entrée de la rue de l’Ancienne Culture mercredi 12.

Un autre signe qui vaut ce qu’il vaut: il y a de plus en plus de blondes (les filles russes ont les cheveux moins raides et d’une couleur plus naturelle, c’est bien une Chinoise), signe qu’on a le temps et les moyens de se faire blondir. Il y a aussi de plus en plus de chiens, des petits et des gros. En 2006, les grandes municipalités avaient lancé à la demande de l’Etat un programme de permis obligatoires à des prix délirants (5000 yuans à Pékin, plus d’un mois d’un salaire correct). Tout ça a été réduit, faute de pouvoir punir tout le monde.

En me relisant, je m’aperçois que cet article est un rien incohérent. Tant pis, c’est écrit. Et puis ça m’agaçait tellement de lire dans les journaux qui pensent bien (Le Monde, par exemple), des articles où les journalistes sont obligés de n’annoncer que des mauvaises nouvelles sur la Chine, tirées de la réalité (ça ne manque pas, il suffit de lire les journaux chinois pour en faire provision) ou carrément construites (pour en avoir un exemplaire, lire l’article, déguisé en post de blog, du Monde sur le « reportage »video au Tibet que l’ambassade de Chine en France a essayé de faire interdire de diffusion, comme si on était encore au temps de Les Chinois à Paris, film de Jean Yanne qui inquiétait l’ambassadeur de Mao; regarder la video, oeuvre d’imagination à partir d’images touristiques, et lire les commentaires, encore plus délirants que le texte.) Une exception quand même: le blog des correspondants du Monde en Chine, qui prétend ne parler que de Weibo et du reste d’internet, et qui va bien plus loin. Lire leur analyse du Rêve chinois de Xi Jinping, qui a pris la succession de la Société harmonieuse de Hu Jintao. Le clip de propagande, à regarder, est le pain quotidien des interludes de la télévision centrale.

Professeur étranger à Chongqing

Suite de l’article précédent. Le matin je contemple le paysage du campus de l’Université de l’industrie et du commerce de Chongqing. A droite, les dortoirs du groupe nord, plus bas les instituts d’enseignement, et au loin le monde extérieur. Dans une grande ville, il y a toujours plusieurs universités, qui affichent une spécialité _ jiaotong, transports _ youdian, poste et télécomunications _ shifan, formation des professeurs ou université normale, et d’autres ;  mais il ne faut pas se fier au titre, on y fait de tout.

La logique est quand même respectée;  Lucas enseigne à l’International business school (IBS), dont voici le caillou emblématique, guójì shāng xuéyuàn international commerce institut (c’est plus chic en caractères traditionnels) dans la section française du cycle 2+2, deux ans de formation de base et d’apprentissage de la langue étrangère, puis deux ans à l’étranger dans une école de commerce (en France ou au Canada). Ceux qui sont suffisamment bons en français partiront, les autres auront un diplôme mais sans le brillant des études à l’étranger. Donc les étudiants travaillent.

D’ailleurs ils ne sont pas si mal installés. Je suis allé écouter le cours de première année (méthode Reflets), et j’ai respiré l’ambiance du campus.

Sortie des cours à midi. Le secret de l’ardeur au travail des étudiants chinois est simple: le campus est immense (il y a une dizaine de lignes de mini-autobus pour aller des bâtiments des cours aux dortoirs, et il faut 20 minutes à pied de l’entrée jusqu’aux dortoirs les plus haut placés) et on n’a jamais besoin d’en sortir.

Un coin de dortoir vu d’en bas. Il ne gèle pas ici, les chauffe-eau sont dehors et les escaliers sur des galeries extérieures. Chaque balcon donne sur une chambrée de 4 ou 8, on n’est jamais seul ou invisible.

Calligraphies et dessins d’un club artistique. La caisse en carton est là pour recueillir les votes de ceux qui viennent admirer. On est très haut dans le paysage. Les boutiques et les cantines sont en bas. Mais revenons au sujet.

Ce soir, c ‘est la veille du congé du 1e mai. Je suis assis dans le public du concours oratoire des étudiants. Chaque participant doit monter à la tribune et parler en français devant ses camarades et un jury sur un sujet qu’il a choisi dans un thème imposé. Il a aussi composé une affiche pour parler de lui-même.

Julien est en première année, si je me souviens bien. C’est un jeune homme sérieux et il s’est photographié devant la porte de sa chambrée au dortoir.

Ce thème, c’est « travailler », mais on a le droit de raconter ce qu’on veut.

Ils s’en tirent très bien en français, et c’est plutôt le manque d’assurance en public qui les empêche d’être vraiment convaincants; exercice éducatif renouvelé de la rhétorique des collèges du temps du Roi-Soleil. Petit diplôme souvenir pour tout le monde. Sur la banderole et sur l’écran fayu yanjiang bisai français discours concours .

Tout le monde sur scène. Celui qui a son  menton à l’ombre est le professeur principal de français; le directeur de la pédagogie, qui a l’âge d’être le grand-père de tout ce monde, n’est pas venu. Lucas, professeur étranger qui s’est dévoué pour participer au jury, a eu droit à une petite enveloppe rouge cadeau pour ses heures supplémentaires.

Donc c’est le moment de parler des « experts étrangers » qui m’ont accueilli dans leur grande maison pendant une semaine  waiguozhuanjia lou, extérieur-pays expert-famille, immeuble. J’avais découvert le statut de waiguozhuanjia en lisant « River Town », où Peter Hessler, volontaire du Peace Corps pour enseigner la langue anglaise et la civilisation américaine, raconte ses deux ans à l’école normale d’instituteurs de Fuling, une petite ville au bord du Changjiang, aujourd’hui à moitié submergée par les eaux du barrage des Trois-Gorges (y compris le rocher où sont gravés 1500 ans d’enregistrements des hauteurs d’eau,  devenu un site de l’UNESCO). C’était en 1996. Avec son collègue Adam, il était le seul étranger à enseigner dans la ville. La direction de l’école normale leur avait préparé de beaux appartements et prévoyait de construire pour eux un court de tennis, tout en s’inquiétant de leur influence sur les élèves. Au même moment, les professeurs étrangers de l’Institut des langues étrangères de Tianjin habitaient la « villa des experts étrangers » entourée d’un mur, avec sa boutique et son restaurant, et sa conciergerie, où les visiteurs ne pouvaient entrer qu’en s’annonçant à l’avance et en remettant leur carte d’identité; ça a duré jusqu’en 2011. Jusqu’aux années 1990, c’étaient les résidents qui devaient annoncer à l’avance qu’ils partaient se promener.

A l’université du commerce et de l’industrie de Chongqing, les experts étrangers, qui sont une quarantaine, habitent deux immeubles d’appartements, des sortes de suites d’hôtel trois étoiles avec cuisine, très plaisants (voir le paysage au début de l’article) mais trop petits pour recevoir en groupe, et surtout isolés au-dessus du campus, dans une allée privée qui dessert des villas  cossues. Pour visiter un professeur chez lui, un étudiant doit franchir une porte avec barrière et corps de garde, après avoir monté l’équivalent de dix étages depuis les dortoirs.

Depuis le bord du lac au centre du campus, entouré par les grands bâtiments d’enseignement, Lucas désigne la terrasse de son appartement, loin, loin là-haut sur la pente boisée.

Pour compenser un peu cette mise en isolement, l’administration de l’université fait circuler un minibus navette aux heures des cours, et organise régulièrement un shopping en voiture avec chauffeur au Metro, le paradis des bonnes nourritures importées, en principe réservé aux professionnels.

Lucas, Suisse, et René, Canadien, contemplent le rayon des vins français, australiens, espagnols, chiliens. Le choix est vaste et excellent.

Cinq litres à 168 yuans, à 8 yuans par euro, ça met le litre de bonne bière allemande à 4.2 euros. Le vin importé n’est pas beaucoup plus cher qu’en France. Ce n’est que la continuation d’une vielle tradition. A la fin du XIXe siècle, l’intendant d’une expédition de géographes-arpenteurs américains dans la région raconte qu’il avait pu s’approvisionner en bière de Munich.

Du beurre néo-zélandais (2 euros la plaquette de 250 grammes) ou normand (plus cher). Le beurre est encore exotique en Chine, mais ça vient, et ce n’est pas la faute des étrangers.

Pur lait de vache allemand, 3.5% de matière grasse, conditionné pour l’exportation en brique d’un litre (le lait chinois ou mongol ou sibérien est en petits coussins de 240 grammes, vendus à l’unité, pas cher, et par 12 ou 16 dans une caisse en carton). Là aussi, ce sont les habitants de Chongqing qui font le succès des importations, les étrangers n’y suffiraient pas. Ceux qui ont les moyens, non pas de payer (c’est à peine plus cher) mais d’aller chercher les produits dans les profondeurs de Metro.

Pour revenir au sujet principal, toutes les universités ne traitent pas leurs maîtres étrangers comme cela. Beaucoup leur fournissent un appartement « en ville » pas trop loin des portes du campus, et les laissent vivre comme ils veulent.

Donc à quoi ressemble la vie d’un enseignant étranger ? Précisons tout de suite que je ne parle pas des professeurs détachés par l’Education Nationale française, ni des professeurs d’université américains en tournée de conférences. Le waiguozhuanjia a un contrat local, bien plus généreux que celui d’un professeur débutant dans la même université, payé moins de 400 euros par mois et logé dans une chambre d’étudiant (pas une chambrée quand même). Mais il n’y a pas de quoi rester relié aux bienfaits du pays d’origine (en France, cotiser pour la retraite et profiter de la couverture sociale; la Caisse des Français de l’Etranger (CFE), qui est faite pour ça, absorberait entre le tiers et la moitié de la paie d’un contrat correct). Donc celui qui a décidé de faire ça a choisi l’aventure, comme un entr-acte entre les études supérieures et l’entrée dans le moulin des carrières, ou en pariant sur la précarité prospère à long terme.

Image de l’expert étranger en train de festoyer avec ses collègues, avec quelques jolies étudiantes. Ici nous sommes chez Liuyishou, la meilleure maison de huoguo (fondue chinoise du Sichuan), à 500 mètres de l’entrée du campus, de l’autre côté de l’avenue.

Devant le chaudron de bouillon épicé de la fondue, un pot de quelques litres de bière pour la tablée. Celui qui a en charge une dernière année de licence ou une classe de maîtrise, a des étudiants à encadrer, des rédactions de mémoire à suivre, et ne peut pas se permettre trop souvent des lendemains pas clairs; mais celui qui a une classe de première ou de seconde année, avec des séances de méthode audiovisuelle à animer, peut se permettre de faire la fête plus que de temps en temps.

Or faire la fête dans le quartier ne demande pas des ressources fastueuses (ici le Barbecue, un autre institution de la communauté). Chongqing n’est pas Shanghai (ni même Tianjin) avec ses restaurants véritablement français.

Autour de la table, un Suisse et un Américain,

une Marseillaise, un Français. Sur la table, des plats chers de la carte, ce qui met la soirée au prix d’un repas ticket-restaurant en France, plus les boissons mais il faut presque faire effort si on veut boire pour cher. Florence la Marseillaise est amateur d’opéra, et va régulièrement au centre de Chongqing en écouter, pour le prix d’une bonne place de cinéma à Paris, taxi du retour compris. Un professeur de lycée titulaire débutant en France aurait du mal à vivre aussi bien (mais il a l’éternité de la fonction publique devant lui,  un waiguozhuanjia les prochains semestres).

Portrait de la famille qui tient une des boutiques du Barbecue, et quelques uns de ses clients derrière.

Finalement, la vie de l’expert étranger n’est pas si éloignée de celle d’un Chinois moderne qui a choisi de ne pas s’installer trop vite. Il y a une autre espèce d’expert étranger, le jeune retraité Occidental qui a décidé de valoriser son savoir professionnel en l’enseignant dans une institution chinoise pendant quelques années, avec une paie qui assure le train de vie local. Les Américains ont des filières organisées; les Français, apparemment pas, mais je ne sais pas grand-chose.

Il est interdit à l’expert étranger de s’activer à autre chose que l’enseignement pour lequel son institution a obtenu un permis de résidence et une carte d’expert étranger. J’en connais un qui avait eu la mauvaise idée de donner aussi des cours dans une école de langues privée; il n’est plus en Chine. Mais tout ce qui est culturel est ouvert. Voici un exemplaire du flyer de l’évènement musical monté par Lucas: le 29 avril il a ressuscité pour une soirée le groupe suisse des Ouais, c’est même pour être dans le public que je suis à Chongqing ce jour-là. Ca se passe au Jianguo, 坚果,le dur-fruit, La Noix, le seul bistrot musical occidental du lieu recensé par le guide Lonely Planet. C’est de l’autre côté de la ville, à côté de l’université de la province de Chongqing comme le dit le flyer. Aspect éducatif: des dizaines d’étudiants en français de l’université feront la traversée, et pour ceux de première année, ce sera peut-être leur première sortie du soir hors du campus. Trois quarts d’heure en taxi ou en autobus, la ville de Chongqing n’est pas petite.

La guitare est un prêt d’un confrère américain, la batterie celle du Nuts (groupes en live le soir, et DJ après), et le batteur un vrai rocker (une video dès que j’aurai résolu le mystère technique qui m’empêche de l’installer).

Le bar est tenu par un Chinois qui a l’air d’un étudiant sérieux, et un Occidental qui s’est fait la tête de l’emploi.

Clientes occidentales (donc exotiques pour la plus grande partie de ceux qui fréquentent l’endroit).

Les prix des boissons exotiques sont sages. Je me fais servir une Corona pour le dépaysement (12 heures de décalage horaire avec le Mexique).

Dehors, l’artiste se détend avec un de ses fans. Le patron du Nuts, impressionné par l’affluence, veut lui monter une autre soirée.

J’espère que ceux qui se sont reconnus dans ce que je raconte ne vont pas me tomber dessus pour dire que je n’ai rien compris à leur vie ni à leur idéal.

 

Digression. Tout à l’heure j’ai parlé de Peter Hessler au temps où il était expert étranger. Depuis, il s’est installé en Chine comme journaliste en résidence pour les grandes revues, National Geographic et New Yorker.  Il a épousé une Chinoise (rien à voir avec la Chine, elle est journaliste américaine; mais ils peuvent se disputer dans deux langues). Son dernier livre Country Driving, journal de voyages en voiture à travers la Chine, a été traduit en chinois et en français.

Ca vaut la peine de le lire. Rien à voir avec le ton catastrophé  obligatoire dans les journaux français qui pensent bien. Bien plus joyeux et bien plus méchant. C’est peut-être pour ça que la traduction en français a tant tardé.

Même chose pour le livre écrit par Leslie T. Chang, sa femme. Fatiguée de lire des articles bidons sur l’horreur des usines chinoises, elle s’est déguisée en jeune Chinoise qui cherche du travail dans une zone industrielle de la côte, là où les filles de la campagne débutent logées dans un dortoir et commencent leur ascension sociale. Ce n’est pas la misère qu’elles fuient, mais la mère et la candidate belle-mère; c’est la faute à l’école secondaire qui leur a fait découvrir qu’il y a autre chose que la vie au village (je simplifie).

Tous ces livres sont disponibles en numérique (heureusement, sinon j’aurais eu du mal à les lire), sauf en français, bien sûr (la France est un pays où les éditeurs sont sous-développés).

Vol vers Chongqing

Chongqing, c’est aussi loin de Pékin ou Tianjin que Varsovie de Paris. C’est la grande ville sur la Longue Rivière (Chang jiang, ou Yangtsé),  juste avant qu’elle traverse les montagnes par les Trois Gorges pour aller du Sichuan (la province des quatre rivières) au Hubei (la province au nord du lac) avant d’arriver à l’Océan Pacifique près de Shanghai. C’est aussi l’occasion de distinguer les journalistes fainéants (Chongqing, la plus grande ville du monde, 30 millions d’habitants) de ceux qui se sont renseignés (la municipalité de Chongqing, 30 millions d’habitants, est deux fois plus grande que la Belgique, et la ville de Chongqing elle-même a 8 millions d’habitants, ce qui n’est pas mal).

Tianjin est en haut à droite, Chongqing en bas à gauche, Xi’an entre les deux, Shanghai en bas à droite. Pour mieux voir, cliquer sur la carte.

C’est à Chongqing que mon ami Lucas enseigne le français cette année (l’an dernier à Xi’an, l’an prochain dans le Sud, jusqu’à ce qu’il parle bien chinois).

J’aime voyager. Mais le plus souvent j’attends que mon épouse soit en vacances. Nous partons ensemble. Elle est très inquiète quand je pars tout seul, même aussi près que Pékin. Avant c’était parce que je ne saurais pas me débrouiller dans un pays étranger; maintenant c’est parce que je suis vieux et fragile. Mais si elle sait que quelqu’un m’attend à l’arrivée, elle se rassure. J’en profite donc. J’ai essayé de prendre le train (24 heures de Pékin à Chongqing). Autour du 1e mai c’est une tâche impossible. Le premier jour de mise en vente des billets aux guichets, dix jours avant le départ, il ne restait pas une place, même en couchette molle (compartiments fermés, 4 par compartiment, au lieu de 66 dans un espace ouvert pour les couchettes dures; sinon ce n’est pas plus moelleux, la Chine n’est pas le pays du moelleux), qui coûtent plus de la moitié du prix de l’avion. Il faudra que j’apprenne à commander un billet sur Internet. Je prends donc l’avion.

 J’aime prendre l’avion. Rien que le tableau des départs me fait plaisir (Tianjin n’a que des vols intérieurs ou presque; cliquer pour lire le tableau). Et il y a les avions. Je suis de la génération qui a entendu Gilbert Bécaud dimanche à Orly.

Cette vieille dame qui pose n’est pas blasée non plus. Elle fait partie d’un groupe troisième âge qui rentre à la maison, près de Chongqing, après une excursion à Pékin et Tianjin.

C’est très difficile de prendre une bonne photo dans un aéroport. Les vrais avions sont dehors au soleil derrière les vitres et il n’y a pas moyen d’ éclairer assez le sujet. Mais l’administration de l’aéroport est attentive aux désirs de ses voyageurs.

20 yuans l’image plastifiée 18×24 cm. 30 yuans la grande image, avec un porte-clés au même décor. Et les photographes sont charmantes.

Photo volée (j’ai copié un de leurs échantillons sur leur comptoir). J’espère qu’elles ne m’en voudront pas.

Un peu plus tard, j’attends l’embarquement dans le vol PN6238 (Xibu Hangkong, Air Ouest, une des nouvelles compagnies régionales indépendantes; mais c’est une fiction, ce sont toutes des sociétés de l’Etat et des provinces). Le groupe de Chongqing fait déjà sagement la queue. Les sacs carrés sont des grandes boîtes de Shibajie Mahua (chanvre de la dix-huitième rue, une friandise bourrative, biscuit filé en forme de corde tordue qui enferme des cristaux de sucre parfumé; le souvenir qu’il faut rapporter de Tianjin).

Il n’y a personne de plus redoutable qu’un groupe troisième âge de touristes de la campagne. Si j’étais le gouvernement chinois en train de contester au Japon la souveraineté sur l’archipel Diaoyu , j’enverrais une flotte de bateaux de croisière et je ferais débarquer leurs passagers avec parasols, tables de jardin, et coffres chargés de petites boîtes blanches de pique-nique. Le Japon n’aurait rien pour s’opposer à l’invasion.

J’aime beaucoup la fiche d’instructions de sécurité de Western Airlines. On croirait presque qu’un atterrissage d’urgence est une partie de campagne. Cinq langues, dont le japonais, le russe, et le coréen.

L’avion part vers le nord, puis revient survoler le centre de la ville. La gare est en bas à droite. On apercevrait presque notre résidence quelque part en haut à gauche (cliquer pour voir une grande image). La couleur bizarre du paysage est l’effet secondaire de la machine à voir à travers la brume que j’ai utilisée pour améliorer les images. Dans la réalité, l’air est un peu brouillé comme presque toujours, sauf par grand vent.

Suite de la leçon de géographie : un morceau de campagne hautement occupée, avec une autoroute sur pilotis pour ne pas prendre trop de place, la rivière à gauche, et un canal. Les stries blanches sont des serres.

Un autre morceau de plaine. A gauche ce n’est pas une ville, mais un village.

Nous sommes sortis de la plaine, vers les montagnes à l’est de Xi’an, et les hommes ne remplissent pas complètement le paysage, mais ce n’est pas faute d’essayer. En haut, un lac de barrage.

Ca doit être pas loin de Xi’an, d’après l’heure. En haut, le plateau d’argile (le loess des manuels) entaillé par les vallées. Partant du bas, une voie de chemin de fer disparait dans un tunnel.

Pas de paysage pendant une heure. Nous approchons du Sichuan, pays pluvieux. Le terrain réapparait tout près de Chongqing, après que l’avion ait traversé les nuages. Pas de doute, c’est un autre pays, en pente enfin.

Les gens de Chongqing vont reconquérir leurs bagages. Je les verrai encore, toujours en groupe, partir vers la gare des autobus.  Je m’adresse au guichet des billets de la navette vers le centre ville où je compte monter dans le métro pour atteindre l’université loin au sud. Les hôtesses me dissuadent d’acheter leur marchandise. Il est bien plus simple de prendre tout de suite le métro.Il y a un distributeur automatique de tickets.

Rien de plus simple. La station est sous un coin de l’aérogare. A Pékin, le métro est logé dans un palais relié au terminal 3 par un pont. La municipalité de Chongqing a d’autres occasions de faire des monuments grandioses, ses ponts sur la vallée du Changjiang par exemple.

Soleil couchant. Tout s’est bien passé. Je suis dans ma chambre de la résidence des experts étrangers où Lucas a son appartement. Devant nous, le campus de l’université de l’industrie et du commerce, Gongshan Daxue, sa forêt, son lac de barrage. A droite les dortoirs des étudiants, à gauche quelques unes des villas du domaine fermé pour riches; la résidence des experts est la plus modeste près de l’entrée. Demain j’irai écouter les cours de français, rencontrer les collègues de Lucas, et m’asseoir dans le public du concours oratoire des étudiants de première année. Puis ce seront les vacances du 1e mai, et Lucas en concert, c’est pour l’écouter qu’il m’a invité. J’en parlerai plus tard. (dommage pour ceux qui vivent à l’intérieur de la Grande Muraille: cette video est inaccessible, contrairement à Gilbert Bécaud qui est sur Dailymotion Chine, autorisé depuis peu.)

Une dernière photo aérienne, de toute la ville vue du sud. C’est la maquette géante de la ville comme elle sera en 2020. J’ai marqué l’université d’une croix, sur la limite entre le jaune et le vert près du centre de l’image. A droite le Changjiang coule vers les Trois Gorges. Le nom de la ville est calligraphié sur fond de nuages.

Le tremblement de terre à la télévision

On en a parlé en Europe, mais peut-être pas tant que ça, si j’en crois les journaux français. Samedi 20, il y a eu un tremblement de terre dans le Sichuan, la province de l’ouest, sur le Fleuve Bleu en amont des Trois Gorges. Aux dernières nouvelles, il n’y a « que » 200 morts, et quelques dizaines de milliers de familles n’ont plus de logement. Mais après la catastrophe du 12 mai 2008 à Wenchuan dans la même province, ça a été une grande émotion nationale. J’ai vu le tremblement de terre à la télévision.

Ce qui est remarquable, c’est que la nouvelle est passée tout de suite en images. La terre a tremblé à 8 heures 3 minutes. A 9 heures et demie on voyait déjà des images, pas grand-chose, un mur dont le parement en granit s’était effondré, et des gens dans les rues de Ya’an (1.5 millions d’habitants) qui racontaient comment ils étaient sortis de chez eux dès qu’ils avaient senti la secousse. Pour le tremblement de terre de 2008, si je me souviens bien, la nouvelle était passée tout de suite, mais la première image avait été le premier ministre Wen Jiabao dans son avion, des heures après.

La carte du Sichuan et une rue de Yan’an, au journal de midi. C’est ce que nous avons vu une heure et demie après.

Ensuite sont arrivées des images de caméras de surveillance qui montraient le tremblement, et des scènes d’évacuation de dortoirs (avec le décalage horaire, 8h c’est tôt le matin à l’ouest). Visiblement tout ce qui était disponible passait en continu sur les chaînes de la télévision nationale. Pas beaucoup de dégâts en ville, surtout des gens qui parlent. Plus tard sont arrivées les photos aériennes de la campagne, qui montraient des immeubles effondrés.

Des soldats interviennent dans un village. L’image vue dans la matinée de samedi a été reprise au journal du soir, avec le bilan à 19h.

Des agents de la protection civile arrivent avec un blessé à l’hôpital local de Lushan. Les images commencent à montrer quelque chose d’organisé. Dans la matinée, un reportage en direct dans la cour du même hôpital, affecté par le tremblement de terre, montrait les malades et les blessés sur des matelas par terre, abrités par des parasols, pendant qu’on construisait les premières tentes.

Image du journal de samedi 19h, vue à l’heure de midi. Des sauveteurs embarquent dans un avion cargo.

La petite fille née presque en direct dans la cour de l’hôpital. Dimanche, on nous la montre de nouveau, sous une tente à côté de sa maman.

L’image d’une petite fille sous les décombres, vue samedi après-midi, avec les sauveteurs qui déploient une grue pour la sortir. On la reverra à tous les journaux.

Image du front. Les agglomérations sinistrées (en bas, Lushan), et les routes obstruées par les éboulements. La chaîne information n’épargne rien, même si ceux qui ne connaissent pas les lieux ne peuvent rien y comprendre.

Lundi, comme dimanche, chaque séquence de météo de la chaîne informations commence par la situation et les prévisions sur les lieux (Lushan en haut, Ya’an troisième, Chengdu, la capitale, en bas). La météo de 19h30 de la première chaîne nationale commence par la situation sur le Sichuan.

Dimanche soir. La situation de l’information est complètement reprise en main. On nous montre les militaires et les sauveteurs qui s’affairent autour de montagnes de fournitures et de matériels. Ici des tentes et des couettes pour les sans-abri.

Journal de lundi soir. Plus rien à voir avec les témoignages en désordre de samedi. Le porte-parole de l’autorité agissante fait le point.

Dans la cour de l’hôpital sinistré, les salles de toile sont bien rangées, le personnel soignant s’affaire, on a tendu des banderolles. Le journaliste témoigne que tout va bien malgré les conditions difficiles.

Reportage sur un marché de plein air de la ville. On vient de nous montrer les légumes du jour sur les étals. Un jeune citoyen témoigne que tout va bien et chante une chanson.

Le premier ministre Li Keqiang dans son avion (à droite). L’image est passée au journal du soir de samedi, entièrement consacré au tremblement de terre, comme aussi celui de dimanche. Après le journal de dimanche soir, la première chaîne a présenté un enchaînement d’un quart d’heure d’images fixes émouvantes, exactement comme celles du grand tremblement de terre de 2008, comme si la chaîne avait profité de l’expérience pour faire plus tôt.

Dans la presse, Li Keqiang a droit à des séries de photos centrées sur lui au milieu des acteurs des secours (cliquer sur l’image pour voir celle du Quotidien du Peuple).

Hier lundi soir, le journal de 19h de CCTV1, celui qui est aussi diffusé par la 1e chaîne de chaque province, est redevenu « normal ». Pendant le premier quart d’heure on voit le président Xi Jinping recevoir le chef d’Etat du jour, et un congrès de cadres. Ensuite la situation dans le Sichuan et l’activité de l’autorité, huit minutes, puis presque autant pour le H7N9, la pneumonie des poulets qui se répand chez les humains, qui aurait été la catastrophe récurrente si le tremblement de terre n’était pas arrivé.

Aujourd’hui mardi matin, le présentateur de la chaîne nationale d’information continue lance la séquence « Sichuan » sur un fond héroïque, déjà en place lundi: la carte de la province et l’épicentre du séisme, un peloton de soldats dans la montagne en direction d’un village encore isolé, l’hélicoptère qu’on verra tout-à-l’heure livrer des cartons de nourriture.  Un reportage montre des villageois devant leur maison effondrée, regardant les soldats qui montent une grande tente bleue dans leur cour et dégagent les sacs d’aliments du bétail d’un hangar en ruine. Ca veut probablement dire qu’ils ont passé trois jours isolés avant que les secours arrivent avec une caméra.

Comme je le souligne, j’ai vraiment l’impression que les journalistes ont travaillé comme ils voulaient pendant la première journée, avant de revenir dans la ligne « On montre le malheur et en même temps l’efficacité de l’autorité qui y remédie » (valable aussi pour les crimes et délits; on développe quand on dispose de la confession du coupable arrêté). Je simplifie. En 2008 c’était bien plus difficile dans une région vraiment ravagée, alors que le symbole de l’information à Ya’an est la journaliste qui allait se marier, et est sortie grande robe blanche pour interroger en direct les gens dans la rue (video à voir sur L’empire Weibo, le blog des journalistes du Monde qui suivent la Chine sur place et depuis Paris).

Pour donner une meilleure idée de ce que la télévision a montré le premier jour, vous pouvez regarder ces vidéos sur Youku (pas de sous-titres, mais les images suffisent).

Vues aériennes, diffusé samedi à 13h.

Une cour d’immeuble à 8h.  Vu 4 millions de fois.

Une autre cour d’immeuble.

La géographie des lieux. Vu 2.5 millions de fois.

Montage de vues de la première minute, télévision et video d’amateurs.

Montage d’images de la matinée, avec la naissance du bébé.

Autre montage d’images émouvantes, fixes et animées. Enchaînement automatique vers d’autres séries.

La petite fille dans les décombres.

Pour connaître le succès de chaque video, regarder en bas à gauche de l’image. Le chiffre est en dizaines de milliers de vues.

La dénomination officielle de l’évènement, qu’on voit sur les images:

Sichuan Ya’an Lushan xian 7.0ji dizhen. Quatre rivières (la province) Elégante paix (la préfecture) Roseaux montagne (le chef-lieu de canton) canton, 7.0, degré, terre, trembler.

Les photos, ont été prises sur l’écran du téléviseur de la maison, marque chinoise, qui ne marche plus très bien. 6 ans d’age, obsolescence programmée. Son prédécesseur, tombé en panne juste après que je sois arrivé, avait duré 17 ans; fabrication japonaise. La première image a été prise chez mon beau-père, pendant le déjeuner de famille. On s’est d’abord émus puis on a parlé d’autre chose.

De nouveau chez moi

Depuis trois semaines, je suis rentré à la maison. Ma chère épouse a été contente de me revoir. Elle porte le collier en faux or que je lui ai rapporté, et elle a fait une petite crise de jalousie parce qu’elle a trouvé dans mon bagage des cadeaux pour d’autres femmes qu’elle (des écharpes pour des amies qui étudient le français avec moi). Tout devrait bien aller. Mais non, ma tentative d’expérimenter pendant deux mois la vie en France « comme si je n’étais pas parti » n’était pas une bonne idée. Je n’arrivais pas à m’en remettre et accessoirement à écrire un nouvel article. Et puis j’ai lu une explication dans un nouveau livre écrit par une psychanalyste persane qui s’est réinstallée dans  son pays après vingt ans de formation et d’exercice de son métier en Amérique, et s’est remise à exercer son art, dans un hôpital et dans son cabinet.

Elle parle d’Ulysse, qui est revenu chez lui après vingt ans d’aventures. Il a retrouvé l’olivier de son jardin, et a de nouveau respiré l’air qu’il connaît. (cliquer sur la couverture pour lire une critique du livre).

En France, je n’ai pas retrouvé mon olivier (ou mon marronnier, l’olivier ne pousse pas en Bretagne ni en Normandie). Il a été déplanté, la maison de famille loge une autre famille, mes frères et soeurs et mes amis accueillent quelqu’un qui vient de loin. Et j’ai eu envie de rentrer en Chine pour voir si je retrouve les jujubiers du Jardin du Peuple.

Descente de l’avion. Derrière moi, le bâtiment du terminal 3 de l’aéroport de Pékin, le plus grand et le plus rationnel du monde. L’avion s’arrête juste hors de portée de la passerelle de débarquement, et les passagers sont invités à prendre un autobus qui les conduira de l’autre côté à une autre porte d’arrivée. Nous sommes en Chine, où tout fonctionne légèrement de travers mais pour finir aussi bien qu’à Roissy l’hyper-rationnel, et plus gentiment. Devant le tapis à bagages, une employée est là pour orienter les valises du bon côté, que les voyageur puissent les attraper plus facilement.

Une heure après, je suis dans la salle d’embarquement de la gare sud de Pékin. Les gens au premier plan attendent le même train que moi (pas très longtemps, un train toutes les 20 minutes à cette heure creuse).  Retour dans le monde peuplé. En France j’avais l’impression que le paysage était trop grand pour si peu de gens, sauf à Paris, et encore.

Quelques jours après, je suis au travail avec Justine, professeur de français qui lit des livres en français.  Sur l’image, le plateau du KFC et son bloc où elle a noté les questions à poser. C’est elle qui me permet de prétendre aux gens qui me demandent ce que je fais, que je suis professeur de français. Tout le monde est content, le questionneur qui a deviné juste, et moi qui n’ai pas à m’étendre sur la réalité, que je suis en retraite et marié à une Chinoise; quelqu’un m’a demandé un jour si elle était beaucoup plus jeune que moi. Justine a lu presque tous les livres que j’avais apportés, elle en est à La Joueuse de go, plein de mots japonais collés dans le texte. C’est l’édition pour lycéens, entourée de notes et d’explications, mais ça ne suffit pas.

Le bloc est à l’entête d’une école de langues. Tianjin duiwai liu yi xuexiao, Tianjin, étranger, retenir, facile, école. Une autre fois je demanderai ce que signifie liu yi. (rectification: Damien me signale que j’ai confondu liu avec un autre caractère qui lui ressemble; maoyi signifie simplement commerce.) Il y a des pages de problèmes sémantiques suscités par les insuffisances du dictionnaire électronique. Quelle est la différence entre l’erreur et la faute, entre les obsèques, l’enterrement, et les funérailles, ce qui amène à discuter de la mort, du décès et du trépas. Tout ce qui est vivant peut mourir, seuls les êtres humains décèdent, seuls ceux qui croient à un autre monde trépassent. Et quelles sont les règles de construction du féminin d’un métier ou d’une fonction ? acteur-actrice, menteur-menteuse, mais pas ingénieur-ingénieuse. Quand j’avais donné des vrais cours à l’Institut des langues étrangères, un professeur m’avait demandé dans quels cas il faut dire concubine, maîtresse, amante. J’avais ajouté compagne et pris pour exemple Ségolène Royal que tous les Chinois connaissent depuis 2007. Notre président Hollande sera à Pékin le 25 et le 26 avril, et il va y avoir de nouvelles questions.

Vue dans la rue en sortant, Shu Qi (dans Le Transporteur, celle qui joue la jolie fille dans un sac de voyage, Hsu Chi en transcription taïwanaise); Justine me dit « Elle est très sexuelle ». Mais non, elle est très érotique (style noble) ou très sexy (en américain). Bientôt Justine pourra lire L’Amant, de Marguerite Duras; je lui ai apporté un exemplaire de la première édition, 1984, en même temps qu’une écharpe.

Dimanche 31 mars, c’était Pâques, et samedi soir je suis allé à la cathédrale pour la messe de la nuit pascale, pour ma dévotion et aussi pour voir si la municipalité avait mis des palissades de chantier dans les rues pour boucher la vue, comme elle avait fait le soir de Noël.

Il n’y avait pas de palissades. Dans la cour devant l’entrée, j’ai acheté le cierge du feu nouveau (huit yuans le paquet de huit, avec en cadeau une vraie photo du pape François; on peut aussi en acquérir un seul, un yuan; le flacon qui a la même forme que les piliers de l’entrée est fait pour l’eau bénite, avec un goupillon incorporé au bouchon, 12 yuans).

Ca me donne l’occasion de raconter pourquoi le Parti regarde l’Eglise de Rome avec autant d’inquiétude (ayant lamentablement échoué à se débarrasser des chrétiens, Mao avait suscité une Eglise nationale séparée, dont le diocèse de Tianjin fait partie, mais la séparation fonctionne de plus en plus mal). Donc, l’histoire commence en 1952. Le général des Jésuites est chez le pape Pie XII et lui expose son projet. « Saint Père, vous savez que Staline est vieux. » _ « Je sais, moi aussi je suis vieux, le calendrier est le même pour lui que pour moi. Où voulez-vous en venir ? » _ « Nous savons aussi qu’il est très malade, et que les circonstances seront bientôt favorables à une action nouvelle, pour la plus grande gloire de Dieu. Plusieurs jeunes de notre Ordre ont étudié la politique soviétique et la philosophie marxiste, et, si vous l’ordonnez, nous allons les envoyer là-bas. » _  « Si j’ai bien compris, je n’ai plus d’autre choix que de vous l’ordonner. » Les jeunes Jésuites partent, puis il n’y a plus de nouvelles d’eux. Leurs frères les imaginent dans un camp, et prient pour eux dans la discrétion. Et un jour, en 1984, un  message codé arrive de Russie. Les cryptographes de la maison générale ont du mal à le déchiffrer, c’est un vieux code des années 1950 que personne ne pratique plus. Le message dit « Nous avons la majorité au Comité Central, nous continuons suivant le plan. Soyez prêts. »

On sait que cinq ans après le plan avait abouti, le pape Jean-Paul II ayant fait sa part. La suite a été plus ou moins inattendue. Les hauts cadres du Parti, qui connaissent Matteo Ricci (sa tombe est dans le jardin de l’école des hautes études du Parti, à l’ouest de la Cité Interdite), essaient de se rassurer en se disant que le premier Jésuite en Chine a plutôt ensemencé les idées chinoises en Europe que le contraire.

Quand j’entre dans la cathédrale, une heure avant la messe, il n’y a déjà presque plus de place. Le rite du Feu nouveau a lieu à l’intérieur, dans l’entrée. Pour le faire dehors, il aurait fallu réserver un espace libre, or par la porte ouverte on peut voir la foule de ceux qui sont arrivés trop tard pour entrer.

Toute la messe est en chinois, et j’ai du mal à suivre. Entendre « Gloire à Dieu au plus haut des cieux » en latin me fait grand plaisir.

Je reviens à la maison pas trop tard, et ma chère épouse est rassurée. Elle n’aime pas me savoir tout seul au milieu des dangers d’une ville étrangère. Mais elle n’aime pas du tout les cierges blancs que je rapporte. Cette couleur est réservée aux morts, les bougies des vivants sont rouges.

Cinq jours après, c’est la fête de Qingming, jour férié depuis peu d’années, nous sommes ensemble,  avec mes beaux-frères et belles-soeurs, au cimetière municipal du sud, pour saluer ma belle-mère et nettoyer sa tombe (en fait, sortir le coffret qui contient ses cendres de sa case, le porter dans le jardin, brûler la monnaie des morts, et s’incliner devant elle; il n’y a qu’à la campagne que tout le monde peut avoir une tombe dans la terre.) Pour voir la cérémonie de 2010, c’est ici. Encore plus de monde, et plus de voitures, que les années précédentes.

Le lendemain, je vois sur un marché une des boutiques installées pour les articles de Qingming: billets de la Banque du Ciel, lingots d’or en papier plié, baijiu en petites bouteilles, liasses de sapèques en papier, fleurs et guirlandes en plastique et en tissu. A côté des billets à l’effigie de l’Empereur du Ciel, il y a de plus en plus de « vrais » billets, des générations passées et même des billets « Mao » actuels.

Les laboureurs, la tractoriste, les tisserandes. Ce sont des billets des années 1960, quand il y avait des maoïstes en France, et quand ceux qu’on honore étaient des pères et mères de famille. J’achète un assortiment. Deux yuans pour 50 billets de cinq séries, plus une carte bancaire en carton.

Et pour me rassurer définitivement sur mon retour dans un endroit que je connais, je vais visiter le grand chantier tout près de la résidence.

Il y a six ans, on finissait de nettoyer le terrain et on démolissait la vieille mosquée du quartier (la nouvelle mosquée, un peu plus loin, était déjà en chantier). Puis il y a eu un marché de plein air, puis rien du tout. Quand je suis parti, on coulait les armatures horizontales du rez-de-chaussée, après avoir foré et coulé les piliers qui devaient les soutenir. Et maintenant on creuse les futurs sous-sols.

Le dortoir du personnel est installé le long de la rue, avec vue sur le grand trou.

On me montre le plus récent élément de confort, l’armoire pour recharger les téléphones portables. Chacun a sa case privée avec une prise de courant au fond. A l’étage au dessus, ils ont des lits superposés à trois niveaux, leurs valises et leurs couettes. Ils viennent de la campagne et ce n’est pas du confort qu’ils se plaindraient. Aussi bien ceux qui sont sur la photo sont des responsables, professionnel permanent en casque bleu, et technicien en casque rouge. Je ne suis sûrement plus en France.

Neuf semaines en France

Comme ceux qui ont lu l’article qui précède (il y a un mois et demie), je suis en France pour neuf semaines, jusqu’au 21 mars si tout se passe comme prévu. Il y avait une grande réunion de famille, qui tombait tout près de la Fête du Printemps, et puis j’avais envie de rester un peu en France, visiter mes frères et soeurs chez eux, saluer quelques amis, et vivre un peu comme je l’aurais probablement fait si le destin ne m’avait pas envoyé en Chine: un retraité sans obligations, qui vit paisiblement et s’ennuie un peu (ma chère épouse ne lit pas le français et je ne lui ai pas expliqué mon voyage comme ça; voir ce qui se serait passé si elle n’avait pas été là, ça ne lui plairait pas).

La voila avec ma valise de cabine, posant comme si c’était elle qui partait en voyage. Elle tient aussi dans sa main droite un chapelet en bois de cyprès tibétain que nous avons trouvé dans  la meilleure boutique de souvenirs de l’aéroport.

J’ai salué l’ermite du hall des départs, un homme qui s’est installé sur une banquette tout au fond. Peut-être, on lui a refusé l’embarquement alors qu’il n’avait plus rien d’autre que son billet et son grand balluchon de travailleur migrant qui contient une couette, et il attend un miracle.

A Roissy, là où je vais arriver, Mehran Nasseri, Iranien exilé, était ainsi resté 18 ans sur un canapé de l’étage des boutiques en bas du terminal I. (j’étais allé le saluer en 2005 et 2006; il vit aujourd’hui dans une communauté Emmaüs).

Hier l’air était opaque, on montrait dans les journaux les citadins de Pékin avec un masque anti-poussière sur le nez et les avions qui ne pouvaient plus voler. Aujourd’hui le ciel est merveilleusement clair et le restera jusqu’à l’arrivée. Une voie de chemin de fer dans la montagne en Mongolie.

Les méandres d’un grand fleuve dans le nord de la Sibérie. Et des routes, des champs, un village. La terre entière est peuplée.

Quelque part au-dessus de l’Allemagne. La neige rend le paysage lisible comme une carte.

Tout près de Paris, le domaine du Lys et la ville de Chantilly. La neige ne tient pas sur les grands arbres. En Chine il n’y a pas souvent des grands arbres.

A Roissy, je participe au spectacle habituel des arrivées de l’avion d’Air China: la frénésie de la police de l’air dans le tuyau mal éclairé qui conduit la foule vers l’aérogare. Pourtant les avions d’Air France sont reçus au terminal 2 dans l’indifférence. Peut-être que c’est la faute du lieu. Le terminal 1 pose un problème insoluble aux policiers; ceux qui partent et ceux qui arrivent se croisent dans le vestibule du satellite, avant les guichets de l’immigration. Donc deux dames en uniforme empêchent les passagers d’avancer et essaient de repérer dans la lumière incertaine d’éventuels faux passeports, pendant qu’un monsieur en uniforme les couvre pour éviter que quelqu’un se glisse sans qu’elles le voient. La scène est si drôle que je prends une photo au-dessus des têtes. Une des dames pousse un cri et me désigne au monsieur en bel uniforme, qui intervient aussitôt. Il veut me faire effacer la photo parait-il illégale. Mais c’est compliqué, je n’y vois rien pour manipuler l’appareil. Nous passons au delà des dames pour atteindre un endroit éclairé. Une des dames me réclame mon passeport puis se tait en voyant son collègue.  La photo est donc effacée dans la courtoisie réciproque et je sors vers le vestibule. C’est bien, mais pas très bien. Je n’ai montré mon passeport à personne avant de sortir, et les dames sont restées plusieurs minutes sans couverture. Il y a toujours moyen de distraire un agent de police de sa mission en lui donnant une préoccupation futile mais prioritaire. En Chine, c’est le déchiffrage de ma carte d’identité française. Je donne le truc pour ce qu’il vaut. Pour ceux qui n’aiment pas ce genre d’accueil, il vaut mieux prendre un avion vers Copenhague ou Helsinki; on entre en transit dans l’Europe de Schengen sous l’oeil d’un fonctionnaire indifférent et on arrive en France par un vol intérieur, c’est à peine plus long et souvent moins cher.

Le soir du 9 février à cinq heures du soir, je téléphone à mon épouse. Il est minuit à Tianjin, la nuit du passage de l’année du Dragon vers l’année du Serpent. J’entends les pétards et les fusées. Je n’irai pas avec mes beaux-frères au temple de la Grande Consolation le premier jour à la première heure. Ce soir l’Asie de Paris fait aussi la fête en famille, mais c’est le dimanche suivant qu’elle sortira pour défiler dans le 13e arrondissement avec la bénédiction de la mairie de Paris.

Je suis chez mes amis Wang, aux Olympiades, Paris 13e. Dans l’allée qui mène à l’avenue d’Ivry, tout le monde se prépare.

Ceux qui sont prêts sortent sur la dalle des Olympiades, où il y a plus de place. Le défilé ne partira qu’au début de l’après-midi. Sur l’image, il y a un Cantonais, un Vietnamien et deux (je ne sais pas). Tant que j’y pense, pour savoir ce qui se passe dans la tête de ceux qui vont défiler, consulter Kevin sur Youtube (La chaîne Le Rire jaune, 10 vidéos à ce jour).

Tout près, les peaux des lions, rangées sur les papiers rouges que les pétards ont laissé.

Et voici les pattes des lions. Si un de ceux qui portent un hexagone sur fond rouge se retournait on pourrait lire sur son dos « Association amicale des Cantonais de France ».

Un peu plus tard, je les croiserai sur le parcours du défilé, devant une boucherie. Je ne garantis pas que ce sont les mêmes lions, ils sont nombreux.

Nous sommes maintenant dans la rue du Disque, le souterrain construit qui débouche dans l’avenue d’Ivry. Le cortège va bientôt partir.

On sera mieux dehors que rue du Disque (l’autre rue en souterrain s’appelle la rue du Javelot). L’urbanisme des Olympiades n’est pas très accueillant. C’est pourtant là au-dessus qu’habitent les dieux de l’Asie, dans les temples cachés sous l’épaisseur de la dalle.

Un Bouddha féminin se prépare à prendre son rang dans le cortège.

Les filles et leurs mamans posent pour les pères et les oncles. Si on voyait mieux la banderole, on y lirait « Amicale franco-indochinoise du Sud-Laos ».

La tête du défilé. Dans l’avenue d’Ivry il y a vraiment beaucoup de monde.

C’est peut-être pour cela que le cortège est ouvert par un autre défilé, de couleur plus austère.

La gendarmerie mobile et la police nationale ont plus de chars décorés que le défilé lui-même.

Ils sont tout à fait bienveillants mais ont un grand air de sérieux.

Preuve de leur pouvoir: un seul agent, derrière les cars et les motards, suffit à contenir la foule. Plus tard, ils disparaitrons (ou du moins je ne les verrai plus sur le parcours)  et les lions suffiront pour maintenir le passage ouvert.

Sur la banderole « Association des amis du quartier asiatique Paris 13e ».

L’avenue d’Italie et les grands tapis couverts d’inscriptions favorables et de noms d’associations.

Le but du défilé, c’est d’être là, et les vieux dirigeants défilent en tête de leurs troupes.

Tout près de la porte d’Ivry. Je n’arrive pas à avoir une bonne image des dragons. Trop de monde. La grande sortie des Asiatiques est un évènement parisien.

Devant l’église Saint-Hippolyte, qui abrite la paroisse chinoise, le dieu de la richesse et sa garde de lions. On vient lui offrir des bâtonnets d’encens. La paroisse offre une messe à 15 heures, le seul moment où le personnel des restaurants est libre le dimanche.

Porte d’Ivry, le maidanglao, avoine, servir à, travail (lao comme dans laogai, la réhabilitation par le travail; il y a des transcriptions phonétiques plus ou moins favorables). Le MacDo de la porte d’Ivry, c’est à peu près la fin du défilé. Après il ne reste plus qu’à rentrer. J’y suis déjà allé. L’après-midi il est colonisé par les vieux du quartier qui jouent aux cartes ou aux échecs chinois.

Fin de la journée. Le défilé était modeste et familial. Je crois me souvenir qu’en 2007, la dernière fois que je l’avais vu (depuis j’ai toujours été en famille à Tianjin) il était plus brillant. Ou bien le photographe était plus inspiré.

Retour au point de départ. Le siège de l’association des résidents en France d’origine indochinoise est envahi de jeunes qui viennent de retirer leurs costumes. Les cartons pleins encombrent le passage.

Chacun ressort avec une enveloppe rouge du Nouvel An, un hongbao comme en Chine. Dedans, ce sont les étrennes de ceux qui ont défilé, quarante euros. Les lions et les musiciens ont une plus grosse enveloppe. J’aurais dû trouver quelqu’un pour me dire qui donne l’argent: la Mairie de Paris (qui a décoré les rues), les frères Tang et Paristore (qui ont prêté les camions), ou d’autres bienfaiteurs. Tout le monde est content, les autorités (il ne s’est rien passé), les participants (ils se sont montrés avec honneur) et les Parisiens (pour beaucoup de raisons, y compris les belles photos qu’ils ont prises).

Et j’ai joué au touriste comme si je vivais en France. Suite de la simulation de retour pour quelques semaines encore. Je crois que je serai content de rentrer chez moi. Je raconterai la suite.

Traduit du français

Cet après-midi, comme très souvent, j’ai eu le plaisir de discuter en français avec quelqu’un qui me rencontre pour le plaisir de discuter en français, et de parler de sujets qui nous intéressent, aussi. Justine est jeune professeur de français, et diplômée de l’Institut des langues étrangères de Tianjin (depuis peu Université des langues étrangères). Elle me demande de discerner entre les mots qu’elle rencontre dans les livres français qu’elle lit. Par exemple entre la sympathie et la compassion, la différence et la dissemblance.  Et cet après-midi entre la maîtresse et la concubine. Le dictionnaire chinois lui donne le même mot qingfu, sentiment épouse. J’aurais tendance à proposer favorite, mais le mot ne dit plus rien à personne depuis l’Ancien Régime. Mais pourquoi se pose-t-elle cette question ? Parce qu’elle est en train de lire un livre, « L’esprit du peuple chinois« , écrit en français par Kouo Houngming, lettré confucéen qui s’était transporté à la fin du XIXe siècle en Europe, avait appris l’anglais, l’allemand et le français pour étudier sérieusement la civilisation des Barbares d’au-delà de la mer, puis avait entrepris d’expliquer la civilisation chinoise aux Européens. Le livre a été édité en 1915. Dans le premier chapitre « La femme chinoise », il expose la supériorité de la concubine chinoise, choisie par l’épouse pour la suppléer auprès de son mari et admise dans le foyer conjugal, à la maîtresse européenne que l’époux essaie de dissimuler à son épouse et pour qui il devra éventuellement engager les frais d’un second foyer. (Jusqu’en 1950 et la loi sur la famille de Mao Zedong, la concubine était reconnue par l’état-civil et ses enfants étaient les descendants légitimes du mari et de son épouse; c’était même le motif le plus honorable pour justifier la présence d’une concubine dans une famille). J’essaie d’illustrer la situation par l’exemple de notre président Mitterrand qui eut une épouse et une maîtresse et fut finalement enterré par les deux, entourées de ses enfants. Et notre actuel président ? C’est un autre problème; il a vécu en union libre puis s’est séparé de la mère de ses enfants pour s’unir avec une nouvelle compagne; et s’ils en ont besoin, ils demanderont à la municipalité de Paris un certificat de concubinage (mais sa compagne n’est pas sa concubine au sens chinois). Nouvelle difficulté de compréhension: en Chine aujourd’hui vivre ensemble sans être mariés est très compliqué, les enfants sont privés de résidence là où ils sont nés, et plus tard d’école et de lycée. Sans parler du manque de mots pour traduire la phrase qui précède.

(L’esprit du peuple chinois vient d’être réédité en livre de poche, éditions de l’Aube, ISBN 978-2815901963  _ l’ISBN est une suite de 13 chiffres qui permet au libraire de trouver le livre sans risque d’erreur _, et il est sur Internet. Justine l’a lu après l’avoir imprimé, et moi sur ma liseuse.)

Justine avait entrepris de lire des romans français, et un de ses professeurs de maîtrise lui avait passé Abraham de Brooklyn de Didier Decoin et C’était le Pérou de Patrick Cauvin, des romans qu’il avait lui-même lus quand il était étudiant en France autour de 1980. Elle s’était découragée: non pas que ce soit du français trop difficile, mais pour quelqu’un qui n’a pas vécu en Occident, les situations et les personnages sont impossibles à comprendre, l’auteur croit que son lecteur sait déjà tout. Je lui avais dit qu’il existe des romans écrits en français par des Chinois. En attendant d’en faire venir, je lui avais passé le fichier de L’esprit du peuple chinois pour qu’elle aie une idée: quelqu’un qui emploie une langue étrangère pour parler de ce qui lui est familier (Là, j’ai commis une erreur de jugement: la société confucéenne patriarcale d’il y a 100 ans est exotique pour une jeune mariée chinoise éduquée dans le matriarcat d’aujourd’hui.)

Pour faire venir les livres, j’ai dévoué une de mes soeurs au mois de septembre. J’ai commandé sur Internet depuis la Chine, elle a reçu le colis en France et a alourdi son bagage de quelques kilos. Justine a servi d’interprète de notre promenade à la campagne.

J’avais choisi des livres que j’ai lus, et qui ont quelque renommée. Voici l’état actuel du premier qu’elle a fini de lire. A l’intérieur, il est rempli d’annotations.  Le Dit de Tianyi a eu le prix Femina 1998.  François Cheng, pour ceux qui n’en auraient pas entendu parler, est à l’Académie française depuis 2002, et il est le père de la redoutable Anne Cheng, professeur au Collège de France depuis 2008, qui se consacre à la tâche de faire savoir que les Chinois pensent, exactement comme les Occidentaux, et que leur travail intellectuel n’est pas une espèce exotique.  (La pensée chinoise aujourd’hui, Folio, 2007, 978-2070336500). L’histoire raconte l’aventure d’un artiste chinois qui part à Paris, depuis son enfance dans la Chine du début du 20e siècle. (Livre de poche .978-2253151012).


La joueuse de go, c’est le roman à succès de  Shan Sa, enfant prodige en Chine, arrivée en France à 18 ans, l’histoire d’une fille qui joue au jeu de Go avec un soldat japonais au temps de la Mandchourie japonaise (entre 1930 et 1945). Je l’ai lu il y a longtemps et j’ai le souvenir d’une histoire très savamment racontée, avec des mots simples. Depuis, j’ai pu voir et entendre Shan Sa qui est venue à Tianjin parler en français aux étudiants chinois. Son français parlé est bien plus éloigné du français ordinaire que sa la langue écrite, non pas qu’elle parle mal, mais j’ai la même impression en l’entendant qu’en discutant avec un professeur de l’institut des langues étrangères. (Gallimard 978-2070305070)

(l’image est empruntée à Amazon, d’où l’invitation à ouvrir le livre) Lettre à une jeune fille qui voudrait partir en Chine, Picquier 978-2877307116. Jacques Pimpaneau est un très vieux professeur, qui s’est amusé à réunir quelques dizaines de poèmes de l’époque Tang (Charlemagne en Occident), aussi importants en Chine que Le corbeau et le renard ou Mignonne allons voir si la rose, ou Le Lac de Lamartine en France, que les petits enfants savent réciter avant de comprendre (c’est du chinois classique), avec le texte en caractères, le mot-à-mot, l’explication, et des quantités de traductions anciennes et récentes (dont celles de François Cheng). Je l’avais acheté quand j’avais essayé d’apprendre le chinois à Jussieu, et depuis j’en ai donné plusieurs exemplaires ici, plus ceux qui ont été dupliqués. Ca ne sert à rien pour apprendre le chinois mais on est moins inculte quand on l’a étudié. Je n’ai pas encore l’avis de Justine.


Le Voyage en Chine : anthologie des voyageurs occidentaux du Moyen Age à la chute de l’empire.  Ninette Boothroyd, Muriel Détrie.  Bouquins Robert Laffont 978-2221064313. Ce n’est pas un roman, même si c’est pour une bonne part une oeuvre d’imagination, et ce sont des étrangers qui parlent de la Chine en langue étrangère, mais je ne quitte pas mon propos (les livres sont dans l’ordre que le vendeur leur a donné sur son bon  de livraison, il n’y a pas de signification). C’est un livre que j’essaie de faire lire à tout le monde. Comme il est trop cher pour les budgets chinois (un livre en Chine coûte 5 ou 10 fois moins cher qu’en France), je finirai par en faire une édition numérique pirate. Il y a dedans Claudel, le Père Huc, Marco Polo, le botaniste anglais importateur de la pivoine, des trafiquants d’opium, des missionnaires, des militaires, des touristes, des ambassadeurs. Je ne sais pas encore ce que Justine en pensera. J’ai l’avis de Neige de Nanjing « Ca m’oblige à regarder le passé de mon pays auquel je ne connais rien » (cité de mémoire).

Sagesse millénaire en quelques caractères. Proverbes et maximes chinois.   François Cheng , éditions You Feng 978-2842790066. You Feng est un libraire-éditeur de Paris qui sort des livres impossibles, comme les éditions multilingues (caractères antiques, chinois classique, chinois moderne, français) des ouvrages classiques, et aussi le plan du métro parisien en chinois. Rue Monsieur-le-Prince près de la Sorbonne et rue Baudricourt dans le 13e arrondissement. L’ennui c’est que je ne peux pas parler du livre, je l’avais choisi pour le regarder d’abord et je n’ai pas eu le temps.


L’éternité n’est pas de trop. François Cheng. Livre de poche 978-2253154587. Ca se passe à une époque pas très déterminée, le héros est un musicien qui devient étudiant taoïste puis devin, croise des pères jésuites (on doit être à l’époque des Quing, Louis XV en France), et vit pour l’amour d’une grande dame qu’il finira par rejoindre. Là c’est moi qui ai été égaré par l’histoire quand j’ai essayé de le lire, parce que je n’en sais pas assez sur ce que François Cheng connait très bien. Je n’ai pas encore l’opinion de la lectrice.

Dai Sijie, Balzac et la Petite Tailleuse chinoise, Folio, 978-2070416806. Celui-ci est évident. Gros succès, traduit aussi en chinois, le film qui a appris au Français que « Je t’aime » se dit « Wo ai ni », et je viens d’apprendre qu’on l’étudie dans les lycées en France et qu’on peut acheter un autre livre pour l’expliquer. Et le héros de l’histoire, étudiant envoyé à la campagne pour son éducation maoïste, transforme sa bien-aimée de petite paysanne en grande fille ambitieuse en lui lisant Balzac et Kipling en traduction. Ca se passe dans les années 1968 et donc les gens du livre ont mon âge, j’aimerais savoir ce que des gens plus jeunes pensent des histoires de ce temps-là (il y a aussi Gao Xingjian, mais ses gros livres m’intimident). Je n’ai pas trouvé le film en Chine. Il continue au-delà du roman, et le héros (qui n’a pas épousé la fille du tailleur, elle est partie à Shenzen pour réussir) revient au village. Il a pris l’avion pour y aller, et le village a la télévision par satellite.

 

Dai Sijie, Le complexe de Di, Folio  978-2070309214. Cette fois, c’est un Chinois qui est allé apprendre la psychanalyse en France et retourne au pays. Mais qui a besoin d’un psychanalyste ? Est-ce une sorte de devin autrement que taoïste ? L’affaire s’envole dans le délire quand le héros doit soigner un homme de pouvoir, le nommé Di,  qui veut profiter de sa magie. On se retrouve dans une Chine qui ressemble assez bien à ce que j’ai lu de Mo Yan. Dans le monde réel, le héros existe, il a le même âge, c’est Huo Datong, formé en France et retourné à Chengdu. Il a écrit un livre en français avec Dorian Malovic, journaliste à La Croix.

La Chine sur le divan, Huo Datong, Dorian Malovic, Plon 978-2259207904. Mais là on sort de la fiction. Ce n’est pas un livre facile à lire.

Je ne sais pas encore si lire en langue étrangère (avec des mots qu’on a appris) des livres écrits par des gens dont on devrait comprendre la pensée (parce qu’on vit dans le même monde), ça sert à quelque chose. Par contre, lire dans ma langue ce que raconte sur mon pays un étranger, c’est une bonne démonstration de la distance entre les pensées. Le dernier chapitre de L’esprit du peuple chinois, après la femme, la langue, les lettres, traite de la démocratie en Occident et s’intitule « L’adoration de la plèbe« . Kouo Hongming explique que, dans les pays d’Occident, ceux qui dirigent le peuple lui obéissent et le conduisent donc donc vers les catastrophes que veut le peuple, sans avoir le droit d’agir pour les arrêter. Il avait quelques raisons de le croire en 1915, quand les socialistes dans chaque pays avaient rejoint l’Union sacrée et se battaient en tête (le sens du mot « socialisme » a beaucoup évolué en cent ans, de Jean Jaurès à François Hollande, encore une chose difficile à expliquer à quelqu’un qui essaie de comprendre). C’est, écrite autrement la formule de Hu Jintao, « la démocratie est une impasse ». Mais les dirigeants ont-ils eux-mêmes la religion des Devoirs du Citoyen que l’auteur attribue au peuple chinois ?

Tout au plaisir de parler des livres, je n’ai plus le temps de parler du mémoire de maîtrise d’Alain, étudiant à l’institut des langues étrangères, écrit en français sous le titre « Les études sur la compensation de la traduction face à la différence des contextes culturels« . Comment introduire dans la traduction ce dont le lecteur a besoin pour comprendre, sans trop épaissir le résultat. J’écrirai  une autre fois. J’ai le plaisir d’être cité dans les remerciements, pour avoir lu le texte presque fini, afin de repérer les énormités que l’auteur ne peut pas voir. Il y en avait une: quand il n’y a pas moyen de traduire une idée faute de mot dans la langue de destination, on peut tout simplement transférer le mot. Un exemple: le gongfu. Un mot passé dans le français que je ne connais pas. J’interroge mon dictionnaire de pinyin, qui me répond, effort, habileté. C’est le kung fu (prononciation du sud passée en français). Comme je ne connais rien aux arts martiaux, je ne vais pas proposer de mots français pour expliquer.

J’oubliais: je pars en France demain, et je ne serai pas là au moment du passage dans l’année du Serpent.Une réunion de la famille de mon côté. Je suis un peu triste et ma chère épouse aussi, elle travaille et ne peut pas me suivre. Je reviendrai.