Jours d’été

Depuis deux semaines, nous sommes vraiment en été. Il fait 35 degrés le jour, 25 la nuit. Et il pleut. La veille de la pluie, le vent s’arrête et l’air est de moins en moins transparent. On arrive presque à fixer le soleil en plein midi, et on respire mal. Après la pluie, le ciel est bleu pendant une journée, puis on recommence.

Pendant la pluie, tout le monde se met à l’abri, et il n’y a plus personne dans les rues, sauf ceux qui aiment profiter du moment où tout le monde est à l’abri, justement. Je suis allé au Jardin du Peuple avec mon parapluie. Quand il fait beau, le jardin est rempli de grand-parents et de petits-enfants, et il est interdit de pêcher à la ligne dans les bassins; il y a du poisson, tellement que les agents du parc posent des nasses, mais pêcher à la ligne ne serait pas harmonieux avec les bateaux de promenade et les petits navires téléguidés. Mais quand il pleut cela ne nuit à personne. Les pêcheurs arrivent. Les gardiens s’abstiennent de faire leur ronde, puisqu’ils seraient obligés d’attrister les pêcheurs en les empêchant de faire ce qu’ils aiment.

Les gardiens du Jardin du Peuple en service, près de la porte nord, qui n’a pas de corps de garde.

En Chine celui qui représente l’autorité doit faire respecter la loi, mais aussi agir selon la raison pour que la vie soit agréable à tout le monde. C’est ainsi qu’un résident anglais de Canton dans les années 1840, avant que les étrangers aient le droit de se promener librement, avait organisé pour des amis en visite un petit tour dans la ville chinoise interdite aux Européens. Ils s’étaient déguisés décemment et se dirigeaient en chaises à porteurs vers l’entrée de la ville, s’attendant à être priés par le fonctionnaire de la porte de ne pas aller plus loin.  Mais le fonctionnaire de la porte n’était pas là. Ils sont donc entrés, ont fait leur visite, et sont ressortis au moment où la foule commençait à s’intéresser à eux. Plus tard l’organisateur a appris que le fonctionnaire de la porte savait qu’ils allaient arriver, mais n’en avait pas été averti officiellement. Pourquoi attrister d’honorables étrangers qui n’avaient que de bonnes intentions ? Il suffisait de ne pas les voir passer.

Le lendemain de la grande pluie, le ciel était bleu et le soleil tapait fort à l’heure de midi. J’ai ouvert mon parapluie devenu ombrelle et j’ai marché vers l’aval de la rivière. La dernière fois, il y a presque un an, les aménagements pour les promeneurs s’arrêtaient au grand pont où passe le boulevard périphérique. Au-delà il y avait quelques ruines d’usine, puis on ne pouvait plus longer la rivière, et la carte indiquait qu’il n’y avait rien sur quelques kilomètres, en attendant le début des zones industrielles.

La statue des Huit Immortels qui marquait la fin des berges aménagées. Pour montrer combien le ciel était bleu.

Pourtant, une fois passé un chantier où personne ne travaille (la religion des salariés chinois leur interdit de s’activer entre midi et deux heures de l’après-midi), je retrouve des jardins verdoyants et une allée du bord de l’eau.

Il n’y a presque personne et l’homme à l’ombre de la colonnade est en vêtements de travail. D’ailleurs il faut se salir les pieds dans le terrassement du chantier pour arriver. De l’autre côté de la rivière, là où il n’y avait rien,  j’aperçois quelque chose qui ressemble à un autre jardin.

Je croise un couple arrivé à vélo. Les grands arbres qui font de l’ombre ne sont pas là depuis plus longtemps que le pont. Ils ont été plantés au plus tard l’hiver 2012-2013. La municipalité entretient au nord de la ville une forêt d’arbres prêts à replanter (c’est au terminus nord de la ligne 1 du métro, station  Liu Yuan, le jardin de Liu). Tout près du pont, un pêcheur à la ligne s’est installé.

Entre midi et deux heures, personne ne travaille sur le pont. Le jardin d’agrément s’arrête au chantier. Je suis obligé de le longer pour rejoindre l’intérieur, et au-delà du pont, il faut suivre la nouvelle route qui mène au nouveau quartier.

Les feux rouges du carrefour à la sortie du pont sont déjà en place, mais pas la route qui sortira du pont et desservira ce grand ensemble. La vieille usine n’est pas encore démolie. Le grand ensemble, vu de loin,  est presque prêt pour ses nouveaux occupants. Il n’y a personne.

J’ai tort: un peu plus loin, la nouvelle route est passée à travers un village qui se trouvait là.

Même si les résidents dont les maisons et les jardins ont survécu savent qu’ils n’en ont plus pour longtemps, ils ont monté un lavage de voitures(liu che ; couler voiture, sur le panneau rouge) et une terrasse à l’ombre. Il y en a un autre de l’autre côté de la route. Peut-être que, quand je reviendrai dans quelques mois, il y aura une station-service. Les espaces que la grande ville avait oubliés seront vite peuplés.

Les autres grands ensembles couverts de grues sont trop loin; je renonce à aller voir (un de ces jours je persuaderai ma chère épouse de lever son interdit sur le vélo électrique, qu’elle croit mortel pour les étrangers; depuis le temps ça devrait aller). Je refais le chemin en sens inverse, vers la vraie ville, où il y a du monde.

Justement, la boutique à tout qui est à 50 mètres de l’entrée de la résidence vient d’ouvrir. Sa patronne vend des manteaux pour enfants et des sacs à dos à la rentrée des classes, des papiers rouges et des lanternes au Nouvel An, de l’argent de la Banque du Cien et des services à thé combustibles au moment de Qingming, du gingembre frais à la saison (bientôt) et aujourd’hui des petites robes d’été. Il est tard et il fait moins chaud; les vieux à droite jouent aux cartes.

Hier lundi il a plu. J’étais sous la galerie du temple bouddhiste du Jardin du Peuple, en train de lire la biographie de Michel Houellebecq, quand ça a commencé. Ceux qui avaient un parapluie sont vite rentrés chez eux. Les autres m’ont tenu compagnie pendant deux heures. Quand la pluie s’est arrêtée, chacun est rentré chez lui en se mouillant les pieds. Le soir, la télévision nous a montré les inondations dans les montagnes à l’ouest du Sichuan (vers le Tibet), ponts emportés et glissements de terrain. A Tianjin, en terrain parfaitement plat, l’eau monte uniformément, pas très haut, et on attend même pas qu’elle redescende.

Il était six heures, le moment où les maîtresses de maison font les courses du soir et où les travailleurs rentrent chez eux. Tout s’est donc bien passé. Heureusement, ce sont les vacances. Il y a trois semaines, le plus fort de la pluie aurait été à l’heure où les grands-pères attendent leur petit-fils devant l’école primaire.

Ca me rappelle que j’ai parlé de la piété filiale en direct dimanche 7 sur France Inter. Non que j’aie la moindre autorité là-dessus, mais une journaliste m’a envoyé un message pour me demander si je pouvais parler un dimanche matin cinq minute au téléphone, sur la nouvelle loi chinoise qui oblige les enfants à rendre visite à leurs vieux parents, avec un lien vers un article de France24. Article typique du genre littéraire « En Chine tout va mal tout le temps », avec comme circonstance aggravante que ça reproduit la propagande intérieure du gouvernement chinois. Chaque fois qu’il fait une loi qui a des chances d’être mal reçue, le gouvernement passe commande à sa police et à sa justice d’un beau procès du premier jour d’application, pour montrer que c’est sérieux. Cette fois c’est une vieille tracassière qui vit chez un de ses fils et veut que sa fille vienne la voir souvent, alors qu’elle  vit loin et ne s’entend pas avec son frère. Je suis allé chercher la documentation sur le site de l’Assemblée Nationale du Peuple qui « vote » les lois. Les journaux officiels ont joué le même discours, avec un peu d’agacement, par exemple en signalant qu’une des solutions à l’isolement des vieux à la campagne serait de permettre à leurs enfants de les accueillir chez eux en ville, mais les lois sur le permis de résidence l’interdisent. J’ai aussi consulté ceux avec qui je discute en français. Apparemment, tout le monde est très fâché de voir le gouvernement mettre en forme de loi ce que chacun fait déjà si c’est possible, et essayer de faire passer ses promesses de veiller sur les vieux citoyens sur le dos de leurs enfants. Je suis témoin tous les jours de scènes de piété filiale, par exemple au Jardin du Peuple.

Un grand-père qui semble récupérer d’un accident cérébral est accompagné par son fils ou son grand petit-fils (je ne leur ai pas demandé).

Fatigué de son exercice, il est reconduit à la maison. Je vois souvent un vieux monsieur qui promène sa très vieille mère. Elle n’a plus toute sa tête et est sans arrêt en colère contre lui. Arrivé au jardin des roses (là où j’ai pris la photo) il arrête le fauteuil roulant et va s’asseoir un peu plus loin, pendant qu’elle continue de lui crier après. Mon beau-père, qui a 85 ans (mon épouse est une petite ravisée) reçoit ses trois fils et sa fille à déjeuner très souvent. Mais ma famille par alliance illustre bien le problème: quatre enfants, nés au temps de Mao, et quatre petits-enfants, nés sous le régime de l’enfant unique. Donc j’ai essayé d’expliquer ça, pendant que le journaliste essayait de placer ce qu’il avait préparé. En cinq minutes on ne peut pas raconter grand-chose. Si vous voulez m’écouter c’est le 7 juillet à 7h15. Pas sûr que ce soit encore en ligne. France 24 a fait il y a 2 ou 3 jours une émission sur le sujet, plus intelligente que l’article.

(photo Xinhua)

Pour revenir à mon sujet de départ, « tout va toujours mal en Chine », est-ce que cette jolie photo, faite dans une prairie en Mongolie le 26 juin 2013, vous rappelle quelque chose ? C’était l’image officielle du retour des taïkonautes à la fin de leur séjour dans l’espace, avec rendez-vous entre leur capsule et le laboratoire spatial. La démonstration que les Chinois, comme les Russes et le Américains, savent vivre et travailler dans l’espace. Nous avons eu droit à la descente en direct à la télévision vers 8h du matin.

La capsule vient de se poser et elle est traînée par son parachute sur quelques centaines de mètres.

La capsule entourée d’une clôture; l’équipe de télévision est en place mais les chaises et le drapeau ne sont pas encore arrivés. Les taîkonautes patientent à l’intérieur.

Le soir, je suis allé voir sur les sites des journaux français si on en avait parlé. Rien du tout. Juste la photo dans la galerie d’images du Figaro. Par contre, il y avait comme presque tous les jours un article alarmiste sur le ralentissement de l’économie chinoise (8% de croissance prévu en 2013, en baisse). J’ai tort, le Nouvel Observateur en avait parlé au moment du départ, parce qu’il y avait à bord la première femme taïkonaute.

Mot d’excuse: ça faisait trois semaines que je n’avais rien écrit, la paresse, ça arrive de plus en plus souvent. J’ai quand même essayé une autre idée: tous les jours je publie une photo sur Tumblr, avec la date et l’endroit. J’avais été attiré par The World of Chinese, blog digne d’être lu (dommage que ce soit en anglais). Je me fatigue moins qu’eux.

3 commentaires sur “Jours d’été

  1. Bonjour,
    je lis souvent votre blog, très instructif.
    j’y ai trouver une erreur aujourd’hui.
    洗车 = Xǐchē, laver-voiture. et non liuche.
    merci pour ce blog.

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    1. En contemplant le caractère xi (laver), qui a deux traits en bas, je me suis dit qu’il ressemble à liu (couler, flux) qui a trois traits en bas. Et j’ai écrit liu. Ma tête fonctionne de plus en plus mal. C’est l’âge et les excès passés.

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  2. A priori votre intervention ne figure pas sur le replay de France inter, la rediffusion couvre le journal de 7h à 7h15, puis je ne sais quoi qui vient à 7h20. Dommage.
    Sinon un grand merci pour votre blog. Vous avez bien raison de ceder à la paresse de temps en temps, et le plaisir de trouver un nouveau billet n’en est que plus grand.

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