C’était le 29 aout après-midi, il faisait chaud, j’étais à la maison, et j’ai entendu quelque chose pour la première fois depuis le mois de juin: l’hymne national qui montait de la cour du collège en face de la résidence. Pendant l’année scolaire, la semaine commence par le lever des couleurs devant tous les élèves, et un discours du directeur (ou de la directrice, c’était une voix féminine l’année dernière). On était vendredi, ils n’étaient que quelques uns au pied du mât, c’était la répétition.
Lundi, le 1e septembre, c’était la rentrée. Et moi aussi il fallait que je me persuade que la vie « normale » allait recommencer. Cette année l’université des langues étrangères ne m’a pas demandé de faire l’intérim du professeur de français locuteur natif introuvable ou pas encore arrivé. Cécile, qui avait donné une partie des cours l’année dernière, a réussi à persuader l’administration de lui faire un contrat correct et elle continue donc.
Au mois de juillet, je suis parti en France, rendre visite à ma vie passée. Sans ma chère épouse, qui travaille; nous étions allés ensemble en France au mois de mars, après la Fête du Printemps (le nouvel an chinois, pour ceux qui confondraient), réunion de famille et petit voyage au Portugal avec les frères et soeurs et belles-soeurs et beaux-frères. Un mois entier qui a épuisé ses droits aux congés. Nous avons rencontré des Chinois, le monde en est plein maintenant. Et puis le Portugal offre un permis de résidence à tous ceux qui achètent un logement pour l’habiter. Visa en or, il faut quelques centaines de milliers d’euros (quelques millions de yuans). Et beaucoup de Chinois ont l’argent et l’envie de s’installer ailleurs que dans leur pays où on se demande toujours ce qui arrivera demain (aujourd’hui est bien mieux qu’hier, mais ce n’est pas une assurance). En haut au centre huang jin ju liu, jaune métal résidence rester.
Au mois de juillet, je me suis senti poursuivi par la Chine. A la caissière de Carrefour qui me demandait pourquoi j’achetais sept boîtes de Régilait lait entier en poudre. Je lui a dit que c’était pour une amie chinoise qui les offrirait à sa grand-mère ; le lait français est bien meilleur et jamais dangereux. Elle m’a raconté que sa meilleure amie, qui est partie là-bas pour le travail, se désole: pas moyen de trouver un copain; tous les jeunes Français ont une copine chinoise; et les jeunes Chinois n’osent pas (si un intéressé me lit malgré le filtrage de la Grande Muraille de Toile, qu’il soit attentif). Et à la gare de Vannes j’ai attendu pour monter dans le train derrière des bonnes soeurs et des jeunes filles qui allaient à Quimper.
Accueilli par la famille en vacances en Bretagne, j’ai rencontré le patron d’un chantier naval de plaisance, qui venait prendre livraison d’un petit bateau que mon beau-frère vendait d’occasion. Il venait de passer quatre ans en Chine pour le travail. Nous avons eu le plaisir de discuter un peu en chinois (qu’il parle bien mieux que moi). Il a lui aussi une copine chinoise. Il l’avait emmenée en France et ils avaient logé chez lui, dans un endroit aussi tranquille que là où nous étions à discuter; les petits oiseaux chantent, personne en vue et les bruits de la vie dans la maison voisine sont imperceptibles.
Mais elle n’est pas habituée au silence et à la tranquillité et s’est sentie très mal à l’aise, comme entourée de menaces invisibles. « La France et un beau pays, mais il n’y a personne », disait mon épouse.
Moi aussi, je me suis mis à aimer la présence paisible de beaucoup de gens autour de moi. Étant à Rouen, je suis allé passer un après-midi sur la plage installée au bord de la Seine par la municipalité, pour le plaisir de lire dans un fauteuil de toile au grand air plutôt que devant une fenêtre de l’appartement.
C’est un endroit sympathique, où on peu aussi faire des pâtés de sable, se rafraîchir sous le brumisateur, discuter entre mères de famille pendant que les enfants jouent dans les châteaux en plastique. En passant: les deux dames en costume islamique m’assurent que je suis bien en France; en Chine ce sont nécessairement des étrangères (il y en a cette année à l’université des langues étrangères).
La bibliothèque municipale a installé des kiosques où on peut emprunter tous les livres qu’on veut, sans formalité, à condition de ne pas les emporter hors de la plage. Au rayon des bandes dessinées, il y a des choses très éducatives qu’on ne trouvait pas quand j’étais petit, et en Chine non plus. Au rayon des romans pour adolescents il y a Jules Verne, Michel Tournier (Vendredi ou la vie sauvage), et aussi des traductions de Bukowski. Quand je le fait remarquer à la bibliothécaire, elle me dit qu’elles n’avaient pas eu beaucoup de temps pour faire le choix. En effet, le premier album qui me tombe sous la main au rayon des BD est un livre d’art, un recueil de reproductions de lithographies, dans la belle édition: « Le Piéton de Pékin » , de Fan Li, que je ne connaissais pas.
J’ai tout de suite aimé, tellement ça ressemble à la réalité que je connais, mais bien mieux, plus vrai et plus délirant en même temps.
Tian an men: le monument a été ramené à l’échelle humaine, et on voit mieux qu’il y a beaucoup, beaucoup de monde.
Au restaurant. Pas besoin de tendre l’oreille pour entendre le raffut. Là, c’est sûr, on n’est pas perturbé par le silence et la solitude.
Sous l’échangeur: les dames d’un groupe de voisinage répètent leur spectacle musical pendant que les voitures passent au ras de leurs têtes. Il y a 35 images comme ça. On ne trouve que d’occasion, ça vaut la peine de l’acheter.
Comme je disais au début, j’ai passé une partie de mon temps en France à visiter la vie que j’aurais eu si je n’étais pas parti (le reste du temps, je suis allé voir la famille et les amis, tout le monde va bien, et une petite-nièce est née pendant que j’étais là). Je suis passé par Nantes.
Quai de la Fosse: j’avais failli acheter l’appartement du second étage dans la belle maison à fronton. Celui que j’avais acheté, dans un immeuble moins noble un peu plus loin, est de nouveau à vendre.
Dans le quartier où j’avais fini par acheter une maison avec jardin, mes voisins d’en face, une famille nombreuse, s’étaient installés dans une petite maison avec quatre fenêtres sur rue mais sans étage. Ils avaient le projet de l’agrandir et de la hausser; le père de famille est dans le métier. Ils l’ont fait, mais ils sont en vacances et je ne pourrai pas les féliciter. Pour donner raison à mon épouse, je n’ai rencontré personne dans le quartier, il a fallu que j’aille à la boulangerie pour parler à quelqu’un.
Sur le chemin de la boulangerie, il y avait une friche de bonne terre. Un printemps, je m’étais amusé à y planter des capucines et semer un sachet de « fleurs des champs pour massifs », qui avaient bien poussé. La friche a été aménagée en jardins familiaux pour les gens du HLM en face de la boulangerie.
Dans notre résidence à Tianjin, un vieux monsieur qui habite au rez-de-chaussée a réussi à préserver un jujubier sous ses fenêtres, qui donne beaucoup de fruits. Et chaque printemps il sort dans la cour des caisses de terre où il plante des haricots grimpants. Il passe une partie de ses journées sur un pliant à les contempler, et il les arrose tous les jours. Il y aurait des jardins familiaux dans le quartier, il serait dans le bonheur. Mais pas de place.
La cour de notre résidence avec son pavage de briques neuves. Au premier plan, un canapé de récupération que les retraités amateurs de conversations ont installé pendant que je n’étais pas là, et qui disparaîtra cet hiver. L’artisan fabricant de fenêtres pour rénovation a un chantier en cours. La verdure à gauche appartient à un autre vieux monsieur qui fait grimper des lianes fleuries sur les barreaux de sa fenêtre. Lui aussi sort ses caisses au printemps et les arrose tous les soirs. Mon épouse a une rangée de pots de fleurs sur l’appui de la fenêtre, et cultive des plantes aromatiques pour sa cuisine. Pourtant, quand je lui parle de s’installer à la campagne quand elle ne travaillera plus, elle n’y tient pas du tout.
Tout ça pour dire que je me sens bien en Chine, même si ce ne sera jamais « chez moi » pour des quantités de raisons. Mon petit voyage m’a conforté dans mon opinion. C’est la destinée qui m’a amené ici, et c’est une bonne destinée. Pourvu que ça dure.
Regardez ces deux Français retraités, qui partent en expédition touristique (ou reviennent, je ne les connais pas). Ils ont un air de prospérité et pourtant ils font la gueule. Ceux qui rêvent de s’installer en France ne comprendraient pas.
Bonjour,
d’abord cela fait très plaisir de vous relire 🙂
au delà du « simple plaisir » (qui est très grand… vous m’avez manqué), il y a aussi des mots qui pourraient presque être les miens, sur le fait de vivre dans un pays qui ne sera jamais le vôtre (on est arrivé trop tard pour être « chez soi », entre autres, mais pas seulement), mais où on se dit qu’on est mieux qu’on ne serait dans son chez soi officiel
C’est très amusant de vous voir décrire ce pays « étranger » que vous avez visité, cet été, comme vous décriviez la Chine
J’espère que vous continuerez à avoir envie d’écrire ici
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Ce que vous dévoilez de l’album de Li Fan me fait penser à celui-ci sur Tokyo :
http://www.babelio.com/livres/Chavouet-Tokyo-Sanpo–Promenades-a-Tokyo/120334
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