Changement d’abri du blog

Démarrage au feu vert, Tianjin, Nanjing lu, près du monument au tremblement de terre.

« Manger du chou chinois » était abrité par le site du journal Le Monde, c’était ebolavir.blog.lemonde.fr . Mais le journal Le Monde a décidé de ne plus avoir de blogs d’autres que ses journalistes.

Le déménagement a emporté les textes, les images, les commentaires, mais pas le cadre ni les moyens d’accéder à un texte autrement qu’en faisant tout défiler. J’espère tout rétablir. Je vais aussi peut-être me remettre à écrire. Je n’avais rien fait depuis 2015.

Le grand accident de Tianjin

J’avais l’intention de ne plus publier d’articles pour le moment. Mais depuis mercredi matin j’ai reçu des messages d’amis et de gens de ma famille qui me voyaient avec mon épouse au milieu des décombres. Et même une journaliste de télévision m’avait retrouvé et voulait que je lui téléphone pour raconter. Vu de France, Tianjin ressemblerait au centre de Paris, pas à l’Ile de France toute entière comme il est en réalité. Pour donner l’échelle, le port de Gennevilliers, où la même chose a des chances d’arriver un jour,  est trois fois plus près du 13e  arrondissement que le lieu de l’accident du centre de Tianjin où nous habitons.

google_maps_port

Pour agrandir les images, cliquer dessus.

Le jalon rouge est à peu près sur le lieu des explosions. La tache grise tout près est la ville de Tanggu-Teda. Le centre ville de Tianjin est la grande tache grise vers la gauche, entourée d’une ligne jaune qui est l’autoroute périphérique, et nous habitons au centre de Tianjin, à 40 kilomètres de l’explosion. Pékin est à 150 kilomètres au nord-ouest.

J’ai mis deux jours à situer exactement l’endroit. J’avais d’abord compris que c’était dans une des immenses zones industrielles qui sont au bord de la mer au nord et au sud du port. Depuis que Tianjin est devenu une ville industrielle, les lagunes autour de l’estuaire de la rivière ont été stabilisées,  on a mis des routes et des usines dessus, on a creusé le port, et on a construit la ville de Teda. Les promoteurs se vantent de ne pas avoir consommé de terrain agricole, parce qu’avant il n’y avait rien. Li Peng m’avait emmené un jour déjeuner dans un village de restaurants de fruits de mer, sur une petite colline entre la plaine et l’océan. Nous avions roulé des kilomètres sur l’autoroute côtière fait pour les camions géants, et on voyait au loin des portails monumentaux, points de repère des zones industrielles. Je me disais qu’une catastrophe dans un endroit pareil ne risquait pas de faire des victimes en dehors de ceux qui sont pris dedans.

nytimes skybox-wide1Il a fallu la photo parue dans le New-York Times pour que je place l’endroit sur la carte. On voit l’autoroute côtière qui est nord-sud à cet endroit. Le rectangle blanc à gauche des fumées est la station de métro Dong Hai, terminus de la ligne 9 qui part de la gare centrale de Tianjin (plus d’une heure de trajet). En haut de l’image, on voit le noeud d’autoroute et le contrôle d’accès à la zone de transit portuaire. Les bassins du port commencent en bas à droite. Et on voit un grand ensemble d’habitation, des tours de 30 étages, à droite (à l’est) de l’autoroute et à un kilomètre de l’explosion. Entre les deux, un parc à voitures neuves qui ont entièrement brulé. C’est donc beaucoup plus près de la ville que je croyais au départ.

zone_binhai_googleImage Google Maps du même endroit, l’hiver 2014.

La première fois que j’étais arrivé au terminus du métro, il y a 9 ans, la station était au milieu de « rien », avec une grande gare d’autobus presque vide d’un côté, l’autoroute et la zone portuaire elle aussi presque vide de l’autre côté. J’avais pris un autobus qui avait roulé pendant des kilomètres entre les usines neuves pour arriver au centre de la ville de Teda. Depuis, la zone portuaire s’est remplie et des quartiers d’habitation ont été construits. Pourtant, la dernière fois que je suis allé à Dong Hai, l’impression de grand vide persistait, tellement le paysage est plat. Pour visiter avec Google Maps, partir du lieu de l’accident, et élargir (l’image et les tracés de routes se superposent mal, Google Maps n’est pas encore au point dans la région). On repère facilement la station de métro et l’autoroute. L’entrepôt qui a explosé est un des rectangles bleus.img_4242_tangu_grand.1203257747

Pour en finir avec la géographie, voici une vision de la ville de Tanggu-Teda, vue vers l’est-sud-est par quelqu’un qui est très haut au-dessus de la ville de Tianjin. Dessin de Chen Yuan, 2008.

img_4256_tangu_pont.1203258049Agrandissement du haut du dessin. On voit le port et la mer, le grand pont où passe l’autoroute côtière. L’explosion a eu lieu au coin en haut à gauche.

Comme je racontais au début, j’ai trouvé dans mes messages du 13 au matin celui d’une journaliste de télévision qui me demandait de raconter ce que j’avais vu. En fait, elle (et tous les Européens) avait de l’avance sur moi. L’explosion a eu lieu le mercredi 12 aout à 23h30, il était alors 17h30 à Paris (heure des horloges, en avance de deux heures sur le soleil, alors que Tianjin suit le soleil), à temps pour passer au journal télévisé de 20h. Nous ne nous sommes pas réveillés, et j’ai appris la nouvelle en consultant Le Monde en ligne vers 6h30, 7 heures après. Et comme le fils de Li Peng, mon épouse, était arrivé le soir à la maison, malade et un peu confus, ça n’a pas été la préoccupation de la matinée. C’est dans les journaux que j’ai découvert ce que c’était. La télévision a montré des videos de téléphone portable qui circulaient déjà sur Internet, pas encore de censure, et d’ailleurs il était trop tard pour cacher la gravité de l’affaire. Le jeudi et le vendredi la télévision de Tianjin  a fait de longs directs sur le site, au milieu des décombres, alors que le feu n’était pas éteint. Nous avons vu les camions de pompiers transformés en épaves et entendu l’histoire des rescapés qui n’avaient pas eu le temps de descendre quand les explosions ont frappé. Nous avons même eu droit à une petite explosion avec nuage de fumée et retour de feu en direct. Nous avons vu aussi les façades des tours d’habitation avec vue sur le site, toutes les vitres cassées et les voitures bousculées au pied des immeubles. Vendredi on nous a même montré un fut éventré et des cristaux blancs répandus, du cyanure de sodium ? Mais samedi, plus de direct. Seule la conférence de presse des responsables passe en direct. Et ils ne racontent pas grand-chose, sauf le décompte des morts qui monte à chaque séance, et le nombre de disparus qui ne diminue pas. Les journaux publient des photos. Mais ce n’est que dimanche qu’ils expliquent clairement que beaucoup de victimes sont des pompiers et qu’il y a de grandes quantités de produits toxiques sur le site. Quotidien du Peuple. Lundi on nous montre le premier ministre Li Kekiang qui rend visite aux sauveteurs et aux victimes, on le voit sur l’autoroute au-dessus du site avec quelques fumées qui montent encore, en tenue d’été de haut cadre, sans masque ni protection. Mardi on annonce officiellement que les dirigeants de la société propriétaire de l’entrepôt ont avoué qu’ils fraudaient avec la sécurité. Le Figaro.

Quelques photos d’écrans de télévision (mon matériel n’est pas excellent).

DSCN6526_reporter_site_1Vendredi 14 à midi, en direct (zhibo, les deux caractères en haut à droite), le journaliste de la télévision de Tianjin (logo en haut à gauche) parle depuis le bord de l’autoroute qui surplombe le site. Son masque est un masque anti-poussière qu’on trouve dans les supermarchés et que pas mal de gens portent dans la rue dès que l’air n’est plus transparent.

DSCN6519_parkingLe bas d’une des tours d’habitation proches de l’explosion. Les fenêtres sont défoncées et les voitures du parking cabossées, mais rien ne s’est effondré.

DSCN6536_reporter_site_2Vendredi midi, depuis le bord du site. Au loin à droite, le pont suspendu (ou un des grands portiques du port, je ne suis pas sûr).

pompier_cctv1CCTV1, la première chaîne nationale, vendredi 14, un officier des pompiers (casque rouge,  les hommes ont un casque jaune) explique sur le site. Il a le masque anti-poussière et anti-projections que les secouristes mettent sur les accidents.

DSCN6534_smartphoneUn sinistré montre une photo de son appartement avec vue sur l’explosion, balayé par le souffle. Il est dans une école, lui-même n’a rien mais on nous montre des gens couverts de coupures soignés à l’hôpital.

DSCN6567_plateeau_cctv13Samedi après-midi, sur CCTV13, la chaîne info centrale. Le spectacle organisé « catastrophe » est en place, avec le fond d’écran et le nom officiel Tianjin gang « 8.12 » (port de Tianjin 12/08), finis les reportages sur le site. Il a quand même fallu attendre deux jours pour que l’information officielle reprenne la main.

DSCN6569_conferenceLa conférence de presse samedi après-midi, les officiels. Zhibo en haut à droite, mais ce n’est plus le même direct. Ensuite on verra la même image chaque jour (avec des images de la salle pour égayer).

DSCN6598_masquesLundi 17. Reportage sur une avenue, à la limite de la zone désormais interdite. Cette fois les masques sont plus sérieux.

La « meilleure video » depuis l’intérieur de la voiture d’un habitant d’une des résidences proches de l’explosion, avec l’arrivée du souffle.

Le meilleur article pour comprendre ce qui s’est passé, New York Times, mis en ligne vendredi 14 et rajeuni depuis.

Pour avoir une idée du délire incompétent des anti-Chine, lire Le Monde, les articles et surtout les commentaires, par exemple dimanche 16. Détail amusant: les commentaires sont « modérés » et n’apparaissent qu’après avoir été relus, et n’apparaissent pas s’ils ne sont pas publiables. Un commentaire que j’avais écrit n’était pas apparu après plusieurs heures, je l’ai réécrit, et les deux versions sont apparues ensemble peu de temps après.

Le baromètre des étrangers, le groupe Facebook Tianjinexpats, où les résidents rassurent ceux qui n’osent pas quitter l’Europe ou l’Amérique. Et le site Shangaiist. Dernier article sur les poissons morts en masse à l’entrée du port, à 6 km du site.

Vendredi 20 au soir, je suis  allé à l’Alliance Française écouter M. Jean-Raphaël Peytregnet, consul de France à Pékin. Il était venu à Tianjin pour rencontrer la municipalité, et aussi les Français dont il s’occupe (140 inscrits au consulat).

P1030842_consul_afAu centre, Jean-Raphaël Peytregnet consul. A droite Fabrice Plançon directeur de l’Alliance Française de Tianjin, qui reçoit. A gauche Stéphane Metay, directeur de l’usine Veolia de Teda qui traite les déchets industriels dangereux (et déjà les premiers jus toxiques pompés sur le site, arrivés en camions-citernes). Stéphane Metay est aussi le correspondant du réseau de sécurité de l’ambassade; le jour où il y aura la révolution, les consignes d’évacuation nous parviendront par lui). Photo Alliance Française.

Le consul a été reçu par le chef du service international de la municipalité. Ils l’ont emmené à Teda voir le site. Il a franchi le premier cercle (trois kilomètres) et est allé jusqu’au deuxième cercle (un kilomètre) sans équipement de protection, ce qui est rassurant, les cadres chinois n’auraient pas pris le risque de voir dans les journaux qu’il est arrivé malheur à un haut-fonctionnaire français. L’air sentait très fort mais rien de suffocant. Il a vu les moyens déployés (tentes,abris, hôpital de campagne) destinés à ceux qui travaillent sur le site (10.000 militaires et techniciens), mais pas le site lui-même.

Les officiels de Tianjin ont avoué à leur hôte étranger qu’ils n’avaient pas été « bons sur la gestion de crise », qu’ils n’avaient pas su réunir les bonnes informations et informer correctement dès le début. La proposition d’une assistance de la Protection Civile française a été refusée poliment ; pour l’instant ils ont les hommes et l’équipement, mais plus tard ils seraient intéressés par des conseils d’experts. Ils ne savent toujours pas exactement ce qu’il y avait dans l’entrepôt qui a sauté, ni ce qui a déclenché l’incendie puis les explosions. La réaction de l’eau des lances à incendie avec des produits chimiques est une hypothèse.

Pas de morts parmi les étrangers, quelques Coréens et Indiens ont été blessés par des éclats de verre, aucun Français. Le Consul de Corée est venu aussi sur les lieux (40.000 Coréens à Tianjin, la Corée est en face à la sortie du golfe de Bohai). Les autorités sont soucieuses d’indemniser les entreprises étrangères qui auraient eu des problèmes.

L’avis de Stéphane, qui habite à Teda, sur la mystérieuse mousse qu’on a vu dans les rues après la pluie de jeudi: Ca faisait six semaines qu’il n’avait pas plu, et il y avait toutes sortes de choses au sol. (J’ai eu des échos de « pluie qui brûle » à Tianjin. Ca doit être dans la tête de ceux qui l’ont reçue; moi aussi j’étais sous la pluie à ce moment-là; personnellement je crois que ce sont les produits moussants des pompiers et la mousse elle-même qui s’est envolée avec le vent).

L’avis de Peter, qui tient le restaurant « Le Loft » sur Nanjing Lu au centre de Tianjin: les clients ne sont pas venus jeudi. Mais vendredi ils étaient là comme d’habitude.

Le bilan officiel vendredi 20 était de 114 morts, 64 disparus, 176 entreprises ont subi des dégâts, il y a 30.000 blessés, généralement légers (chutes, éclats de verre). Le plus grand nombre des morts sont les pompiers arrivés pour combattre un incendie avec de gros moyens, qui ont été pris dans les explosions (Je pense qu’il y a aussi les travailleurs du site, qui selon l’usage chinois dorment sur place dans des dortoirs; partout où j’ai visité des lieux de travail il y avait des dortoirs pour le personnel).

Ce soir vendredi 21, mon épouse me montre sur son Iphone une vidéo qu’une amie vient de lui signaler. C’est un montage d’images captées par les sauveteurs, des corps brûlés dans les bâtiments du site, et dans des cabines de camions. Et les résidents chassés de leurs appartements neufs qui veulent que la municipalité les rachètent. Même réparés, ils n’ont pas envie d’y retourner.

 

 

 

 

 

Saison du rêve chinois

Aujourd’hui je suis allé récupérer mon nouveau passeport au bureau des entrées et sorties de la municipalité, avec un permis de résidence d’un an. La dernière fois, l’agent m’avait dit que je pourrais demander un permis de résidence de cinq ans, mais ça ne marche plus. 400 yuans, ça fait un peu plus d’un yuan (0.13 euros au cours du jour) par jour de résidence. Valable jusqu’au 1e février 2016,  je le renouvèlerai donc en période calme, avant le Nouvel An, alors que les précédents avaient leur échéance en septembre, période de pointe. bilet_schengenLa dernière fois que j’avais eu à montrer mon ancien passeport, c’était pour acheter les billets de train vers Pékin et le consulat. La nouvelle règlementation veut que le nom du titulaire soit écrit sur le billet, pas seulement le numéro de passeport ou de carte d’identité. La vendeuse de billets le tape (pour les gens qui ont une carte, c’est le lecteur de carte qui s’en charge). Mais où le nom de l’étranger est-il écrit sur le passeport ? Il y a toujours une solution, la Chine est le pays de l’arrangement.

Samedi, je suis allé voir mon amie Petite Feuille, qui vend ses cartes postales sur une table devant le restaurant Cheng, cuisine occidentale depuis cent ans, dans le quartier de Wudadao, les Cinq Avenues, l’ancienne concession britannique.

DSCN2518Petite Feuille est postière, et graphiste. C’est elle qui crée les cartes postales vendues dans les bureaux de poste de Tianjin. Elle est aussi mal payée que les autres fonctionnaires, même avec ses diplômes de l’université des Beaux-arts de Tianjin et de l’école des Beaux-arts de Toulon. Mais la Poste lui permet d’acheter pas cher ses propres créations et de les vendre. Sur l’enseigne « Oeuvres originales, constructions occidentales du passé, cartes postales. »

ye_carte_rueElle aime transformer ses photos modernes en images du passé. Jin. Zou zai jietou, (Tian)jin. Marcher dans la rue. La rue et le mur datent des années 1900, mais les marcheurs, les yeux fixés sur leur smartphone, sont d’aujourd’hui.

DSCN2520Son succès de la saison, ce sont les cartes postales en relief des villas de Wudadao. Ayant la garde de la table pour quelques minutes, j’ai montré à la petite fille comment on regarde.

DSCN2527Elle a appelé sa petite soeur et leur copine, finalement la maman achètera trois collections.

Petite Feuille m’emmène au vernissage d’une exposition d’art où plusieurs de ses amis exposent. Il y aura à boire et à manger.

DSCN2579_yishubuyongadeline_tourL’endroit est tout neuf, dans une construction de l’époque des concessions qui a été restaurée. Le voisin du dessous est un Starbuck. Pour l’austérité, le Lieu Unique de Nantes est largement battu. Mais ça ne restera pas comme ça. Au centre de la salle, yishu wu yong yishuwuyong24l’art aucune utilité, signé Gao Yan, que je n’ai pas repéré. Les trois personnages au second plan sont des Français. Adeline Parrot expose des collages (cliquer sur le petit tableau). Elle venait en Chine tous les ans donner des cours. Cette année elle enseigne à plein temps dans une école d’art à Pékin. Son cours était destiné aux enfants d’expatriés, mais maintenant la moitié des élèves sont chinois. DSCN2562_centrale_electriqueDerrière eux, une centrale électrique hyper-réaliste. Il ne manque rien, surtout pas les logements du personnel au premier plan. Sur place ça fait beaucoup plus d’effet que sur ma mauvaise photo. Signée Wan Daweiwandawei. Le prénom signifie grand, très-grand, mais c’est juste la transcription de David. Le nom signifie dix-mille, comme dans wan sui mao zedongwansuimaozedong (dix-mille ans-d’âge Mao Zedong).

DSCN2537_palombiereFu Shuai. Il expose des collages de tissu de soie, représentations de structures hautement précises qui flottent dans le néant. La meilleure oeuvre représente une grille d’écoulement d’eau (trop mal éclairée). liaowangta, une tour pour voir au loin, mirador, dit le dictionnaire. Je lui dis qu’en français ça s’appelle une palombière, et il note. Quand il ira à Paris (c’est en projet) j’espère qu’il n’oubliera pas.

DSCN2547DSCN2550_grandPetite Feuille au milieu de la modeste installation de son ami Shu Yong. Il fabrique des carrés de métal avec un treillis en relief, qui cloisonne un émail bleu semé de petits points clairs, tous pareils et tous différents.  J’aime beaucoup, mon fond d’écran d’ordinateur  en ce moment, c’est ça. DSCN2586Cliquer dessus pour en voir un morceau à la bonne taille. Comme la couleur change selon la lumière, ça ne donne pas une très bonne idée de l’effet. Le rêve de Shu Yong va se réaliser, il sera bientôt à Paris pour réaliser une installation bien plus grande.

En plus de cinq Français dont moi, deux artistes et deux visiteurs, j’ai l’impression que beaucoup de gens parlent français.

Comme j’ai sous la main des gens compétents en art, je leur montre une série d’images qui sont dans mon appareil photo, prises à Tianjin et à Pékin: les affiches de la campagne officielle « Le Rêve chinois ». Unanimité: ce truc du président Xi, artistiquement c’est nul, ce sont des images pour enfants. Pourtant j’aime bien. Elles remplacent les publicités dans le métro, sur les palissades des chantiers, et même sur les rambardes pour guider le peuple qui fait la queue dans les gares. Chacune illustre une bonne pensée.

DSCN2388_semeuse_metroAffiche lumineuse dans le métro. Mon neveu Jean avait dessiné une Semeuse de la même inspiration quand il était à l’école maternelle. dang hao ren, you hao bao Il convient que les gens bons aient une bonne récompense. En rouge, le caractère hao, bon, femme et enfant.

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Affiche sur le mur d’un chantier tout près de la résidence. renzhe zhizhe, le han le shui vertueux bienveillant, joyeuse montagne joyeuse eau. Ca doit être un proverbe en langue classique que je ne connais pas.

DSCN2229_jinwanguangchang_metroStation de métro Jinwanguangchang dans le nouveau quartier en face de la gare, zhongguo meng, chunyi nong Chine rêve, pensée-de-printemps intense.

DSCN2602_leyuan_coq_1Sur la palissade du chantier du métro, la future ligne 5. zhongguo da ji, Chine grand bon-avenir.

DSCN2611_bebes_murSur une autre palissade de chantier liren duo fu  veiller-sur-les-autres beaucoup bonheur. L’image reproduit un imprimé traditionnel.

DSCN2478_fille_voitureDSCN2613_cachet_rougeCelle qu’on voit le plus souvent, c’est la petite fille qui dit zhongguomeng, wo de meng Chine rêve, moi de rêve. Le rêve chinois, c’est le mien. C’est le slogan officiel de ce grand affichage. Si on a un doute sur l’origine (il y a aussi des publicités qui embauchent les images traditionnelles), il suffit de vérifier la présence du logo en forme de cachet rouge, le sceau de la campagne, à lire de haut en bas et de droite à gauche, le caractère meng rêve calligraphié à gauche. Lui aussi invoque la tradition. Il y a trois mille ans c’étaient les caractères qui sont en dessous qu’on voyait sur les sceaux (aujourd’hui, presque tout le monde en a un et on les commande dans les papeteries ; si on est riche, chez un graveur réputé).

DSCN1835_renmin_septC’est bien plus joli que les publicités pour les appartements des immeubles en chantier, mais ça finit par être obsédant. Tous les réverbères du Jardin du Peuple ont été équipés de panneaux en plastique durable, une des images à gauche et le résumé de la doctrine à droite, douze mots de deux caractères.

DSCN2657_taureaux_reverbereDSCN2658_deux_taureaux  ziyouziyou liberté (soi-même origine), aiguoaiguo aimer pays, fazhifazhi loi gouverner, rien que des mots favorables. Et à gauche zhongguo meng, niu jingshen. Chine rêve, boeuf vigueur.

DSCN2103_angle_beijingLes douze mots sont partout, ici en grands caractères au-dessus des têtes.

En fait, ça fait un an que la campagne est commencée. J’avais vu à Pékin, en janvier 2014, de jolies affiches, déjà pour cacher un chantier.

IMG_9468_niren_drapeauIMG_9452_joueurs_niren_beijingC’étaient des images de nirenzhang, petites figurines en terre cuite, inventées à Tianjin au 19e siècle par un monsieur Zhang. On en trouve partout dans les boutiques de souvenirs. C’est l’occasion de placer ce passage de Pierre Loti (Les derniers jours de Pékin, 1900)

 » Vu aujourd’hui, chez des marchands chinois, un dépôt de ces ingénieuses statuettes en terre cuite qui sont une spécialité de Tien-Tsin. Elles ne figuraient jusqu’à cette année que des gens du Céleste Empire, de toutes les conditions sociales et dans toutes les circonstances de la vie; mais celles-ci, inspirées par l’invasion, représentent les divers  guerriers d’Occident, types et costumes reproduits avec la plus étonnante exactitude. Or, les minutieux modeleurs ont donné aux soldats de certaines nations européennes, que je préfère ne pas désigner, des expressions de colère féroce, leur ont mis en main des sabres au clair ou des triques, des cravaches levées pour cingler. Quant aux nôtres, coiffés de leur béret de campagne et très Français de visage avec leurs moustaches faites en soie jaune ou brune, ils portent tous tendrement dans leurs bras des bébés chinois. Il y a plusieurs poses, mais toujours procédant de la même idée; le petit Chinois quelquefois tient le soldat par le cou et l’embrasse; ailleurs le soldat s’amuse à faire sauter le bébé qui éclate de rire; ou bien il l’enveloppe soigneusement dans sa capote d’hiver…  »

DSCN1570_niren_scannerD’autres nirenzhang décorent maintenant l’entrée de la gare ouest, les panneaux de l’installation de radiographie des bagages, à la place des inscriptions « Coopérons au contrôle avec bienveillance, aidons ensemble à construire la sécurité commune ».

DSCN2656_champs_fanVoici l’image la plus vertueuse de toutes. Au centre du dessin yi dun fan, un repas.fanfan, le riz cuit, la nourriture par excellence. Au dessus jian yi yang de frugalité employant veiller-sur la vertu (proverbe: la frugalité mère des vertus). Au-dessous mang yi nian occuper une année. J’ai maintenant toute une collection. Il y a aussi des images édifiantes de petits enfants entourant leur grand-mère, et des papiers découpés.

Il faudrait étudier pourquoi le retour aux traditions prêché par le président Xi prend une forme artistique aussi extrémiste, des images tirées de livres pour enfants des débuts de la République, ou des symboles de folklore gentil. Est-ce ça, le mot d’ordre de redevenir conscient des valeurs nationales ? Il faudrait aussi analyser le sens des douze mots. Par exemple, le discours officiel exige que les citoyens ne confondent pas fazhi, le règne de la loi, avec le rule of law qui est une des caractéristiques néfastes de la démocratie dont le Parti protège le peuple chinois. Mais aujourd’hui je n’ai pas la forme intellectuelle qu’il faudrait. Je ferai un autre article, avec les dernières évolutions de l’idéologie.

J’ai posé la question à mon amie Justine, professeur de français qui m’emploie pour l’aider à maintenir son français (elle enseigne dans un lycée technique, aucun de ses collègues ne parle français, et elle ne peut pas compter sur des étudiants avancés comme à l’université). Sa réponse : les images partout, au début je trouvais ça agaçant, maintenant je suis habituée et je ne fais plus attention. Nous allons visiter ensemble un nouveau quartier dans la zone de l’aéroport, un lieu de rêve où il n’y a que des magasins de marques mondiales, et à la rigueur des commerces locaux qui ne vendent que des marchandises importées. Or tout ce qui est importé est meilleur.

DSCN2353_grande_rue C’est un jour de semaine, il n’y a pas beaucoup de monde. Le samedi et le dimanche c’est beaucoup plus animé.

DSCN2343_rue_jeepNous sommes en Italie, ou plutôt dans une Italie rêvée. Pas loin de chez nous, il y a un hôtel (chaîne Adagio) de style européen, avec une aile allemande qui montre des façades basques, une aile française et un patio orné de statues italiennes. Ici, pas d’hôtel, juste des restaurants et des magasins étrangers

DSCN2332_sac_coachLa première étape est pour le magasin Coach, marque américaine de maroquinerie dont je ne connaissais pas l’existence. Le sac de Justine est de cette marque, et il s’agit de remédier à un grand malheur: la lettre C de l’étiquette en métal et émail est partie. Il est possible de faire réparer le sac à Shanghai, mais avec un délai de trois mois. Le sac qu’un ami vient de lui offrir sera-t-il encore à la mode dans trois mois ? Je la rassure: les choses de qualité ne se démodent pas. Pris par l’ambiance, j’achète un sac neuf (en solde quand même, ce genre de luxe est exactement aussi cher en Chine qu’ailleurs).

DSCN2355_mephistoFaçade du magasin Méphisto, marque française. Avec les décors chinois du Nouvel an (le caractère fu, le bonheur). Sinon, on s’y tromperait complètement, c’est le but.

DSCN2356_mephisto_998998, c’est le prix en yuans de ces paires de chaussures en promotion (aujourd’hui 7.09 yuan pour un euro). Pour comparer, les savates en tissu à semelle de caoutchouc que portent beaucoup de gens dans la rue valent 30 yuans (les meilleures), mais elles durent moins longtemps. Et puis, elles n’ont pas l’air de venir de l’étranger.

DSCN2360_chaussures_blondeDans un autre magasin de chaussures, la cliente affronte l’image d’une Scandinave authentique. Un de ces jours, je montrerai des images de Chinoises blondes, il y en a de plus en plus dans la réalité, mais jamais sur les affiches.

DSCN2362_chaussures_coupleMême compagnie de l’autre côté du magasin. Notez que c’est elle qui regarde la cliente et lui qui la regarde avec admiration. Pour l’instant, aucun Chinois ne se fait éclaircir les cheveux, sauf les garçons coiffeurs.

DSCN2376_innamorataDans un magasin Sasa, l’équivalent chinois de Séphora (mais Séphora est présent aussi), les grandes affiches de parfums sont réservées aux filles aux yeux bleus, mais les Asiatiques sont présentes au rayon des produits pour la peau (dommage, j’ai raté la photo, et j’aurais du mal à la refaire en allant seul dans un magasin, ce sera pour une autre fois).

DSCN2382_rue_porteurDans la rue, l’illusion d’Europe ne fonctionne quand même pas très bien. Pas seulement parce que tout est trop conforme pour avoir l’air vrai, mais le personnage du commissionnaire de messagerie avec son chariot trop chargé est bien d’ici.

DSCN2366_decor_nouvel_anLes parasols de la terrasse sont repliés, mais pas rentrés. On installe les décors du Nouvel An, et les fleurs en tissu sont de toutes les saisons.

J’allais l’oublier, le passage dans l’année de la Chèvre, c’est dans une semaine, le 19 février.

DSCN2649_joueurs_cartesIl ne fait pas assez froid. La rivière a dégelé. Les joueurs de cartes du Jardin du Peuple ont retiré leurs gants et beaucoup ont laissé leur grand manteau matelassé à la maison. Je ne parle pas assez bien pour leur demander ce qu’ils pensent du rêve chinois.

timbre_chineVoici le timbre de cette année.   A gauche yiwei nian deuxième tronc céleste et huitième branche terrestre, trente-deuxième année du cycle commencé en  1984. Le nom de la chèvre yang yangn’est pas indiqué sur le timbre. Je préfère le timbre australien, avec le caractère xiang chance.

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Vu Charlie depuis la Chine

Moi aussi j’ai vu passer l’affaire Charlie Hebdo, et je n’ai pas tout de suite compris quelle importance elle avait en France. Mercredi soir, alors qu’on ne parlait déjà que de ça dans les journaux en ligne (midi à Paris, c’est sept heures du soir à Tianjin), je m’occupais d’acheter un billet de train pour Pékin jeudi matin, pour arriver au service des Français de l’ambassade à une heure raisonnable, qui laisse du temps avant midi. J’allais renouveler mon passeport, celui que j’avais fait faire en juin 2005 pour mon permis de résidence en Chine. Le temps passe.

DSCN1669_ambassade_drapeauxQuand j’arrive devant l’ambassade (métro Liangmaqiao, sortie nord-est, une heure un quart de métro depuis la gare sud), je vois les drapeaux en berne, sans comprendre qu’il s’est passé quelque chose (j’ai pris la photo en ressortant). Sur la banquette du vestibule, il y a deux pancartes JE SUIS CHARLIE et woshichali36wo shi cha li, je suis examiner science (chali est la transcription phonétique normalisée de Charles). Bizarre et incompréhensible dans cet endroit, avec des plantes vertes et des maquettes-jouets d’Airbus 380 et d’hélicoptère. La préposée aux passeports me reçoit gentiment, derrière son bureau truqué avec appareil photo, luminaire, et boîte pour enregistrer les empreintes digitales, en plus du terminal d’ordinateur, du scanner et de l’imprimante qui sont maintenant les outils du bureaucrate. Les nouveaux passeports durent quinze ans, j’aurai le mien dans un mois si tout se passe bien, à retirer en personne parce qu’il faut vérifier que les empreintes digitales enregistrées dans le document sont semblables à celles de celui qui vient le chercher. Je crois que je n’aurai  plus l’occasion de revenir ensuite, sauf peut-être pour demander un certificat de vie si la caisse de retraite veut vérifier de nouveau que j’existe encore (c’était arrivé en avril 2014, une urgence parce que la première chose que fait la caisse de retraite, c’est d’arrêter le versement de la pension).

DSCN1673_zhonghuamengJ’ai le temps de passer au centre culturel français et à la librairie. Sur le chemin, je prends quelques photos pour ma collection zhongguomeng36zhongguo meng, centrale nation rêve, le Rêve Chinois, les belles images édifiantes qui couvrent les palissades de chantier et les arrêts d’autobus, et remplacent les images folkloriques sur les panneaux libres du métro.

DSCN1681_centre_culturelA midi, je suis en train de manger un sandwich dans le nouveau hall du Centre culturel français (baguette et fromage de chèvre, aussi cher qu’un vrai repas dans un restaurant chinois correct, mais ça ressemble vraiment à ce qu’on mange en France). Et brusquement une petite foule se forme: les élèves de l’Alliance française et celles qui lisaient à la bibliothèque. Le directeur de l’Institut français parle d’un air très ému. C’est là que je comprends ce qui s’est passé.

DSCN1685_woshichali_barLes grands écrans au-dessus du bar affichent la même pancarte.

DSCN1687_albums_charlieUn grand album et quelques oeuvres de Wolinski sont sur le présentoir de la bibliothèque.

DSCN1690_cabu_francaisDSCN1691_cabu_chinoisJe discute avec une des bibliothécaires qui apporte le livre de Cabu (paru en 2000), apparemment venu de l’ambassade, ou sorti des réserves, je crois que je l’aurais repéré s’il avait été dans les rayons à mes précédentes visites. Le livre a aussi été édité en Chine. Nous parlons de Houellebecq, et de son nouveau livre « Soumission » qui parle d’islam politique. Elle pense que l’auteur sait qu’il risque sa vie en le publiant  et qu’il a fait exprès parce qu’il est très malade. « Je l’ai vu mercredi soir sur France2, on aurait cru un mort-vivant. » Je lui dis que les professeurs de français des universités chinoises devraient faire lire Houellebecq plutôt que Simone de Beauvoir. Leurs étudiantes auraient une idée plus actuelle de la France (Danielle Sallenave était venue ici en 2008 présenter sa biographie  « Castor de guerre » et avait fait le plein, je n’avais même pas pu entrer dans l’auditorium). La bibliothécaire qui est en Chine depuis très longtemps se félicite de ne pas être en France. Ici on est à l’abri du danger (je suis d’accord, hélas; à chaque visite en France je me suis fait insulter dans la rue à Paris parce que j’étais en compagnie d’une Chinoise; la loi française interdit de préciser qui nous insultait).

DSCN1727_beitangL’près-midi, avant de rentrer à la maison, je vais comme prévu voir le Beitang, l’église du Nord, une des trois églises catholiques de la vieille ville de Pékin, à l’ouest de la Cité interdite. En 1900 c’était la cathédrale, toute neuve, reconstruite en 1890, en style gothique avec des colonnes de fonte, orientée sud-nord comme un temple taoïste avec le sanctuaire dans l’axe, des pavillons latéraux, un enclos et un portail où mène une avenue.

DSCN1750_beitang_interieurDSCN1762_beitang_portailDu 14 juin au 16 aout 1900, elle avait été assiégée par les insurgés Boxers. 3900 membres de la communauté catholique s’y étaient réfugiés, défendus par 40 soldats d’infanterie coloniale, sous la direction de Monseigneur Favier, vicaire apostolique. 400 furent enterrés dans le jardin, morts de maladie et de faim, ou tués par des explosions. Ils furent libérés par des soldats japonais du corps expéditionnaire venu au secours du quartier des Légations (voir le film « Les 55 jours de Pékin »). Pendant deux mois, ils avaient été complètement isolés des Occidentaux des Légations, à l’est de la Cité interdite, eux-mêmes sans nouvelles des secours sauf quelques courriers clandestins.

En pensant aux moyens de communiquer d’aujourd’hui, il me vient une pensée impie: Le massacre de Charlie s’est passé vers 6h du soir, heure de Pékin, alors que l’ambassade se vidait de son personnel ordinaire. Le temps que les ministères décident de faire quelque chose à l’étranger, il avait fallu rappeler des fonctionnaires à leur poste, recevoir le matériel de propagande, et organiser la manifestation de midi au Centre culturel (5h du matin en France). L’évènement a donc été exploité dès le premier jour.

DSCN1780_journaux_vendrediQuand j’arrive à la gare, les journaux sont exposés. Tous ceux qui s’intéressent aux affaires de l’étranger ont la même photo en première page: un blessé évacué, la photo diffusée par l’agence Xinhua. Le soir,

Je ne vois rien à la télévision le soir, mais mon épouse me montre la page du site sina.com qui essaie d’expliquer de quoi il s’agit. Personne en Chine ne connaît Charlie, et ce genre de publication n’existe pas. Une des couvertures présentées: p_eD-cesifvy3136135Il y a aussi des exemples de la presse européenne. fulE-cesifvy3154518Le vendredi midi, je déjeune avec une amie, professeur de français et d’anglais dans un lycée technique, qui n’a entendu parler de rien. J’explique et ça lui parait impensable. A Tianjin, le « musulman visible » est le patron de restaurant hallal, de nationalité Hui, qui met une calotte blanche sur sa tête, et la serveuse porte peut-être un petit voile noir, mais ils vivent comme tout le monde, et ils sont là depuis toujours. Il y a aussi des Ouigours, venus de l’ouest, mais je n’ai pas l’impression qu’ils soient spécialement ressentis comne « musulmans », simplement comme des immigrés qui ne savent pas toujours bien se tenir.

DSCN2039_tianjin_hallalIl y a un grand boucher-traiteur hallal au coin de la rue, en face de l’entrée de notre résidence, où tout le monde achète. Le grand « caractère » rond, vert et jaune (une calligraphie arabe) est visible partout. Il faudra que je reparle des musulmans de Tianjin. Dire qu’y a une mosquée à 300 mètres et je n’y suis entré qu’une fois.

C’est samedi, avec le journal télévisé, que ceux qui ne suivent pas les affaires de l’étranger sur Internet ont été mis au courant. Petite digression sur les informations de CCTV, la télévision « centrale »: ce qui se passe dans la Nation Centrale est toujours harmonieux:

DSCN1796_xijinpingDSCN1797_assembleeLe président rend hommage à une institution et à son très vieux fondateur, en présence d’une assemblée attentive.

xinhua_shanghai_500Et quand c’est une catastrophe, comme la grande bousculade du 1e janvier sur le Bund de Shanghai (30 morts), on montre la police qui protège l’espace où les victimes sont soignées sur place (photo diffusée par Xinhua), l’harmonie déjà rétablie.

Au contraire, le monde extérieur est le lieu du désordre et de l’épouvante.

DSCN1799_tele_fondLa chaîne d’information permanente CCTV13 affiche des fonds de décor pour les « grands sujets ». Au centre de l’écran bali jinghun , Paris Terreur.

DSCN1810_hyperDSCN1820_tele_jeune_temoinDSCN1829_deux_policiersJe suppose que c’est ce qu’on avait vu en France, en direct et en différé. On nous montre aussi l’assaut contre les deux autres terroristes, avec hélicoptère et soldats dans les arbres.

DSCN1859_quatre_suspectsDSCN1860_rue_vincennesLe journal national de 19h en fait aussi le grand sujet du deuxième quart d’heure, avec des images officielles (le ministre, les photos des coupables) et images d’action dans la rue. L’autre sujet était l’avion d’Air Asia, où il n’y avait pas grand-chose à dire ou à montrer, avec des images des boîtes noires orange et des déclarations officielles, mais d’une durée correspondant à l’importance du sujet.

Je reçois l’invitation de l’ambassade pour la réunion des Français à Pékin dimanche soir de 17h30 à 19h. Les conjoints chinois peuvent aussi venir. C’est une occasion de sortir avec ma chère épouse qui est devenue casanière. Elle accepte à condition de passer toute la journée à Pékin, pour justifier la peine de faire le voyage.

DSCN1870_li_peng_pontNous sommes donc au Yuanmingyuan, le Palais d’été où l’empereur Qianlong, contemporain de Louis XV et de Louis XVI, avait réuni des palais et des paysages de tout le monde connu, dont un palais français avec perspective et pavillons, dessiné par les Pères jésuites de sa cour. Tout fut détruit en 1860 par le corps expéditionnaire anglo-français. Il ne reste plus que les plateformes qui portaient les palais en bois, les ruines des pavillons en pierre du palais français, et le parc restauré avec ses lacs et ses grands arbres. Image souvenir devant le seul pont de pierre qui ait été relevé.

DSCN1864_metro_yuanmingyuanDSCN1913_12_animauxDSCN1923_yuanmingyuan_chevreJe n’avais pas encore vu les deux nouveautés: le mémorial dans le hall de la station de métro, à l’image de la façade d’un des pavillons français, et la fontaine des douze animaux du zodiaque, reconstituée pas loin de son véritable emplacement. A gauche, la chèvre de la prochaine année. Les corps de bronze ont disparu, et les têtes enlevées en 1860 sont dans des musées ou chez des collectionneurs, comme Pierre Bergé ; le gouvernement chinois travaille à les réunir.

Nous entrons à l’ambassade, côté « Résidence de l’ambassadeur » (les deux autres entrées mènent au consulat pour les Français, et au service des visas pour les étrangers). Je m’attendais à un contrôle sérieux, mais il n’y a que les petits soldats chinois, dehors, qui regardent les passeports et laissent tout le monde entrer.

DSCN1960_signature_livre

C’est déjà la queue pour écrire dans le livre de condoléances.

DSCN1970_ambassade_assembleeAu moment où l’ambassadeur va prendre la parole, les auditeurs sont autant que le grand salon peut en contenir, et même plus. Dommage: je ne vois aucun de ceux que je connais à Pékin. C’est vrai qu’ils ne sont pas nombreux. Beaucoup plus de gens d’âge que d’étudiants, tout le monde s’est dérangé.

DSCN1968_ambassadeurLes gendarmes de l’ambassade sont en grande tenue. Le discours de l’ambassadeur est de grande tenue aussi. Personne n’est oublié, surtout pas l’agent de police municipale, et le caissier malien du magasin Hyper Cacher; l’ambassadeur souhaite qu’il soit vite naturalisé français. Encore une pensée impie: un ambassadeur ne dit pas des choses pareilles dans une manifestation publique sans l’accord de Paris.  Les gens de la communication du gouvernement sont passés par là.

DSCN1975_entree_ambassadeQuand nous repartons, l’entrée est pleine de gens qui attendent, et quatre livres de condoléances ont été ouverts.

Au retour à la maison, il est trop tard pour le journal télévisé, et trop tôt aussi pour qu’il y ait quelque chose. Au moment où l’ambassadeur parlait, il était 11h du matin à Paris.

DSCN2006_grand_crayonDSCN2007_fouleDSCN2008_temoin_manifDSCN2009_chefs_detatAu journal de 19h de lundi, il ne manque pas une image de la grande manifestation à Paris, et même un témoignage du peuple « Nos n’avons pas peur », dit le sous-titre. Mais ça ne dure que trois minutes. Le grand crayon décoré en anglais me donne l’impression que la France est devenue un petit pays à langue minoritaire. Le grand sujet international du jour, c’est l’offre de dialogue de la Corée du sud à la Corée du nord, illustrée d’images du discours du 1e janvier de Kim Jong Un.

DSCN2024_mitrailleurMardi, la chaîne info a renouvelé son fond de décor: fankong, contre terreur. Avec des images d’hommes en armes devant des écoles et des synagogues, et de longs sujets sur l’insécurité en France, et une carte de la Méditerranée qui montre la Turquie et la Syrie.

Personnellement, j’ai passé beaucoup de temps ces jours-ci à suivre ce qui se passe en France. J’ai aussi lu les derniers numéros de Charlie Hebdo (téléchargés sur un site de « partage » pirate , pas moyen de les avoir autrement), et regardé les vidéos du site Arrêt sur image (il faut être abonné, mais beaucoup se retrouvent sur Youtube). Pour moi qui ai lu Hara Kiri quand j’étais au lycée (lecture interdite, et aussi au foyer du jeune travailleur où j’ai logé plus tard), j’ai du mal à imaginer un deuil national, des manifestations officielle, et l’utilisation par un gouvernement, pour des gens qui auraient eu horreur de ça. Heureusement que Cavanna est mort il y a un an. Et puis, en lisant ces numéros récents, j’ai eu l’impression que « Charlie hebdo » s’était mis au service du Bien, des choses qu’on doit penser, y compris expliquer qu’on doit lutter contre les religions et ceux qui y croient. Rien à voir avec l’ancienne façon de traiter le problème, bien plus méchante mais pas méprisante.

papeCharlie Hebdo, 1975

religion2011Charlie Hebdo, 2010

Et si c’était encore l’ « ancien » journal, le numéro historique en cours actuellement aurait eu une couverture comme celle-ci, à la place du prophète attendu, qui me semble être là plutôt comme une démonstration d’irresponsabilité (c’est mon opinion).

charlie_bangla_desh(« les couvertures auxquelles vous avez échappé cette semaine ») du numéro.

J’avais envie de parler de la question « Est-ce que la même chose aurait pu se passer en Chine ?  » et répondre « non » pour des quantités de raisons. Mais pour l’instant le sujet me dépasse. Ca fait quelques jours que j’essaie. En attendant que j’arrive à quelque chose, voici une couverture de 1969 qui plairait en Chine:

vietnam 1969 hkh44Décembre 1969, guerre du Vietnam. La collection des vieilles couvertures est en ligne, pour ceux qui ont des souvenirs de ces temps lointains (1969-1981).

Noël et les forces de l’ordre

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DSCN1233_binjiangdao_boutVoici la façade de la cathédrale catholique de Tianjin, un soir d’hiver quelconque. Nous sommes sur Binjiang dao, la rue des plaisirs innocents: restaurants, cinémas, fringues, bijoux, centres commerciaux à étages, beaucoup de monde tous les jours et de grandes foules les jours de fête. Un peu comme la rue Gros Horloge à Rouen qui a aussi la cathédrale à l’extrémité ouest (en plus grand), ou bien les Champs-Elysées, sans les voitures au milieu, et avec Notre Dame de Paris à la place de l’Arc de triomphe (en plus petit).

Ici, le soir de Noël, on fait la fête, bien que ce soit un jour ordinaire, avec l’école et le travail le 24 et le 25 décembre. Depuis que la cathédrale a rouvert (en 1980), beaucoup de gens passent à la cathédrale le 24 décembre. La plupart ne sont pas chrétiens et ne savent pas à quoi la fête correspond, mais en Chine on ne manque pas une occasion de saluer les puissances spirituelles. La paroisse met en place une organisation: on entre par la cour de l’évêché, à gauche du portail; les visiteurs sont canalisés vers la porte latérale, passent devant le choeur et la crêche, et ressortent par le grand portail. Des volontaires veillent sur eux, leur souhaitent un joyeux Noël, shengdanjiekuaile36 shengdan jie kuaile, sainte-naissance, fête, joyeux (vite-joie) et les dirigent vers la sortie pour laisser la place aux autres, car il y en a des milliers et la cathédrale n’est pas si grande. Ca commence au milieu de l’après-midi après la dernière messe de la vigile de Noël, et ça continue jusque tard le soir, puis on ferme la cathédrale un petit moment et on la rouvre pour la messe de minuit.

Mais depuis 2012 les autorités ont jugé que la présence de quelques gardiens de la paix comme dans tous les lieux où les gens se rassemblent ne suffisait plus, et qu’il fallait contrôler.

DSCN0979_barriere_bleueDonc, dès le matin, la dernière partie de Binjiang dao est séparée du reste. Ceux qui veulent aller à la cathédrale (ou dans les cafés avec terrasse qui bordent la rue) doivent marcher cinq cent mètres pour contourner un grand bloc de centres commerciaux et arriver par la rue qui passe devant le portail.

DSCN0981_trottoir_bleuJe fais comme tout le monde, et je vois que des barrières sont préparées pour fermer plus tard la rue que je prends pour arriver à la cathédrale.

DSCN0987_porte_evecheA la porte de la cour de l’évêché, ce n’est pas encore la foule, et je n’ai pas croisé de forces de l’ordre. Il est trois heures et demie.

DSCN0998_cour_barriereDans la cour, la rampe pour endiguer le flot des visiteurs est déjà en place.

DSCN1023_boutiqueLa boutique d’objets de piété est ouverte, pas très fréquentée. Remarque: alors qu’on vend des objets de piété bouddhistes et taoïstes un peu partout, pas seulement dans l’enceinte des temples (à ne pas confondre avec le matériel de la religion populaire, billets de la Banque du Ciel et vêtements en papier à brûler, qu’on trouve sur les marchés), je n’ai encore jamais trouvé d’objets chrétiens dans le commerce, ni de Bible dans les librairies, seulement ici.

DSCN1025_images_pieuses_400*DSCN1022_pendentifs_400

Les pendentifs pour rétroviseur de voiture et les étuis pour carte de métro sont pourtant exactement les mêmes, avec d’autres saintes figures.

DSCN1003_creche_1La grotte de Lourdes au fond de la cour est décorée et fleurie comme pour toutes les fêtes. On m’avait raconté il y a quelques années que des fidèles de l’Eglise dissidente (celle qui rejette l’affiliation à l’Eglise officielle contrôlée par le Parti; pas « clandestine », rien ne peut être clandestin en Chine, et à la campagne il y a des processions), qui ne voulaient pas s’approcher de l’Eglise nationale, venaient ici à l’heure de la messe sans entrer.

DSCN1012_affiche_messeHoraire des messes: le 8 décembre (Immaculée conception), le 24 décembre (deux messes du matin comme tous les jours, messe de la vigile de Noël à 15h, messe de minuit à 23h45), le 25 décembre (trois messes du matin et la messe de l’après-midi comme le dimanche). Les messes en anglais (le 24 à 19h messe de la vigile de Noël, le 25 à 11h30 comme le dimanche) sont affichées sur un autre panneau.

DSCN1005_sortie_messeDSCN1007_sortie_messe_2A 16h, pour entrer dans la cathédrale, il faut attendre que ceux qui ont écouté la messe de 15h soient sortis. On est pourtant un jour ouvrable, mais l’église était pleine. Pas d’enfants, ils sont à l’école. Réflexion d’un professeur de l’université à qui je l’ai raconté « Oh, il y avait beaucoup de curieux ». Je n’y crois pas, les curieux sont découragés par des moyens simples: des cordons tendus dans les allées au début de la messe pour embarrasser ceux qui prétendraient circuler. Je réussis à entrer, mais on me demande de sortir avec tout le monde, parce que les portes vont être fermées.

DSCN1011_sortie_exterieurOn devine la barricade au fond de la rue. Une jeune volontaire de la cathédrale me repère dans la foule et me persuade de venir à la messe des étrangers qui sera célébrée à 19h.

DSCN1038_demineursPendant qu’elle m’explique le lieu de rendez-vous (la messe des étrangers ne sera pas dans la cathédrale mais dans le bâtiment de l’évêché), je vois arriver un groupe de gens en uniforme, certains portant des valises de matériel. Les volontaires de la paroisse s’affairent à dresser une barrière de bancs devant les marches du portail. Puis les portes sont fermées. Elles se rouvrent cinq minutes après, pour laisser entrer quelques pompiers en tenue de feu, avec la bouteille d’oxygène sur le dos. Il y a aussi un cameraman de télévision.

DSCN1045_facade

En attendant la messe des étrangers, je vais me mettre au chaud au Starbuck qui a une salle à l’étage, d’où on a la meilleure vue sur la façade. Au milieu des badauds, je repère quelques agents en service (les trois à gauche). Les démineurs sortent par le portail central et s’en vont.

DSCN1048_facade_pompiersDes voitures de pompiers arrivent, manoeuvrent et vont se garer près de la cathédrale.

DSCN1058_facade_soldatsPuis une quarantaine de soldats avec leurs armes se dirigent vers la rue des cafés et disparaissent. Comme la barrière les empêche d’aller loin, je suppose qu’ils se sont installés à l’étage d’une des boutiques.

DSCN1067_facade_policePuis deux autocars des forces de l’ordre arrivent et débarquent leur personnel. Ce sont des « vrais » policiersjingcha36jingcha, surveiller-enquêter, pas les gardes municipaux qui ont un corps de garde à l’entrée des écoles ou tracassent les marchands ambulants.

DSCN1070_facade_photographesPour l’instant, la rue n’est pas encore interdite et on continue de faire des photos-souvenir de la cathédrale illuminée. Mais au moment où je veux sortir du Starbuck, des policiers sont en train de faire évacuer la rue et bloquent les portes des cafés. Ceux qui sont restés dans la salle en haut, comme moi, devront sortir par la porte à l’étage qui donne sur un centre commercial, dont les policiers dirigent les clients vers la porte qui donne sur Nanjing lu, la grande avenue, après avoir bloqué la porte sur la rue. Comme je n’ai pas envie de me retrouver du mauvais côté de la barrière, je retourne au Starbuck et je réussis à sortir en même temps qu’une mère de famille avec petit enfant, pour qui un serveur rouvre la porte après que les policiers soient partis; leur effectif n’est quand même pas illimité.

DSCN1077__xining_daoComme on n’est pas encore à l’heure de la messe des étrangers, je fais un petit tour dans la rue. Des barrières en tôle bleue ont été posées partout où quelqu’un pourrait passer. Un grand ensemble bureaux-hôtels, qui donne à la fois sur Nanjing lu et sur la rue de la cathédrale, a été investi. L’entrée du parking est barricadée, et les policiers remplissent le hall d’entrée, prêts à bloquer ceux qui voudraient sortir par le côté de la cathédrale (en même temps, ils se reposent dans les grands fauteuils; peut-être que ceux qui attrapent froid dehors se relaient).

Pour arriver dans la cour de l’évêché où je dois retrouver ceux qui iront à la messe des étrangers, je dois remonter toute la rue pour rejoindre la file de ceux qui vont entrer dans la cathédrale.

DSCN1084_repetitionNous voila dans la salle de réunion mobilisée pour la messe des étrangers. La chorale répète Silent night, holy night (Douce nuit, sainte nuit). L’autel est un assemblage de petites tables. Tout le monde n’est pas encore arrivé et nous sommes au moins une centaine.DSCN1107_assemblee_etrangersL’assemblée, photographiée au moment de la fin de la messe. Des Asiatiques, des Indiens, quelques Occidentaux et Africains. Dans son sermon, le célébrant (un Américain) dit que la paroisse rassemble 41 nationalités recensées.

DSCN1098_celebrantLe célébrant salue la chorale. Après la bénédiction, il prend une photo. Il en prendra aussi une de l’assemblée à la fin de son sermon. On nous avait dit de ne pas photographier pendant la messe.

DSCN1105_groupe_officielDSCN1099_groupe_presLa photo officielle de la chorale, en aubes avec un grand col réversible, doré ou violet selon le temps liturgique. « Les anges dans nos campagnes » en anglais prend un air exotique.

DSCN1109_foule_entreeQuand nous sortons du bâtiment de l’évêché, il n’y a qu’un chemin pour aller dehors: suivre le flot des visiteurs qui entrent par un bas-côté et sortent par l’autre, gentiment et énergiquement encadré par les volontaires de la paroisse.

DSCN1112_foule_interieurA l’intérieur, personne ne peut s’arrêter. La nef est interdite d’accès, sauf pour quelques vieilles dames qui attendront la messe.

DSCN1111_choeur_pompierLe choeur est occupé par les autorités sécuritaires: un militaire, quelques policiers, un pompier avec son casque. Au premier plan, une volontaire de la paroisse avec son baudrier rouge de bienvenue. Deux petits soldats dans le bas-côté font semblant d’examiner les extincteurs, suivis par une caméra de télévision.

En sortant dans la rue, nous la trouvons en sens unique, il faut marcher quelques centaines de mètres avant de retrouver Nanjing lu qui est tout près.

DSCN1126_nanjing_luComme je n’ai rien de mieux à faire, je redescends l’avenue pour voir par où sont entrés ceux qui défilent dans la cathédrale. La foule du soir est là, comme tous les jours, plus nombreuse que les jours ordinaire, c’est contre cela qu’il faut protéger la cathédrale.

DSCN1138_rue_barreeLa première rue est barrée, puis la deuxième, puis une autre encore, et le passage qui dessert une entrée de la station de métro. Il faut marcher une demi-heure et longer des centaines de mètres de barrières en tôle bleue pour atteindre l’unique entrée. Aucun risque de se perdre, il suffit de suivre le flot de ceux qui veulent rendre visite à la cathédrale.

DSCN1141_barnumJe viens de franchir l’entrée, et de passer les tentes blanches avec radiographie des sacs, portique détecteur de métaux et scanner à main On se croirait dans une gare un jour de grande vigilance.

DSCN1144_defileNouveau passage devant le choeur de la cathédrale; la nef est presque pleine et les gardiens sont plus faciles à attendrir si on veut y rester.

DSCN1151_policiers_fouleUne fois dehors, on peut voir derrière les policiers, à l’intérieur de la cour, le défilé de ceux qui vont entrer. Ceux qui sortent doivent suivre la rue à sens unique.

DSCN1154_portail_sortieDSCN1155_binjiangdaoUn coup d’oeil à la rue bloquée et ses cafés fermés, sauf le Starbuck à droite, dont la terrasse est occupée par des gens en uniforme. Il est 21h, je rentre à la maison en attendant la messe de minuit.

DSCN1156_onze_heures

23h15. Cette fois, je me suis fait conduire en taxi jusqu’à l’entrée. Le taxi n’avait pas le choix, Nanjing lu est fermée à la circulation (à cette heure, il n’y a plus d’autobus), et il n’avait pas d’autre chemin pour contourner le barrage. Mais il n’y aura pas de messe de minuit. L’entrée est fermée parce qu’il y a trop de monde dans l’église, dit le policier chargé de parler au peuple. Je rencontre un jeune couple d’Allemands venus de Shanghai visiter des amis, qui voulaient avoir leur messe de minuit. Certains partent découragés. Les autres continuent d’attendre, et obligent vingt policiers à rester debout dans le froid.

DSCN1162_onze_haures_2Plusieurs fois, des femmes sermonnent les policiers, en invoquant la présence d’étrangers qui vont penser du mal de la Chine. Plus tard, des camions arrivent pour démonter les barnums et les barrières; les policiers se replient vers la cathédrale et des effectifs supplémentaires arrivent au moment où ceux qui sont entrés à temps commencent à sortir. A la fin, ils sont trente qui suivent la consigne: interdire l’approche de la cathédrale jusqu’à ce qu’elle soit vide et fermée. Je pense que l’opération a mobilisé plus de cent uniformes pour tenir le siège toute la soirée.

DSCN1163_binjiangadao_matinJeudi matin 25 décembre, tout est redevenu normal, les barrières ont été démontées.

DSCN1171_nefJ’arrive à la fin de la messe de 10h. Une fois de plus: si vous voulez prier dans une église pleine, venez en Chine. J’ai l’impression qu’il y a déjà plus de catholiques pratiquants que dans toute l’Europe occidentale.

DSCN1166_creche_loinDSCN1173_creche_photoDSCN1175_petit_jesusBeaucoup de monde autour de la crèche. Le Petit Jésus est nouveau (du moins c’est la première fois que je le vois). Il a l’air beaucoup plus chinois que sa mère en plâtre.

DSCN1191_creche_photographesDévotion numérique: tous les visiteurs veulent emporter une image.

DSCN1176_pretre_photoMême l’Américain qui a assisté son confrère Tianjinois pendant la messe de 10h, et qui va célébrer la messe de 11h30 en anglais, s’y met. Au-dessus de sa tête, c’est sainte Thérèse, avec deux bouquets de roses en soie.

DSCN1195_nef_jourDébut de la messe des étrangers. Le célébrant remonte la nef derrière celui qui brandit l’Evangile.

DSCN1125_minettesDSCN1124_decorEt pour ne pas donner l’impression que le Noël chinois est seulement une fête chrétienne, voici un groupe de minettes sorties entre amies le soir de Noël. Elles sont dans le hall d’un immeuble de bureaux, resté ouvert pour que tout le monde vienne admirer le décor.

J’ai raté quelque chose: j’aurais dû suivre attentivement les journaux de la télévision régionale pour voir quel est le discours officiel sur la célébration chrétienne à haut risque. C’est la troisième année d’encadrement policier. Jusque là tout s’était bien passé, et j’avais passé ma première messe de minuit, faute de prévoir, dehors devant la façade au milieu de centaines de gens qui n’avaient pas pu entrer. A Qingdao où j’étais l’année dernière, la cathédrale était pleine et il n’y avait dehors sur la place que les quelques gardiens de la paix qui sont là dès que quelque chose rassemble beaucoup de monde. A Tianjin la cathédrale est sur le bord de la grande foule de la ville. Cette année la dissuasion a été poussée en transportant l’entrée le plus loin possible.

On peut remarquer que le déploiement autour de la cathédrale a commencé l’année où Xi Jinping est arrivé à la tête du Parti (novembre 2012). Quand il n’était que prince héritier, il avait la réputation d’un Ratzinger du marxisme. Est-ce qu’il a donné un mot d’ordre de tracasser ce qui fait concurrence à la croyance officielle, qu’il essaie de ranimer avec son « Rêve Chinois » ? La religion chrétienne est bien plus menaçante que le bouddhisme national. Les tentatives de recréer une religion officielle avec les célébrations ressuscitées du culte des ancêtres sur les tombeaux de Yu le Grand ou de l’Empereur Jaune sont irrémédiablement ridicules. Cette année une campagne a été lancée « Ne participons pas aux fêtes importées de l’étranger ». Comme on peut voir, c’est raté.

Noël et boule de métro

DSCN0874_trois_fillesDSCN0892_binjiangdao_quatreC’est l’hiver. Il fait froid, mais pas vraiment. Il gèle la nuit et la rivière commence à prendre en glace, mais le jour le soleil brille et personne ne met encore de gants. Je suis sorti en ville pour voir les décorations de Noël. shengdajieshengdajie, sainte grande fête. Mais justement le nom de la fête n’est écrit nulle part en chinois. Et personne, sauf les chrétiens, ne sait de quoi il s’agit. C’est une fête venue de l’étranger, il y a le Père Noël et le sapin, et toutes les fêtes sont bonnes à accueillir, c’est une occasion de mettre des décors.

DSCN0969_arbre_doreVoici une version minimale, devant une des boîtes de nuit du quartier. Il est sorti des boîtes en carton qu’on voit au fond. Le montage est presque fini. Une vieille dame qui contemple les travailleurs me demande si je trouve ça beau. Je lui demande si elle mettra un petit sapin chez elle. « Sûrement pas, c’est pour les étrangers. » Une de mes amies, jeune mère de famille, en a acheté un, sinon sa petite fille lui demandera pourquoi il n’y en a pas.

DSCN0965_carton_noel_400Sur la porte d’un restaurant. C’est un nouveau modèle de cette année, le sapin ressemble presque à une pagode.

DSCN0810_rue_europeA l’entrée de la Rue européenne (oushi fengqing jie, europe-style, ambiance-sentiment, rue, sur le portique ; c’est Kaifeng dao, dans le quartier de Xiaobailou, pour ceux qui connaissent Tianjin, l’hôtel Renaissance est au coin à droite) il y a un beau sapin rouge,

DSCN0817_blanche_neigemais vu de près c’est n’importe quoi. Et les Père Noël grandeur nature, qui avaient du succès les années précédentes, les filles posaient autour d’eux, sont désertés.

DSCN0865_isetan_fuseeDevant le grand magasin Isetan (tout pour l’expatrié, en particulier japonais, des casseroles aux draps de lit, mais il y a aussi du vrai gruyère et du beurre demi-sel Président), l’installation marie la fusée Longue Marche et un château Disneyland.

DSCN0871_fusee_jauneUne grand-mère est en train de persuader sa petite-fille de poser pour son grand-père. J’ai vu plusieurs échecs, les petits garçons sont trop intéressés par ce qu’on peut voir derrière la barrière rouge.

DSCN0896_binjiangdao_mengzhongguomeng_200Tout à côté, dans Binjiang dao, la rue des plaisirs innocents, il y a bien quelques sapins, mais pas d’images de Noël municipales, tous les réverbères sont monopolisés par la nouvelle campagne officielle « Le Rêve chinois ». zhongguomeng_36zhongguo meng, centrale-nation rève. Le slogan sonne un peu comme hongloumeng_36honglou meng, rouge-bâtiment rêve, Le Rêve dans le Pavillon rouge, le roman, l’équivalent de La Recherche du Temps perdu, que tout le monde connaît mais que peu de gens ont lu en entier, un monument national. C’est Xi Jinping qui a choisi le mot d’ordre de son règne, en essayant d’éviter ce qui est arrivé à son prédécesseur Hu Jintao, qui avait annoncé que son but était de construire hexieshehui_36hexie shehui, harmonieuse société. L’ennui, c’est que tout le monde s’était mis à parler debei_hexie_36bei hexie le, (passif) harmonie (réalisé), ça a été harmonisé, chaque fois qu’un scandale ou un accident fâcheux apparaissait puis disparaissait des nouvelles, après « harmonisation ».  Le nouveau mot d’ordre est peut-être moins susceptible de dérision, mais on ne sait jamais, donc le paysage de la ville se remplit de belles images édifiantes avec le sceau rouge à trois caractères de cette campagne officielle. Il y en a de très jolies. Les plus grandes concurrencent les publicités sur les grands murs des chantiers. Voici un échantillon modeste, collé à l’entrée du jardin du Peuple:

DSCN0957_meng_cuisinier_400Un cuisinier avec ses baguettes est en train de ranger les grands bâtons de pâte frite qu’on mange au petit déjeuner.

chinese_dreamCette petite fille est affichée partout, et illustre même un article de The Economist sur le Rêve chinois, où je suis allé la chercher. Wode Zhongguomeng. Mon rêve chinois à moi.

Il y aussi des enfants qui jouent, des paysages, des animaux favorables, des photos de figurines nirenzhang en terre cuite fabriquées à Tianjin, des images pour livres d’enfants d’il y a cent ans. Il faudra que je les montre.

Mais le rêve ne suffit pas. La municipalité, probablement pressée par le pouvoir central, a déployé une grande démonstration de la préoccupation de sécurité qui l’anime. Depuis 2008, l’année des Jeux Olympiques, les bagages sont radiographiés dans les gares et dans les stations de métro de Pékin. La station de métro de la gare centrale de Pékin a même été fermée plusieurs mois, le temps qu’on la réaménage pour trouver la place des installations.

DSCN0250_mobilier_l9 DSCN0493_mobilier_l1Depuis deux mois, je voyais des mobiliers bizarres s’accumuler dans les stations (heureusement, il y a toute la place qu’il faut).

DSCN0860_yinkoudao_soldatsPourtant, rien n’avait changé. Dans certaines grandes stations, on continuait de voir des petits soldats, qui ont l’air d’avoir 18 ans et ne sont peut-être pas plus âgés. Celui de gauche a un gros pistolet, et celui de droite serre contre son coeur un fusil-mitrailleur avec le chargeur en place. Pourvu qu’ils ne s’effraient pas au milieu de la foule, c’est pour ça que je les ai photographiés sans qu’ils me voient. De temps en temps, au moment des grands évènements politiques comme les réunions nationales du Parti, notre station accueillait une équipe avec un chien flaireur d’explosifs; grand tracas, il fallait faire remonter le chien à l’air libre très souvent pour qu’il ne s’ennuie pas trop.

DSCN0848_entree_xiawafangMais cette fois tout est installé. Il y a un labyrinthe pour absorber la queue à l’heure de pointe et un panneau explicatif (cliquer pour voir le discours en grand).

DSCN0923_labyrintheAu bout du parcours, on devine la nouvelle machine, et un de ceux qui sont chargés de montrer comment faire. Pour l’instant il laisse passer.

DSCN0854_yinkoudao_machineVoici la machine côté entrée. Les gens qui se pressent sur la droite sortent de la station. On voit le préposé à la contemplation des images à gauche. Il n’y a personne qui entre, parce que les voyageurs, en me voyant avec un appareil photo, ont attendu poliment derrière moi que j’aie fait mon travail. On peut lire hexieanjianghexie anjiang, harmonie contrôle, avec le troisième caractère, une femme sous un toit, qui signifie « paix ». Le discours de l’autorité veut être apaisant.

DSCN0917_yinkoudao_inputVue d’une des machines dans la station Yinkou dao, la plus fréquentée. Dès le premier jour tout le monde s’est habitué et les préposés n’ont même pas à persuader les voyageurs.

DSCN0922_yinkoudao_flotAu premier plan, les portes de contrôle des tickets (on présente le ticket en entrant, et on le met dans la fente en sortant; ou bien on présente sa carte et le petit écran dit combien d’argent il reste dessus). La machine de contrôle couverte de discours sur fond bleu est au centre ; tout le monde pose son sac sur le tapis roulant et le récupère avec bonne volonté. A l’heure de pointe il serait bien difficile de persuader chaque voyageur ; mais c’est comme les portes de contrôle qu’il suffirait d’enjamber : on se conduit bien.

DSCN0912_descente_yinkoudaoPourtant, en voyant ce qui se passe à l’entrée de la station Yinkou dao, la plus fréquentée du réseau le samedi (elle dessert Binjiang dao et son quartier), on se dit que le respect des règles n’est pas le point fort du peuple (la vente à la sauvette est interdite, mais les contrôleurs sont obligés de descendre en nombre, sinon on ne fait même pas attention à eux, et ils ne viennent pas souvent).

DSCN0929_xiawafang_nombreuxDSCN0852_filles_sacsUn des petits prodiges de cette opération de sécurité, c’est la mobilisation d’une foule d’agents : chaque station a quatre entrées, il faut au moins trois agents par entrée (pour demander aux usagers de poser leur sac, pour regarder l’image, pour superviser) et éventuellement quelqu’un pour manier le détecteur de métaux sur l’usager lui-même; le métro est ouvert de 5h du matin à 22h30 ; il y a déjà plus de 80 stations de métro à Tianjin, calculer combien il faut en mobiliser. On voit ici un groupe destiné à une autre station, qui vient de regarder comment ça se passe dans notre station calme.

DSCN0933_zigu_operatriceJe fais poser la préposée à l’examen des images. Comme elle vient de me voir parler avec sa chef, qui est maintenant derrière moi et ne voit pas ce que je fais, elle croit que j’ai l’autorisation. A sa droite, la machine à contrôler les bouteilles thermos, qu’il serait impossible d’interdire. Dans la main de son collègue qui attend les usagers, le détecteur de métaux.

DSCN0950_boule_ouverteDSCN0928_boule_fermeeVoici l’objet de la conversation: cet étonnant meuble d’un mètre de haut, qui a l’air très lourd. C’est un container à l’épreuve des explosions, pour séquestrer les objets suspects. J’ai un doute sur son utilité pratique: il peut avaler un sac à main, mais même une valise à roulettes du modèle « bagage de cabine » est trop grosse pour entrer et laisser la porte se refermer. Mais ça fait impression. Il y avait une de ces boules sur chaque quai du métro de Pékin pendant les Jeux Olympiques, elles ont disparu depuis.

Je fais un essai de la vigilance des jeunes servants de la machine de sécurité, en posant sur le tapis roulant mon bonnet de laine. L’agent m’a vu poser quelque chose mais rien n’apparaît sur son écran. Inquiet, il se lève pour regarder le tapis roulant de ses yeux. Rien ne sort: le bonnet est trop léger pour pousser le rideau de lanières qui ferme la sortie. Je passe la main à travers et je sors le bonnet. L’agent me remercie de l’avoir rassuré. Je n’ai pas l’impression que tout ce déploiement dissuaderait un vrai terroriste, mais un fou avec un hachoir de cuisine qui voudrait tuer tout le monde (ça arrive de temps en temps quand même, on le lit dans les journaux) serait contré, rien que par la présence des agents de sécurité, à qui les machines donnent une raison d’être là.

Donc les autorités municipales ont offert aux citoyens la sécurité dans le métro comme cadeau de Noël.

DSCN0901_confessionComme c’était dimanche, et que la cathédrale est tout près de Binjiang dao, je suis entré. C’était un peu avant la messe de trois heures de l’après-midi (il y a chaque dimanche trois messes le matin, celle de 11h30 en anglais, et deux l’après-midi, plus la messe du samedi soir). La grotte de la crèche est montée, mais elle est encore vide. Il y a la queue au confessionnal, à l’approche de la fête. Je suis resté entendre la messe. Une famille s’est tassée sur son banc pour me faire de la place. J’ai vu des retardataires prendre des coussins sur la pile le long d’un pilier, signe qu’il n’y avait plus de places assises. Mercredi il faudra que j’arrive tôt si je veux entrer pour la messe de minuit.

 

Noël en Allemagne

DSCN0561_panneau_bleuJ’ai passé un samedi en Allemagne, pour la foire de Noël. Je en suis pas allé en Europe pour ça, juste dans les cours de l’ambassade d’Allemagne. C’est mon amie Petite Feuille qui m’a demandé de l’accompagner à Pékin. Elle est toujours au courant de ce qui se passe; cette fois c’est un ami pékinois qui l’avait alertée.

DSCN0615_deutschlandLe territoire allemand est en vue. Une occasion de se rappeler que « Allemagne » se dit de guo, vertu, pays. L’Allemagne est le pays de la vertu, comme la France fa guo fqguo  est le pays des lois, et l’Amérique mei guo meiguo le pays de la beauté. A tel point que quand Google traducteur rencontre mei nu 每怒jolie fille, il traduit par « Américaine ». Mais revenons au sujet du jour. A 11 heures et quelques minutes nous sommes devant le portail. Tout le monde peut entrer, pas de passeport à présenter. Quand je pense à l’ouverture du portail sur le jardin de l’ambassade de France en 2007 le jour de l’élection présidentielle, entouré de policiers chinois frénétiques qui empêchaient les citoyens chinois d’entrer en même temps que leur conjoint ou ami(e) citoyen français, quelque chose a changé.

DSCN0620_debut_queueLe petit soldat de l’Armée Populaire est là pour donner une apparence d’autorité face à la queue de ceux qui veulent entrer. Nous regardons les centaines de gens qui attendent sagement. La file s’étend sur trois côtés du mur qui entoure  les cours de l’ambassade.

DSCN0587_queue_visasDSCN0582_kein_einlassIci, nous avons bien progressé, nous sommes déjà à l’opposé de la grande entrée, là où les demandeurs de visa font la queue les jours de semaine. Un regard sur le panneau d’avertissement: Pas d’entrée pour les personnes qui des armes, couteaux ou autres menaçants objets avec elles apportent ! Mais ce n’est pas le jour.

Il ne fait pas vraiment froid, il n’y a pas de vent, c’est justement un de ces jours où l’air de Pékin n’est plus transparent. C’était déjà comme cela quand je suis arrivé en Chine. Mais maintenant on en parle dans les journaux en Occident, et l’air dangereux de Pékin est devenu presque un élément de statut pour un expatrié. Or nous sommes dans le plus grand rassemblement d’expatriés que j’aie vu depuis longtemps.

DSCN0555_scooterNe confondons pas: cette dame porte un masque en tissu contre le vent et la poussière, comme Matteo Ricci en avait vu vers l’an 1600 (il note que c’est très pratique: devenu impossible à reconnaître, on est ainsi dispensé des salutations et courtoisies rituelles chaque fois qu’on croise une personne de connaissance). Mais pour manifester qu’on se protège contre la pollution, il faut des équipements qui aient l’air plus sérieux.

DSCN0525_masque_nezLéger et très technique.

DSCN0531Le noir est la couleur des équipements de haute technologie.

DSCN0526_couple_mixteA gauche, ce masque 3M de conception américaine et d’aspect austère a été adopté par la majorité.

DSCN0548_roussesLe même masque 3M porté par trois Scandinaves. J’ai attendu que la jolie fille de droite montre son profil pour prendre la photo. Cette couleur de cheveux est devenue à la mode chez les Pékinoises et on ne peut plus se fier à grand-chose.

DSCN0568_famille_masqueToute une famille consciencieusement équipée.

DSCN0564_masque_levresUne Japonaise et une Allemande (probable, impossible de les entendre distinctement d’un peu loin).

DSCN0533_ye_masqueeUne Asiatique équipée d’un masque moderne plus léger.

DSCN0516_trois_masqueesLes filles chinoises, qui n’ont pas de problème de rang à tenir, s’équipent légèrement. Le masque de papier plissé de la jolie fille de droite se voit dans la rue en toute saison.

DSCN0551_blouson_rougeDSCN0543_masque_noir_chinoiseIl y en a à qui ça va très bien. Leur regard est mis en valeur.

Nous n’avons pas que la contemplation des visages masqués. Ceux qui attendent sont entourés d’attentions.

DSCN0508_choraleVoici une des chorales de la communauté allemande. Au passage, notez que le flou de l’arrière-plan n’est pas un effet artistique. L’air n’est vraiment pas transparent.

DSCN0578_pere_noelLe Père Noël de l’ambassade distribue des bonbons et se laisse prendre en photo avec les petits et les grands.

DSCN0606_le_creusetIMG_6442_lunettesCette charmante commerçante vend des lunettes pour déguisements de fête. Je lui en achète une paire sans marchander, trois fois trop cher, rien que pour la faire poser et l’entendre me raconter que son grand sac lui a été rapporté de France par une amie qui lui a dit que c’est une marque de luxe très renommée là-bas (en fait, elle n’a pas tort).

DSCN0630_queue_teleLa télévision allemande est là pour enregistrer le succès de la fête, mesurée en nombre et en endurance de ceux qui veulent participer. Nous faisons la queue depuis deux heures et plus.

IMG_6452_interviewLa journaliste m’interviewe dans un français digne de France-Culture, après une tentative ratée en anglais. Elle est déçue que je lui parle des bonnes choses européennes à boire et à manger qui nous attendent (il est 1h30 de l’après-midi), et pas de la culture allemande. J’essaie de me rattraper en disant que je serai très content d’être en Allemagne où je ne suis pas allé depuis des années (photo de Petite Feuille).

DSCN0610_vendeuses_tisaneLa fête a délégué une boutique mobile qui propose des petits gâteaux et des tisanes, au profit des bonnes oeuvres. Le portail est tout proche.

DSCN0703__ambiance_marcheNous sommes arrivés. Le décor est exactement le même que dans la rue allemande du quartier de style italien de Tianjin, mais c’est « vrai », les gens qui sont là sont chez eux (les Allemands) ou en visite chez des amis (tous les autres).

DSCN0640_vin_chaudLa boutique du vin chaud à la cannelle, proposé par Siemens.

lotus_ble_siemensUne occasion pour rappeler que Siemens est installé en Chine depuis très longtemps. Dans Le Lotus Bleu, qui se passe à Shanghai en 1931, on voit une affiche pour les lampes xi men zi, ouest porte fils.

DSCN0707_tarif_boissonsComme dans toutes les fêtes paroissiales, on est là pour donner de l’argent aux bonnes oeuvres tout en se réjouissant.

IMG_6501_trioLa compagnie en photo-souvenir autour d’un pot de vin chaud.

IMG_6491_stand_kempinskiLa boutique de friandises tenue par l’hôtel Kempinski (rue Liangmaqiao, derrière le Lufthansa Center, en face de l’école allemande, pas loin de la nouvelle ambassade de France, chambres à partir de 1200 yuans).

DSCN0681_sorciere_pain_epice

DSCN0683_maison_kempinskiDSCN0685_smartphoneCulture allemande: la maison en pain d’épice de la sorcière de Hansel et Gretel a un grand succès (hospitalité de l’hôtel Kempinski).

DSCN0651_salle_a_mangerA l’intérieur du grand bâtiment de l’ambassade, la salle à manger. Les Allemands ont construit quelque chose qui est capable d’accueillir les foules; ça, la nouvelle ambassade de France en serait bien incapable.

DSCN0660_bouquinisteDans le patio, le bouquiniste en langue allemande. Presque tous les livres proposés sont traduits de l’américain, comme ailleurs. Je subis une défaite linguistique. Une petite Chinoise me demande, histoire d’engager la conversation « Sie wohnen Peking ? » (vous habitez Pékin ?).  Je suis obligé de lui répondre « Wo bu hui shuo deyu. » (je ne sais pas parler allemand.).

DSCN0645_lutheriensDSCN0646_livres_pieuxkantoreiLa boutique de la paroisse allemande, bougies de Noël, chocolat chaud, livres, et invitations à faire partie de la chorale évangélique. Je me demande s’il existe quelque chose d’équivalent pour la communauté française, ou si c’est un exemple du génie qui sait reconstruire la patrie partout où les Allemands s’installent, comme je l’avais vu à Qingdao (cathédrale, temple, brasserie, et chorales, qui vivent toujours aujourd’hui) .

DSCN0756_kantorei_rectoDSCN0757_kantorei_verso

La chef de choeur de la Deutsche Kantorei Peking est une Chinoise (cliquer sur les petites images pour lire le prospectus; depuis un an ce blog est inaccessible de Pékin, comme tous les sites de Le Monde, divergence idéologique avec le Rêve Chinois de Xi Jinping, mais les gens qui parlent des langues étrangères sont équipés pour contourner la Grande Muraille.). Une autre boutique propose de grandes couronnes de branches de pin avec de grosses bougies rouges. J’ai vu des familles partir en en portant une sur un plateau; mais difficile de prendre le train avec.

DSCN0671_rotaryHonneur aux bénévoles qui tiennent un des stands de rafraîchissements.

DSCN0694_moutarde_douceUne visiteuse essaie une spécialité exotique: un petit pain chaud, une grosse tranche de pâté-mousse comme on sait le faire en Allemagne, et de la moutarde douce.

DSCN0695_sandwichNotre ami pékinois est si content qu’il pose avec sa découverte. Il a mis un selfie avec son sandwich sur son microblog Wechat wechat(sur smartphone, son code: rossi-h69 ; je n’ai pas encore réussi à me connecter, mais vous y arriverez peut-être).

DSCN0697_sandwich_selfie * IMG_6503_pate_chaud

Il va être temps de rentrer à Tianjin (la gare sud est de l’autre côté de la ville, à une heure de métro plus le temps d’aller à la station, Pékin est une grande ville).

DSCN0713_blondes * DSCN0690_masque_parano

Un dernier coup d’oeil sur les autres visiteurs. Tout le monde ou presque a quitté son masque depuis longtemps, d’ailleurs l’air s’est amélioré l’après-midi, mais il reste quelques expatriés inquiets.

DSCN0720_chope_biereJuste le temps de poser avec un membre du service d’ordre à l’entrée.

DSCN0719_deguodashiguandeguo dashiguan, vertu pays grand envoyé palais, l’ambassade d’Allemagne (sur le dos d’un agent du service d’ordre). Petite Feuille ne connaissait pas le mot « Ambassade » et me demande de l’écrire.

Premier jour de l’hiver

DSCN0467_porte_rougeLe premier signe de l’hiver, en ville, c’est l’apparition des grandes portières en tissu matelassé qui protègent l’entrée des lieux publics. Celle-ci est toute neuve, et rouge, d’habitude elles sont vertes. Elle ferme la galerie marchande de mon hypermarché habituel. La dame qui sort est une consommatrice moderne. Dans la main droite elle tient deux flacons de deux litres de jus de pomme, et dans la main gauche un sac de seize pots de yaourt grec, en promotion. Ma chère épouse n’achète jamais rien à l’hypermarché, elle va dans les magasins sans prix marqué ou sous les petites halles municipales du quartier, et elle marchande. Je ne peux pas l’accompagner parce qu’en ma présence les prix ne baissent pas. Pourtant Tianjin n’est pas comme Capesterre-Belle-eau (Guadeloupe) : je voulais acheter un kilo de bananes-dessert (production locale), la marchande m’annonce un prix que je trouve élevé, aussi cher qu’en Métropole, « C’est que je vous ai fait le prix pour les Blancs. »

DSCN0357_pesee_chouxDSCN0359_choux_rayonDonc j’achète mes fruits à l’hypermarché, où les prix sont marqués. Au rayon des légumes, c’est la saison du chou d’hiver, que les familles achètent en quantité pour le garder au froid sur les appuis de fenêtre et les paliers des escaliers dans les résidences. 0.58 yuan la livre, soit 15 centimes d’euro le kilo, un peu plus cher que dehors, et il est emballé. Le prix montera au cours de l’hiver. En fait, il n’est pas raisonnable, quand on habite en ville dans un grand immeuble, d’essayer de faire soi-même des stocks, mais la maîtresse de maison chinoise n’est rassurée que quand elle voit sa maison remplie de nourriture. Je vais raconter une fois de plus l’histoire de la jeune Parisienne mariée à un Chinois de Paris: son mari lui rapporte un soir un sac de riz thaï de 25 kilos pour mettre dans la cuisine, sinon sa mère qui va venir les voir croira qu’ils sont dans la misère.

Dans ce journal, je parle de choux une fois par an, en novembre parce que c’est la saison et que j’ai commencé à écrire à ce moment-là, le 7 novembre 2006. Nous entrons dans la neuvième année.

DSCN0434_paysage_bleuPour donner une idée du changement du centre de Tianjin depuis huit ans, voici une photo prise la semaine dernière, depuis le pont sur la Haihe le plus proche de la maison, qui n’existait pas alors. Il y avait déjà dans le paysage l’hôtel couleur cuivre, à gauche, et son voisin rectangulaire. Il y a aussi l’hôtel Renaissance dont on voit le sommet pointu caché derrière une tour plus récente, et une tour, à droite, cachée derrière une autre tour en chantier. Par contre, la grande cheminée de la centrale électricité-chauffage urbain a disparu, il reste la base blanche et son ombre sur l’immeuble neuf à côté. Tout le reste est nouveau.

DSCN0433_paysage_droitSur cette image plus resserrée, deux ponts qui n’existaient pas, les quais à droite qui étaient en chantier. A gauche il n’y avait que la tour ronde (un hôtel bon marché) et la tour derrière le mât en biais du pont à haubans, qui a été reconstruite dans le même volume. A droite, la tour à moitié masquée, avec une inscription en bleu au sommet, existait déjà, mais je ne suis pas tout à fait sûr que c’est la même. Tianjin est une ville plate dans une plaine, où on s’oriente en reconnaissant le sommet des tours. Au ras du sol, ou bien rien n’a changé, ou bien tout est nouveau. J’ai du mal à tenir à jour mon paysage. (cliquer sur les photos pour les voir en plein écran).

DSCN0336_bassin_jardinC’est pour ça que j’aime bien le Jardin du Peuple, le jardin public tout près de la maison. C’était une tentative d’offrir au peuple un jardin chinois, immense dans un petit espace, où on oublie le reste du monde, comme les jardins de Suzhou ou le jardin Yu à Shanghaï. Echec de ce point de vue-là, mais en se plaçant au bon endroit on peut voir un côté de la ville en oubliant le reste. Ce paysage-ci, avec ses résidences des années 1990, laides mais rassurantes, n’a pas changé; il y a juste une tour qui pousse au centre, mais très loin (près de Binjiang dao et de la cathédrale catholique, dans le quartier des plaisirs innocents; elle aura plus de 200 mètres de haut quand elle sera finie).

DSCN0320_exercicesTous les après-midi, un groupe de retraités se réunit au bord du bassin pour pratiquer ensemble des exercices de détente. Les mêmes sont enseignés aux petits enfants des écoles. C’est un lieu de passage mais tout le monde attend qu’un exercice soit fini pour les déranger. Je n’ose pas participer, je ne connais pas les gestes et je me ferais remarquer.

DSCN0287_rouleau_vertDSCN0294_poseur_facePar contre, je n’hésite pas à me promener avec mon appareil photo au milieu des jardiniers qui habillent leur jardin pour l’hiver. L’idée d’être un sujet intéressant les amuse beaucoup.

DSCN0325_arbre_cadreJe l’ai déjà montré : les plantations du jardin qui ne survivraient pas au vend sec et glacé de l’hiver sont mises à l’abri derrière des murs de toile. J’ai l’impression que cette année on en fait plus. Les jardiniers ont de la belle bâche verte en si grande abondance qu’ils en mettent partout.

DSCN0330_cinq_travailleursDSCN0298_poseur_travailIls commencent par planter des armatures de bambou, puis la toile est cousue dessus en haut et en bas. Ce qui continue de m’émerveiller ici, c’est que pour tout ce qui doit être fait à la main, on trouve autant de gens qu’il faut. Quand la municipalité s’était mise à planter des massifs d’arbustes sur les trottoirs de l’avenue (pour faire joli, et surtout pour empêcher les artisans d’étaler leur travail devant leur atelier, ça n’est pas digne du statut qu’elle veut donner au centre ville), les premiers végétaux avaient dépéri. Mauvais choix des espèces. Un jour j’ai vu arriver des camions. Dans les bennes, de nouveaux petits arbres prêts à planter, et des dizaines de jardinières assises sur les sacs de bonne terre. En quelques heures tout avait été remplacé.

DSCN0331_toboggan_quatreDerrière les jardiniers, on aperçoit la nouvelle attraction pour les petits enfants, qui a pris la place d’une partie du grand bac à sable, avec des galeries et des toboggans. Il y avait dans un autre endroit du jardin un grand toboggan qui datait du temps du socialisme, tout en fer, très haut, plus haut que la pointe de la tour jaune, avec un escalier à la taille des petites jambes. Les grand-pères encourageaient leurs petits-fils à grimper et allaient les attendre en bas de la descente. Peut-être qu’un jour on l’a trouvé dangereux; il a été remplacé par celui-ci.

DSCN0448_rocher_maoVoila le résultat. Même les plate-bandes d’une nouvelle herbe qui fleurit ont été mises à l’abri. Sur le rocher, l’inscription renmingongyuan36ren min gong yuan, hommes peuple commun jardin, est une calligraphie de Mao Zedong. Comme faisaient les empereurs qui l’ont précédé, il a honoré ce lieu d’une inscription de sa main.

DSCN0353_lectrice_rougeLe jardin restera ainsi jusqu’au mois d’avril. Le départ des bâches vertes annoncera que le printemps est arrivé.

DSCN0333_grand_arbreimg_7966_arbre_bache.1290435709Le grand arbre d’espèce rare planté en 2010 n’a pas droit cette année à sa maison de toile, qui était la plus haute du jardin. Il est assez habitué pour résister à l’hiver. Devant lui, un des gardiens de la paix tient à la main sa bouteille thermos métallique d’uniforme. Là aussi, la municipalité tient à rehausser l’allure du lieu. Il ne conviendrait pas que ses agents se promènent avec une bouteille verte ou bleu ciel.

La pancarte attachée à une branche dit « Veuillez ne pas pêcher à la ligne dans le bassin. »

DSCN0308Et sur la mise en ordre d’hiver des plantations de la ville, j’allais oublier le plus beau. Sur les grandes avenues, les haies qui protègent la voie pour cyclistes ont eu droit à des écrans décorés.

DSCN0468_bache_decoreetoile_bleu_roseNous sommes sur Nanjing lu, l’axe du centre-ville. Au premier plan c’est un véritable arbuste taillé, mais derrière le triporteur de fonction de la jardinière municipale (en blouse rose; le caractère lin, bosquet, est peint en blanc sur la caisse), c’est une bâche avec des fleurs et des feuillages, de l’autre côté de l’avenue aussi. Il y a huit ans, les bâches (il y en avait beaucoup moins, et moins d’arbres à protéger) étaient souvent bleues et roses, la couleur des chantiers et des grands sacs de déménagement qu’on trouvait sur les marchés en France. Un petit air tiers-monde, dont les grandes villes ne veulent plus maintenant que le pays est riche (mais il en reste, il suffit de sortir du centre).

Variétés d’automne

Nous sommes dans la saison difficile de l’année. Il a commencé à faire froid, et le chauffage urbain ne fonctionne pas encore. L’hiver commence officiellement le 15 novembre. L’année où je suis arrivé, la municipalité promettait que, grâce aux améliorations récentes, elle pouvait promettre 16 degrés dans les logements. L’année dernière nous avons eu réellement 19 degrés quand le chauffage a fonctionné. En attendant, j’ai attrapé un gros rhume.

Ce n’est quand même pas pour ça que mon blog est en retard. C’est que j’ai été obligé de changer d’ordinateur. Il est tombé en panne, l’écran s’est éteint définitivement après quelques clignotements, et ce n’est pas l’écran qui est en panne. Heureusement, les fichiers intéressants sont sauvegardés sur des disques externes, ou en ligne. Je suis donc parti en acheter un autre. J’ai fini par me laisser tenté par un beau modèle cher, proposé en solde par la grande librairie qui avait essayé de vendre des ordinateurs au même rayon que les disques durs et les cartouches d’encre. Ca n’avait pas marché. J’ai proposé encore un rabais d’un tiers en expliquant à la vendeuse que personne d’autre que moi ne lui achèterait sa dernière machine. Il a fallu encore un jour, le temps qu’elle se mette d’accord avec son chef, et j’ai eu ce que je voulais.

20141022_164733_emballageSur l’image, on voit les vendeuses qui ont retrouvé l’emballage et les accessoires. Ensuite elles ont insisté pour porter le grand carton à ma place jusqu’à l’entrée du magasin, et me regarder partir en taxi. La bouilloire blanche au premier plan n’est pas un article du rayon, ni les pots à thé.

20141022_164754_dejeunerIci, tenir boutique, même dans un grand magasin moderne, c’est encore un genre de vie. Le repas de midi attend au milieu des lampes de bureau de grand luxe.

Deux jours avant, j’avais cherché un nouvel appareil photo pour remplacer celui qui était tombé en panne à la campagne. Il m’en fallait un qui ait l’air sérieux, pour honorer ceux que je fais poser, et qui permette quand même, selon le besoin, de photographier sans que les intéressés se sentent visés. Un téléphone à écran tenu au bout du bras ne répond pas à la question, même s’il prend des bonnes photos.

DSCN0152_suning_rayonJ’ai trouvé la machine dont je rêvais, à l’étage photo et téléphone d’un autre grand magasin. Mais c’était le seul exemplaire qui restait dans le rayon, et le jeune vendeur a essayé de m’expliquer qu’il ne pouvait pas me le vendre, parce qu’il ne pourrait pas le remplacer puisque ce modèle n’est plus fabriqué. Comme je n’avais pas l’air convaincu par l’argument, il m’a proposé de m’asseoir et tout le personnel du rayon a longuement consulté avant d’accepter de me céder la marchandise, avec la réduction qui est accordée à tous les clients sur le prix marqué.

DSCN0177_suning_vendeursEn attendant, ils avaient laissé l’appareil entre mes mains et j’ai photographié un autre client qui attendait comme moi le résultat de la concertation entre ses quatre vendeurs  d’une grande marque de smartphones. Acheter quelque chose ici dans le grand commerce est une aventure. Je crois que les vendeurs se sentiraient mieux dans une boutique, avec le patron à portée de voix.

Et comme mon mois d’octobre a été celui des machines qui ne fonctionnent plus, j’ai été alerté par ma banque en France (celle qui reçoit mes pensions de retraite) que mon dernier virement vers ma banque en Chine avait une difficulté. C’était déjà arrivé, plusieurs années avant, quand le système informatique des transferts internationaux de la Banque de Chine (qui n’est pas comme la Banque de France, mais plutôt comme le Crédit Agricole avec des agences un peu partout) avait été changé. Après accord sur l’énoncé exact de mon nom pour la banque (26 caractères pour mon nom et tous les prénoms qui figurent sur mon passeport, alors qu’un client normal a un nom en 3 caractères) tout est bien allé, pour quelques années. Apparemment, la vertu de la solution est épuisée.

20141029_092008_salle_bocComme la fois précédente, sur le conseil de mon agence habituelle, je suis allé au siège provincial de la Banque de Chine, où j’étais sûr de trouver quelqu’un qui parle anglais, pour servir d’intermédiaire avec quelqu’un qui puisse agir.

20141029_092045_poste_travailJe suis donc en face de l’agent qui va régler mon problème. Pendant qu’elle est partie consulter un expert, je peux contempler son équipement: l’écran d’ordinateur (le clavier est rangé dessous), l’appareil à imagerie qui permet de capter en même temps un document posé sous l’objectif et le visage du client, le clavier pour le codes, le tampon à encre rouge pour authentifier les documents (l’imprimante est à peine visible à gauche). Il y a aussi le petit appareil à quatre boutons pour que le client exprime son opinion (excellent, bon, médiocre, mauvais), et le stylo que le client doit utiliser pour signer (ailleurs j’ai vu aussi des bésicles à sa disposition pour lire les petites lettres du document).

20141029_093937_banquiereDommage, la photo ne rend pas un bon hommage au costume bleu d’agent de banque; on ne voit pas la cravate rouge et blanche d’uniforme, mais on aperçoit le filet qui enferme ses longs cheveux. Le temps passe. Après une demi-heure, j’apprends que je devrai revenir avec le passeport (périmé) qui a servi à ouvrir mon compte il y a neuf ans (le temps passe), et le passeport valide actuel. Ainsi il sera possible de transférer mon compte sur un autre dans le système rénové et d’y mettre l’argent arrivé de France. Quelques jours après, je suis appelé au téléphone. Mon nouveau compte est prêt, je n’ai plus qu’à revenir pour signer les papiers, et plus tard l’argent arrivera. J’ai vu cinq personnes penchées sur mon problème, et il aurait été inconvenant de manifester de l’impatience.

20141029_095524_entree_bocVoici l’entrée du siège, avec un lion de pierre à gauche (celui de droit est caché par le camion jaune), et le logo de la Banque de Chine.

20141029_095941_jardin_bocVu de plus loin, l’immeuble du siège provincial de la Banque de Chine, tout neuf, dans le cadre également tout neuf d’un nouveau quartier selon l’idéal de la municipalité, jardin public et avenue bordée de haies verdoyantes. Quand je suis arrivé, c’était une rue quelconque bordée de résidences également quelconques, avec des gens qui jouaient aux cartes sur le trottoir devant les entrées.

20141029_100053_edicule_bocMais on peut se rassurer: la vie normale se rétablit. La baraque de la permanence de quartier s’est réinstallée. On peut apercevoir le fauteuil où le titulaire s’asseoit quand il fait beau, et les petits tabourets de plastique rouge pour recevoir son cercle social.  Dans quelques jours, mon argent sera peut-être arrivé sur mon nouveau compte.

20141003_094122_kaki_feuilleshizi72Quelque chose de complètement différent. Cette photo a été prise à Jixian, où nous étions en voyage à la campagne. C’est un kaki, un de ceux que nous avons mangés au pied de l’arbre. shizi, le premier caractère désigne l’arbre, le second est zi l’enfant. Le fruit est l’enfant de l’arbre. J’en parle parce que je viens de manger le dernier de ceux que ma chère épouse avait rapporté de là-bas. Beaucoup de kilos, et pas mûrs pour supporter le voyage. Elle les a fait mûrir, et quand ils ont été mûrs nous en avons mangé, puis elle les a congelés parce qu’ils ne pouvaient plus attendre, et elle en sortait un tous les soirs pour que je puisse le manger au petit déjeuner. 20141002_142441_kaki_brancheMais ils ne sont plus vraiment bons. Quand le kaki mûrit sur l’arbre, sa peau devient de plus en plus fine, jusqu’à ce qu’elle se déchire, et le fruit tombe en laissant sa queue sur la branche.

20141003_132043_kaki_tombeJ’ai quand même mangé ceux qui avaient fini de mûrir au réfrigérateur, avec une peau comme du cuir, qu’il faut ouvrir pour les manger à la cuillère. Difficile d’expliquer cela à une maîtresse de maison chinoise qui est si contente d’avoir acheté pas cher de bonnes choses. Je vais montrer Tintin au Tibet:

tintin_kaki_petittintin_au_tibet_22(cliquer pour voir la page en grand)

Je m’aperçois que je n’ai parlé aujourd’hui que de ce qui ne marche pas. Et mon ordinateur aussi ne voulait pas marcher. Réveillé après si longtemps à ne rien faire dans un magasin, le « système Windows 7 » s’est embrouillé avec le grand ordinateur qu’il doit consulter pour obtenir les « mises à jour », et plus rien ne marchait. C’est un ordinateur qui parle chinois. Quand tout va bien je me débrouille. Mais cette fois j’ai renoncé, et maintenant il parle français. J’ai mis deux jours à le persuader de fonctionner comme le précédent. Je renonce de plus en plus.

 

 

Dimanche à la campagne (suite)

Je suis privé de campagne en Chine. En ville, j’en suis séparé par des kilomètres de terrain diversement urbanisé. Parfois je croise un jardinier qui continue de faire pousser ses haricots et ses choux à l’ombre d’une ligne électrique à haute tension, avec une zone industrielle d’un côté et une résidence à 20 étages en construction de l’autre. Et la gare Tianjinnan, à trois quarts d’heure de métro au sud du centre ancien, est encore au milieu des champs, en attendant que la ville la rejoigne. IMG_9215IMG_9204Côté ouest de la gare sud de Tianjin, l’esplanade et les champs, côté est les champs, pour quelques mois encore. Tout le paysage a été reclassé « district de ville. »

IMG_6560La station de métro Daxuesheng (Cité des universités) sur la ligne 3. De l’autre côté, les campus et les lignes d’autobus qui les desservent.

A Jixian, là où nous sommes allés pour les vacances de la fête nationale, c’est vraiment la campagne; on est vite sorti de la ville. Et le gîte rural est seul au fond d’une vallée, avec les champs de la famille autour de lui.

20141002_140358_pension_maisPremière rencontre avec l’agriculture: le silo à maïs au bout du parking. La tour en grillage à béton a à peine deux mètres de haut. Fin septembre et début octobre, c’est le moment où on récolte le maïs. Les épis sont cueillis à la main, et les pieds coupés plus tard. Nous sommes repartis avec quelques kilos d’épis de maïs fraîchement cueillis et encore entourés de leur étui de feuilles.

20141002_140725_champ_saladesUn champ de maïs, où on a cueilli les épis et récolté une partie des pieds. Au centre, des rangs de navets et de haricots, plus quelques pêchers encore tout petits. Au fond, un arbre à azeroles.

20141002_140826_champ_arbre20141002_140842_champ_hongguoIMG_0585En chinois, l’azerole (Mespilus cuneata, dit mon dictionnaire Ricci) s’appelle simplement hongguo , rouge fruit. Il a cinq pépins. Il est acide, un peu farineux, et parait-il plein de vitamines. On le trouve sur les marchés en ce moment, et toute l’année en sachets, coupé en rondelles et séché, pour préparer une infusion qui détend. A cause des pépins, il faut le couper à la main après l’avoir récolté à la main, avant de le sécher sur des claies en plein air. Il y a longtemps, j’avais été reçu chez un agriculteur du côté de Vence, qui m’avait dit qu’il avait renoncé à la fleur d’oranger; il faut la cueillir au bon moment et la sécher, et il n’y a plus d’Espagnols pour faire ce travail.

20141002_141551_champ_congUn champ d’oignons longs ou cong. Sur le marché ils ressemblent à des poireaux mais n’ont pas le même goût; c’est un légume d’hiver.

20141002_141659_champ_maisUn autre champ de maïs pas encore récolté. Les champs sont plats, en gradins le long de la pente, avec des remblais plantés d’arbres et de temps en temps des murs de soutènement. Pas moyen d’y faire entrer une machine plus grosse qu’un motoculteur.

20141002_143329_chemi_maisIci, entre le chemin en béton et le mur de soutènement des champs au dessus, il y a un peu de bonne terre, juste la place pour une douzaine de pieds de maïs.

20141002_144024_tracteur_jauneJe n’ai pas vu de motoculteur. En redescendant le chemin vers la route et les autres maisons, j’ai vu un tracteur. Il n’y avait personne pour poser à côté, mais le siège donne l’échelle.

20141002_144107_tracteur_relevageC’est un petit tracteur, mais une machine tout à fait sérieuse, avec relevage et prise de force.

20141002_154347_tracteur_bleuVoici un autre tracteur plus jeune mais pas plus grand. Le bleu ciel est la couleur des machines agricoles ici. Derrière, une remorque qui vient de servir à transporter du maïs.

20141002_154443_mais_brouetteDe loin, j’avais vu toute une assemblée d’hommes assis, en train de séparer les épis de leur enveloppe de feuilles, tout en discutant. Mais le temps d’arriver il n’y avait plus que celui qui allait les voiturer chez leur propriétaire. La brouette chinoise ne pèse pas sur les bras quand elle est chargée mais il faut un tour de main pour la garder droite. J’ai essayé, ce n’est pas facile.

20141002_155020_triporteur_bleuUn autre engin bleu ciel, le triporteur à tout faire. Celui-ci est un grand modèle, avec deux sièges et un volant. Le modèle inférieur a seulement un guidon. Il s’appelle tuilaji , pousser tirer machine. Avec un moteur diesel qui tourne lentement et fait un bruit facile à reconnaître, il roule à 30 km/h sur la route. On en voit aussi en ville sur les chantiers, peints en jaune. Pour les connaisseurs, c’est la réalisation de la mule mécanique décrite par Ivan Illich (la convivialité) pour remplacer la voiture. L’autre version est un motoculteur articulé avec une remorque. J’en ai croisé mais j’ai raté la photo.

20141002_154801_triporteur_cong Et comme partout, on rencontre des triporteurs à moteur humain (ou électrique, mas pas celui-ci).

20141002_142621_velo_electriqueSur la petite route, j’ai vu plus de vélos électriques que de vélos ordinaires. Ils montent les pentes sans qu’on ait à pédaler. Celui qui est sur la photo transporte sans problème le père, la mère, et un enfant debout devant qui se tient au milieu du guidon (pas de photo, mon appareil de secours est incapable de photographier quelque chose en mouvement).

En continuant mon chemin, je me suis arrêté pour contempler un portail tout neuf donnant sur une cour. Un monsieur est sorti et m’a instamment prié d’entrer chez lui.

20141002_145720_wang_portraitMonsieur Wang est agriculteur. Sa nouvelle maison n’a que huit ans. Nous avons discuté et il m’a servi un jus de jujube du mont Panshan, appellation contrôlée. Le mont Panshan est le parc national, enseigne touristique de Jixian avec la Grande Muraille des Falaises Jaunes.

20141002_145956_wang_honnguoIl est allé déterrer dans son jardin une rave xinlimei luobo (raphanus sativus, variété « coeur de beauté », dit le dictionnaire Ricci) pour me l’offrir. Sur la photo, la façade de la maison et les paniers remplis d’épis de maïs.

20141002_145754_wang_potager

Voici le jardin, roses à gauche, choux à droite, et trois chambres d’hôte au fond. Au premier plan à droite, un grand pot pour réserve d’eau, dont la forme n’a pas varié depuis des siècles.

20141002_154005_wang_portailMonsieur Wang devant son portail, son triporteur électrique derrière lui, et un principe moral sur les carreaux émaillés au-dessus de sa tête  » jia he wan shi xin . Famille harmonie dix-mille affaires disputes. Ecrit en caractères traditionnels: wan , dix-mille, est le mot pour « infini » (mao zhuxi wan shui ; Mao président dix-mille ans-d’âge). Nous avons mangé la rave au retour à la maison, émincée en salade, et les feuilles cuites en accompagnement du poisson.

On a l’impression, en se promenant dans le village, que toutes les maisons sont neuves. Et toutes du même style, avec une façade au sud, de grandes fenêtres et des murs minces, il ne fait sûrement pas chaud l’hiver quand le soleil ne brille pas. Et entre les tous petits stocks de maïs, signe de petite exploitation, et la prospérité visible (paraboles de télévision, voitures, bonne mine et vêtements), on se demande d’où vient l’argent. Certes, ici c’est aussi un lieu de vacances proche d’une très grande ville. Je continuerai la visite plus tard.