J’avais l’intention de ne plus publier d’articles pour le moment. Mais depuis mercredi matin j’ai reçu des messages d’amis et de gens de ma famille qui me voyaient avec mon épouse au milieu des décombres. Et même une journaliste de télévision m’avait retrouvé et voulait que je lui téléphone pour raconter. Vu de France, Tianjin ressemblerait au centre de Paris, pas à l’Ile de France toute entière comme il est en réalité. Pour donner l’échelle, le port de Gennevilliers, où la même chose a des chances d’arriver un jour, est trois fois plus près du 13e arrondissement que le lieu de l’accident du centre de Tianjin où nous habitons.
Pour agrandir les images, cliquer dessus.
Le jalon rouge est à peu près sur le lieu des explosions. La tache grise tout près est la ville de Tanggu-Teda. Le centre ville de Tianjin est la grande tache grise vers la gauche, entourée d’une ligne jaune qui est l’autoroute périphérique, et nous habitons au centre de Tianjin, à 40 kilomètres de l’explosion. Pékin est à 150 kilomètres au nord-ouest.
J’ai mis deux jours à situer exactement l’endroit. J’avais d’abord compris que c’était dans une des immenses zones industrielles qui sont au bord de la mer au nord et au sud du port. Depuis que Tianjin est devenu une ville industrielle, les lagunes autour de l’estuaire de la rivière ont été stabilisées, on a mis des routes et des usines dessus, on a creusé le port, et on a construit la ville de Teda. Les promoteurs se vantent de ne pas avoir consommé de terrain agricole, parce qu’avant il n’y avait rien. Li Peng m’avait emmené un jour déjeuner dans un village de restaurants de fruits de mer, sur une petite colline entre la plaine et l’océan. Nous avions roulé des kilomètres sur l’autoroute côtière fait pour les camions géants, et on voyait au loin des portails monumentaux, points de repère des zones industrielles. Je me disais qu’une catastrophe dans un endroit pareil ne risquait pas de faire des victimes en dehors de ceux qui sont pris dedans.
Il a fallu la photo parue dans le New-York Times pour que je place l’endroit sur la carte. On voit l’autoroute côtière qui est nord-sud à cet endroit. Le rectangle blanc à gauche des fumées est la station de métro Dong Hai, terminus de la ligne 9 qui part de la gare centrale de Tianjin (plus d’une heure de trajet). En haut de l’image, on voit le noeud d’autoroute et le contrôle d’accès à la zone de transit portuaire. Les bassins du port commencent en bas à droite. Et on voit un grand ensemble d’habitation, des tours de 30 étages, à droite (à l’est) de l’autoroute et à un kilomètre de l’explosion. Entre les deux, un parc à voitures neuves qui ont entièrement brulé. C’est donc beaucoup plus près de la ville que je croyais au départ.
Image Google Maps du même endroit, l’hiver 2014.
La première fois que j’étais arrivé au terminus du métro, il y a 9 ans, la station était au milieu de « rien », avec une grande gare d’autobus presque vide d’un côté, l’autoroute et la zone portuaire elle aussi presque vide de l’autre côté. J’avais pris un autobus qui avait roulé pendant des kilomètres entre les usines neuves pour arriver au centre de la ville de Teda. Depuis, la zone portuaire s’est remplie et des quartiers d’habitation ont été construits. Pourtant, la dernière fois que je suis allé à Dong Hai, l’impression de grand vide persistait, tellement le paysage est plat. Pour visiter avec Google Maps, partir du lieu de l’accident, et élargir (l’image et les tracés de routes se superposent mal, Google Maps n’est pas encore au point dans la région). On repère facilement la station de métro et l’autoroute. L’entrepôt qui a explosé est un des rectangles bleus.
Pour en finir avec la géographie, voici une vision de la ville de Tanggu-Teda, vue vers l’est-sud-est par quelqu’un qui est très haut au-dessus de la ville de Tianjin. Dessin de Chen Yuan, 2008.
Agrandissement du haut du dessin. On voit le port et la mer, le grand pont où passe l’autoroute côtière. L’explosion a eu lieu au coin en haut à gauche.
Comme je racontais au début, j’ai trouvé dans mes messages du 13 au matin celui d’une journaliste de télévision qui me demandait de raconter ce que j’avais vu. En fait, elle (et tous les Européens) avait de l’avance sur moi. L’explosion a eu lieu le mercredi 12 aout à 23h30, il était alors 17h30 à Paris (heure des horloges, en avance de deux heures sur le soleil, alors que Tianjin suit le soleil), à temps pour passer au journal télévisé de 20h. Nous ne nous sommes pas réveillés, et j’ai appris la nouvelle en consultant Le Monde en ligne vers 6h30, 7 heures après. Et comme le fils de Li Peng, mon épouse, était arrivé le soir à la maison, malade et un peu confus, ça n’a pas été la préoccupation de la matinée. C’est dans les journaux que j’ai découvert ce que c’était. La télévision a montré des videos de téléphone portable qui circulaient déjà sur Internet, pas encore de censure, et d’ailleurs il était trop tard pour cacher la gravité de l’affaire. Le jeudi et le vendredi la télévision de Tianjin a fait de longs directs sur le site, au milieu des décombres, alors que le feu n’était pas éteint. Nous avons vu les camions de pompiers transformés en épaves et entendu l’histoire des rescapés qui n’avaient pas eu le temps de descendre quand les explosions ont frappé. Nous avons même eu droit à une petite explosion avec nuage de fumée et retour de feu en direct. Nous avons vu aussi les façades des tours d’habitation avec vue sur le site, toutes les vitres cassées et les voitures bousculées au pied des immeubles. Vendredi on nous a même montré un fut éventré et des cristaux blancs répandus, du cyanure de sodium ? Mais samedi, plus de direct. Seule la conférence de presse des responsables passe en direct. Et ils ne racontent pas grand-chose, sauf le décompte des morts qui monte à chaque séance, et le nombre de disparus qui ne diminue pas. Les journaux publient des photos. Mais ce n’est que dimanche qu’ils expliquent clairement que beaucoup de victimes sont des pompiers et qu’il y a de grandes quantités de produits toxiques sur le site. Quotidien du Peuple. Lundi on nous montre le premier ministre Li Kekiang qui rend visite aux sauveteurs et aux victimes, on le voit sur l’autoroute au-dessus du site avec quelques fumées qui montent encore, en tenue d’été de haut cadre, sans masque ni protection. Mardi on annonce officiellement que les dirigeants de la société propriétaire de l’entrepôt ont avoué qu’ils fraudaient avec la sécurité. Le Figaro.
Quelques photos d’écrans de télévision (mon matériel n’est pas excellent).
Vendredi 14 à midi, en direct (zhibo, les deux caractères en haut à droite), le journaliste de la télévision de Tianjin (logo en haut à gauche) parle depuis le bord de l’autoroute qui surplombe le site. Son masque est un masque anti-poussière qu’on trouve dans les supermarchés et que pas mal de gens portent dans la rue dès que l’air n’est plus transparent.
Le bas d’une des tours d’habitation proches de l’explosion. Les fenêtres sont défoncées et les voitures du parking cabossées, mais rien ne s’est effondré.
Vendredi midi, depuis le bord du site. Au loin à droite, le pont suspendu (ou un des grands portiques du port, je ne suis pas sûr).
CCTV1, la première chaîne nationale, vendredi 14, un officier des pompiers (casque rouge, les hommes ont un casque jaune) explique sur le site. Il a le masque anti-poussière et anti-projections que les secouristes mettent sur les accidents.
Un sinistré montre une photo de son appartement avec vue sur l’explosion, balayé par le souffle. Il est dans une école, lui-même n’a rien mais on nous montre des gens couverts de coupures soignés à l’hôpital.
Samedi après-midi, sur CCTV13, la chaîne info centrale. Le spectacle organisé « catastrophe » est en place, avec le fond d’écran et le nom officiel Tianjin gang « 8.12 » (port de Tianjin 12/08), finis les reportages sur le site. Il a quand même fallu attendre deux jours pour que l’information officielle reprenne la main.
La conférence de presse samedi après-midi, les officiels. Zhibo en haut à droite, mais ce n’est plus le même direct. Ensuite on verra la même image chaque jour (avec des images de la salle pour égayer).
Lundi 17. Reportage sur une avenue, à la limite de la zone désormais interdite. Cette fois les masques sont plus sérieux.
La « meilleure video » depuis l’intérieur de la voiture d’un habitant d’une des résidences proches de l’explosion, avec l’arrivée du souffle.
Le meilleur article pour comprendre ce qui s’est passé, New York Times, mis en ligne vendredi 14 et rajeuni depuis.
Pour avoir une idée du délire incompétent des anti-Chine, lire Le Monde, les articles et surtout les commentaires, par exemple dimanche 16. Détail amusant: les commentaires sont « modérés » et n’apparaissent qu’après avoir été relus, et n’apparaissent pas s’ils ne sont pas publiables. Un commentaire que j’avais écrit n’était pas apparu après plusieurs heures, je l’ai réécrit, et les deux versions sont apparues ensemble peu de temps après.
Le baromètre des étrangers, le groupe Facebook Tianjinexpats, où les résidents rassurent ceux qui n’osent pas quitter l’Europe ou l’Amérique. Et le site Shangaiist. Dernier article sur les poissons morts en masse à l’entrée du port, à 6 km du site.
Vendredi 20 au soir, je suis allé à l’Alliance Française écouter M. Jean-Raphaël Peytregnet, consul de France à Pékin. Il était venu à Tianjin pour rencontrer la municipalité, et aussi les Français dont il s’occupe (140 inscrits au consulat).
Au centre, Jean-Raphaël Peytregnet consul. A droite Fabrice Plançon directeur de l’Alliance Française de Tianjin, qui reçoit. A gauche Stéphane Metay, directeur de l’usine Veolia de Teda qui traite les déchets industriels dangereux (et déjà les premiers jus toxiques pompés sur le site, arrivés en camions-citernes). Stéphane Metay est aussi le correspondant du réseau de sécurité de l’ambassade; le jour où il y aura la révolution, les consignes d’évacuation nous parviendront par lui). Photo Alliance Française.
Le consul a été reçu par le chef du service international de la municipalité. Ils l’ont emmené à Teda voir le site. Il a franchi le premier cercle (trois kilomètres) et est allé jusqu’au deuxième cercle (un kilomètre) sans équipement de protection, ce qui est rassurant, les cadres chinois n’auraient pas pris le risque de voir dans les journaux qu’il est arrivé malheur à un haut-fonctionnaire français. L’air sentait très fort mais rien de suffocant. Il a vu les moyens déployés (tentes,abris, hôpital de campagne) destinés à ceux qui travaillent sur le site (10.000 militaires et techniciens), mais pas le site lui-même.
Les officiels de Tianjin ont avoué à leur hôte étranger qu’ils n’avaient pas été « bons sur la gestion de crise », qu’ils n’avaient pas su réunir les bonnes informations et informer correctement dès le début. La proposition d’une assistance de la Protection Civile française a été refusée poliment ; pour l’instant ils ont les hommes et l’équipement, mais plus tard ils seraient intéressés par des conseils d’experts. Ils ne savent toujours pas exactement ce qu’il y avait dans l’entrepôt qui a sauté, ni ce qui a déclenché l’incendie puis les explosions. La réaction de l’eau des lances à incendie avec des produits chimiques est une hypothèse.
Pas de morts parmi les étrangers, quelques Coréens et Indiens ont été blessés par des éclats de verre, aucun Français. Le Consul de Corée est venu aussi sur les lieux (40.000 Coréens à Tianjin, la Corée est en face à la sortie du golfe de Bohai). Les autorités sont soucieuses d’indemniser les entreprises étrangères qui auraient eu des problèmes.
L’avis de Stéphane, qui habite à Teda, sur la mystérieuse mousse qu’on a vu dans les rues après la pluie de jeudi: Ca faisait six semaines qu’il n’avait pas plu, et il y avait toutes sortes de choses au sol. (J’ai eu des échos de « pluie qui brûle » à Tianjin. Ca doit être dans la tête de ceux qui l’ont reçue; moi aussi j’étais sous la pluie à ce moment-là; personnellement je crois que ce sont les produits moussants des pompiers et la mousse elle-même qui s’est envolée avec le vent).
L’avis de Peter, qui tient le restaurant « Le Loft » sur Nanjing Lu au centre de Tianjin: les clients ne sont pas venus jeudi. Mais vendredi ils étaient là comme d’habitude.
Le bilan officiel vendredi 20 était de 114 morts, 64 disparus, 176 entreprises ont subi des dégâts, il y a 30.000 blessés, généralement légers (chutes, éclats de verre). Le plus grand nombre des morts sont les pompiers arrivés pour combattre un incendie avec de gros moyens, qui ont été pris dans les explosions (Je pense qu’il y a aussi les travailleurs du site, qui selon l’usage chinois dorment sur place dans des dortoirs; partout où j’ai visité des lieux de travail il y avait des dortoirs pour le personnel).
Ce soir vendredi 21, mon épouse me montre sur son Iphone une vidéo qu’une amie vient de lui signaler. C’est un montage d’images captées par les sauveteurs, des corps brûlés dans les bâtiments du site, et dans des cabines de camions. Et les résidents chassés de leurs appartements neufs qui veulent que la municipalité les rachètent. Même réparés, ils n’ont pas envie d’y retourner.
Merci pour ce témoignage et heureux que vous soyez à l’abri.
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C’est vrai qu’on ne se rend absolument pas compte de l’immensité du lieu. Même si les tailles des immeubles devraient un peu nous alerter, on ne « perçoit » pas
Merci pour cet article (et continuez à écrire, s’il vous plait, je sais bien qu’on ne se force pas… mais bon vous manquez à beaucoup de gens)
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Intéressant point de vue intérieur, merci!
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Intéressant de voir de ce point de vue, merci!
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