Derniers beaux jours

Depuis une semaine ou presque, le ciel est bleu, avec quelques nuages comme en France, et le soleil brille. Il fait froid aussi. J’écris dans la chambre exposée au nord, et pour me réchauffer je sors dehors. Encore deux semaines avant que le chauffage urbain se remette en route. Comme à la campagne, nous avons un kang chauffé par dessous, c’est le lit conjugal avec une couverture chauffante entre le matelas et la couette de dessous. Pour le confort, ce lit pourrait être en briques comme les vrais kangs. La Chine n’est pas le pays du moelleux, les canapés sont en bois ouvragé. Dans « le Pousse-pousse », roman de Lao She qui se passe à Pékin dans les années 1920, le héros Xiang Zi prend sous sa protection la fille de son voisin, que son père avait vendue à un sous-officier : « Chaque fois qu’il arrivait dans une garnison, il achetait une grande planche pour servir de lit, et une fille, et ainsi il se sentait chez lui. » (cité de mémoire); en repartant, il rend la fille à son père (à lire en livre de poche Picquier).

Charbonnier

Dans les rues, on croise le charbonnier qui vient livrer ses pratiques. Il monte à l’étage de la résidence et range sa marchandise sur le palier. C’est en baisse maintenant que le chauffage urbain rénové chauffe vraiment, mais il en reste assez pour faire vivre les livreurs, qu’on voit tirer leur charrette à bras tout en discutant au téléphone.

Charbon nid d'abeilles

Le charbon nid d’abeillefeng wo meifeng wo mei , abeille nid charbon, est fabriqué dans des ateliers de quartier. Il y en a un près de chez nous, à 500 mètres des grands hôtels et des centres commerciaux. L’été, il brûle dans les feux des restaurants sur triporteur; les mini-chaudières d’appartement sont calibrées pour l’utiliser.

Donc je suis sorti faire un tour pour profiter du beau temps.

Lac du jardin du peuple

Jardin public du Peuple, pas loin de chez nous. Je passe dans l’allée du bord du lac, là où les amateurs d’oiseaux chanteurs les réunissent quand il fait beau. Ils sont là, mais peu nombreux. Au loin, la pagode miniature du jardin a l’air aussi haute que l’immeuble de 12 étages  près de notre résidence.

Jardin public du peuple

Dans le Jardin du Peuple comme en ville, les jardiniers commencent à poser les murs de bâche verte tendue sur des bambous pour protéger du vent d’hiver les buissons et les arbres fragiles. Le pantalon rouge au fond est celui d’une jardinière qui fait la pause.

Heure de la sieste

J’ai le projet de lire au soleil sur un des bancs de la galerie au centre du parc, l’endroit le plus tranquille (la galerie n’est pas une construction ancestrale, elle date des années 1950 et vient d’être restaurée). Je ne serai pas tout seul. Ce monsieur bien équipé a autour de lui tout ce qu’il faut pour être heureux: deux bouteilles thermos, la grande pour l’eau chaude et la petite pour infuser le thé, un flacon de pilules d’une médication traditionnelle pour se maintenir en bonne santé, des journaux pour lire et pour couvrir le banc plein de poussière, un petit coussin, le chariot à faire les courses pour transporter tout cela, et aussi le petit pliant qu’il n’a pas sorti.

Joueuse de flûte

Nous sommes entourés de musique. Cette dame joue du Hulusehulusi, flûte à deux ou trois tubes dont le son ressemble à la clarinette (en fait, cette image a été prise un jour de brume, mais la dame était là aussi ce jour).

A l’autre bout de la galerie, trois dames sont en pleine répétition.

Je profite des bonnes conditions pour les enregistrer. Pas de moto-pompe des jardiniers, ni d’autres instruments qui sonnent trop près. Dans ce coin du jardin, on n’entend pas le bruit de la ville. (pour ceux qui voudraient entendre d’autres interprétations: à Singapour , aux Etats-Unis et en Chine ; on peut aussi acheter un hulusi en France )

Ailleurs dans le jardin, sous une autre galerie, quelqu’un joue du erhuerhu, violon à deux cordes (le second caractère signifie « barbe » et c’est le nom de famille du président. Hu shuohushuose lit indifféremment « Hu a dit », ou « raconter n’importe quoi », c’est le contexte qui permet de décider.)

Le joueur de erhu est en compagnie d’une chanteuse, qu’on entend de temps en temps. Ils jouent pour leur plaisir. Sous une autre galerie près de l’entrée ouest, certains jours on entend jusqu’à dix musiciens, chacun jouant ce qui lui plait ou deux ou trois à l’unisson. Les cordes sont en acier et l’archet passe entre les deux. L’archet est un écheveau de crin brut qui part doucement en poussière. La caisse est un morceau de bambou tendu d’une peau, et l’archet creuse un sillon sur le dessus. Si vous voulez entendre Carmen  ( autre adresse pour ceux qui sont dans un pays où Youtube n’arrive pas) jouée en public. Pendant que j’écoutais, un autre promeneur s’est arrêté, et le musicien lui a tendu son instrument et son carré de cuir pour qu’il joue lui aussi. D’autres enregistrements , et des images.

Deux coeurs sur un pilierEcrit sur un  pilier de la galerie: Wang Hongyu et Liu Miaomiao. Le premier prénom en deux caractères : magnificence, univers ; le second, le même caractère répété, « jeune bourgeon ». C’est le garçon qui est à gauche.

Mon dictionnaire me dit que  bahongyiyu (avec un autre hong, mais le caractère ressemble et se prononce de la même façon) signifie « Unir l’univers entier sous le même souverain ». S’il est vrai que le prénom est le projet de vie assigné par les parents, tous les deux ont un grand avenir.

Le présent de cette journée me plait bien. J’ai renoncé à continuer la lecture de  « La renaissance chinoise » de Hu Shi (The Chinese Renaissance, 1933). Le père de l’auteur était un lettré si respecté que dans son village de naissance les ivrognes s’abstenaient de boire quand il venait visiter sa famille. Lui-même a fait ses études à l’université de Cornell, 15 ans avant que Deng Xiaoping arrive en France. Il a fini ses jours à Taiwan. Le livre est trop difficile pour moi, mais je devrais finir par en venir à bout. Je l’ai trouvé au rayon des manuels d’anglais de la grande librairie de Nanjing lu, en anglais avec la traduction en chinois.

Un commentaire sur “Derniers beaux jours

  1. L’écrivain Lao She, ça me rappelle des souvenirs (« Le Pousse-Pousse » bien sûr, mais aussi « Le Divorce » 《离婚》, un des rares livres que j’ai lus d’un bout à l’autre en chinois quand j’étais en licence à Paris-7).

    Merci encore pour toutes ces images!

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