Comme ceux qui ont lu l’article qui précède (il y a un mois et demie), je suis en France pour neuf semaines, jusqu’au 21 mars si tout se passe comme prévu. Il y avait une grande réunion de famille, qui tombait tout près de la Fête du Printemps, et puis j’avais envie de rester un peu en France, visiter mes frères et soeurs chez eux, saluer quelques amis, et vivre un peu comme je l’aurais probablement fait si le destin ne m’avait pas envoyé en Chine: un retraité sans obligations, qui vit paisiblement et s’ennuie un peu (ma chère épouse ne lit pas le français et je ne lui ai pas expliqué mon voyage comme ça; voir ce qui se serait passé si elle n’avait pas été là, ça ne lui plairait pas).
La voila avec ma valise de cabine, posant comme si c’était elle qui partait en voyage. Elle tient aussi dans sa main droite un chapelet en bois de cyprès tibétain que nous avons trouvé dans la meilleure boutique de souvenirs de l’aéroport.
J’ai salué l’ermite du hall des départs, un homme qui s’est installé sur une banquette tout au fond. Peut-être, on lui a refusé l’embarquement alors qu’il n’avait plus rien d’autre que son billet et son grand balluchon de travailleur migrant qui contient une couette, et il attend un miracle.
A Roissy, là où je vais arriver, Mehran Nasseri, Iranien exilé, était ainsi resté 18 ans sur un canapé de l’étage des boutiques en bas du terminal I. (j’étais allé le saluer en 2005 et 2006; il vit aujourd’hui dans une communauté Emmaüs).
Hier l’air était opaque, on montrait dans les journaux les citadins de Pékin avec un masque anti-poussière sur le nez et les avions qui ne pouvaient plus voler. Aujourd’hui le ciel est merveilleusement clair et le restera jusqu’à l’arrivée. Une voie de chemin de fer dans la montagne en Mongolie.
Les méandres d’un grand fleuve dans le nord de la Sibérie. Et des routes, des champs, un village. La terre entière est peuplée.
Quelque part au-dessus de l’Allemagne. La neige rend le paysage lisible comme une carte.
Tout près de Paris, le domaine du Lys et la ville de Chantilly. La neige ne tient pas sur les grands arbres. En Chine il n’y a pas souvent des grands arbres.
A Roissy, je participe au spectacle habituel des arrivées de l’avion d’Air China: la frénésie de la police de l’air dans le tuyau mal éclairé qui conduit la foule vers l’aérogare. Pourtant les avions d’Air France sont reçus au terminal 2 dans l’indifférence. Peut-être que c’est la faute du lieu. Le terminal 1 pose un problème insoluble aux policiers; ceux qui partent et ceux qui arrivent se croisent dans le vestibule du satellite, avant les guichets de l’immigration. Donc deux dames en uniforme empêchent les passagers d’avancer et essaient de repérer dans la lumière incertaine d’éventuels faux passeports, pendant qu’un monsieur en uniforme les couvre pour éviter que quelqu’un se glisse sans qu’elles le voient. La scène est si drôle que je prends une photo au-dessus des têtes. Une des dames pousse un cri et me désigne au monsieur en bel uniforme, qui intervient aussitôt. Il veut me faire effacer la photo parait-il illégale. Mais c’est compliqué, je n’y vois rien pour manipuler l’appareil. Nous passons au delà des dames pour atteindre un endroit éclairé. Une des dames me réclame mon passeport puis se tait en voyant son collègue. La photo est donc effacée dans la courtoisie réciproque et je sors vers le vestibule. C’est bien, mais pas très bien. Je n’ai montré mon passeport à personne avant de sortir, et les dames sont restées plusieurs minutes sans couverture. Il y a toujours moyen de distraire un agent de police de sa mission en lui donnant une préoccupation futile mais prioritaire. En Chine, c’est le déchiffrage de ma carte d’identité française. Je donne le truc pour ce qu’il vaut. Pour ceux qui n’aiment pas ce genre d’accueil, il vaut mieux prendre un avion vers Copenhague ou Helsinki; on entre en transit dans l’Europe de Schengen sous l’oeil d’un fonctionnaire indifférent et on arrive en France par un vol intérieur, c’est à peine plus long et souvent moins cher.
Le soir du 9 février à cinq heures du soir, je téléphone à mon épouse. Il est minuit à Tianjin, la nuit du passage de l’année du Dragon vers l’année du Serpent. J’entends les pétards et les fusées. Je n’irai pas avec mes beaux-frères au temple de la Grande Consolation le premier jour à la première heure. Ce soir l’Asie de Paris fait aussi la fête en famille, mais c’est le dimanche suivant qu’elle sortira pour défiler dans le 13e arrondissement avec la bénédiction de la mairie de Paris.
Je suis chez mes amis Wang, aux Olympiades, Paris 13e. Dans l’allée qui mène à l’avenue d’Ivry, tout le monde se prépare.
Ceux qui sont prêts sortent sur la dalle des Olympiades, où il y a plus de place. Le défilé ne partira qu’au début de l’après-midi. Sur l’image, il y a un Cantonais, un Vietnamien et deux (je ne sais pas). Tant que j’y pense, pour savoir ce qui se passe dans la tête de ceux qui vont défiler, consulter Kevin sur Youtube (La chaîne Le Rire jaune, 10 vidéos à ce jour).
Tout près, les peaux des lions, rangées sur les papiers rouges que les pétards ont laissé.
Et voici les pattes des lions. Si un de ceux qui portent un hexagone sur fond rouge se retournait on pourrait lire sur son dos « Association amicale des Cantonais de France ».
Un peu plus tard, je les croiserai sur le parcours du défilé, devant une boucherie. Je ne garantis pas que ce sont les mêmes lions, ils sont nombreux.
Nous sommes maintenant dans la rue du Disque, le souterrain construit qui débouche dans l’avenue d’Ivry. Le cortège va bientôt partir.
On sera mieux dehors que rue du Disque (l’autre rue en souterrain s’appelle la rue du Javelot). L’urbanisme des Olympiades n’est pas très accueillant. C’est pourtant là au-dessus qu’habitent les dieux de l’Asie, dans les temples cachés sous l’épaisseur de la dalle.
Un Bouddha féminin se prépare à prendre son rang dans le cortège.
Les filles et leurs mamans posent pour les pères et les oncles. Si on voyait mieux la banderole, on y lirait « Amicale franco-indochinoise du Sud-Laos ».
La tête du défilé. Dans l’avenue d’Ivry il y a vraiment beaucoup de monde.
C’est peut-être pour cela que le cortège est ouvert par un autre défilé, de couleur plus austère.
La gendarmerie mobile et la police nationale ont plus de chars décorés que le défilé lui-même.
Ils sont tout à fait bienveillants mais ont un grand air de sérieux.
Preuve de leur pouvoir: un seul agent, derrière les cars et les motards, suffit à contenir la foule. Plus tard, ils disparaitrons (ou du moins je ne les verrai plus sur le parcours) et les lions suffiront pour maintenir le passage ouvert.
Sur la banderole « Association des amis du quartier asiatique Paris 13e ».
L’avenue d’Italie et les grands tapis couverts d’inscriptions favorables et de noms d’associations.
Le but du défilé, c’est d’être là, et les vieux dirigeants défilent en tête de leurs troupes.
Tout près de la porte d’Ivry. Je n’arrive pas à avoir une bonne image des dragons. Trop de monde. La grande sortie des Asiatiques est un évènement parisien.
Devant l’église Saint-Hippolyte, qui abrite la paroisse chinoise, le dieu de la richesse et sa garde de lions. On vient lui offrir des bâtonnets d’encens. La paroisse offre une messe à 15 heures, le seul moment où le personnel des restaurants est libre le dimanche.
Porte d’Ivry, le maidanglao, avoine, servir à, travail (lao comme dans laogai, la réhabilitation par le travail; il y a des transcriptions phonétiques plus ou moins favorables). Le MacDo de la porte d’Ivry, c’est à peu près la fin du défilé. Après il ne reste plus qu’à rentrer. J’y suis déjà allé. L’après-midi il est colonisé par les vieux du quartier qui jouent aux cartes ou aux échecs chinois.
Fin de la journée. Le défilé était modeste et familial. Je crois me souvenir qu’en 2007, la dernière fois que je l’avais vu (depuis j’ai toujours été en famille à Tianjin) il était plus brillant. Ou bien le photographe était plus inspiré.
Retour au point de départ. Le siège de l’association des résidents en France d’origine indochinoise est envahi de jeunes qui viennent de retirer leurs costumes. Les cartons pleins encombrent le passage.
Chacun ressort avec une enveloppe rouge du Nouvel An, un hongbao comme en Chine. Dedans, ce sont les étrennes de ceux qui ont défilé, quarante euros. Les lions et les musiciens ont une plus grosse enveloppe. J’aurais dû trouver quelqu’un pour me dire qui donne l’argent: la Mairie de Paris (qui a décoré les rues), les frères Tang et Paristore (qui ont prêté les camions), ou d’autres bienfaiteurs. Tout le monde est content, les autorités (il ne s’est rien passé), les participants (ils se sont montrés avec honneur) et les Parisiens (pour beaucoup de raisons, y compris les belles photos qu’ils ont prises).
Et j’ai joué au touriste comme si je vivais en France. Suite de la simulation de retour pour quelques semaines encore. Je crois que je serai content de rentrer chez moi. Je raconterai la suite.
Merci pour ce chouette reportage.
(Je t’ai vu chez Guillaume…)
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Merci pour ce reportage. L’abondance de vos images rend parfaitement compte de l’effervescence, du mélange des cultures, du côté festif et grandiose du défilé.
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