Dimanche à la campagne

Nos amis parisiens Wang sont à Tianjin. Lui est né à Tianjin, et il vient voir ses parents, son frère, et ses amis. Mon épouse le connaissait avant de me rencontrer, et je le connais parce que j’ai été à l’université avec elle, moi pour apprendre le chinois, elle pour apprendre à l’écrire et avoir un diplôme. Et c’est donc à cause d’eux que nous nous sommes rencontrés, mon épouse et moi.

IMG_5671_wangLes voila dans notre appartement. Il regarde son courrier sur sa tablette Samsung, coréenne, fabriquée en Chine, avec des programmes américains, et je viens de lui installer un accès à mon tunnel sous le Grande Muraille fourni par une entreprise des Seychelles. Il pourra accéder à Facebook dont il était privé depuis qu’il est en Chine. C’est ça la mondialisation. D’ailleurs il est devenu Français, ce qui fait qu’il n’est plus Chinois, et il a un visa pour visite familiale obtenu avec une invitation de ses parents. Sa femme est Française de naissance et n’aurait pas pu devenir Chinoise s’ils avaient décidé de s’installer en Chine, ce qui est faisable maintenant qu’elle est en retraite. Mais lui n’y tient pas tellement. La vie en France est meilleure pourvu qu’il puisse revoir la famille et les amis quand il en a besoin.

En Chine, comme vous le savez (ou pas), la fête nationale, qui commémore le jour de 1949 où Mao Zedong annonça la refondation de la République, depuis la galerie de la Porte de la Paix Céleste. J’aime bien répéter que c’est là qu’étaient proclamés depuis cinq siècles les édits de l’Empereur, devant les fonctionnaires massés en bas sur la place.

Mao 1949 -Tiananmentian_an_men_000bcdb95f1d0bf7618104L’image idéalisée et invraisemblable, depuis les nuages dans le ciel bleu jusqu’aux tapis et aux fleurs (ceux qui y étaient racontent qu’il n’y avait plus rien à Pékin), et la réalité (Zhou enlai en blanc à droite). Pour célébrer l’anniversaire, tout le monde a une semaine de vacances. Et maintenant qu’ils ont les moyens, les gens de Tianjin, nous aussi, partent en week-end prolongé. Cette fois nous sommes seize, mon épouse et moi, la famille Wang, grand-parents, deux couples de parents, un petit-fils, et des amis, dans quatre voitures, dont une voiture de fonction détournée de son usage, nous sommes au pays de l’arrangement.

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20141003_154404_jizhou_batiment20141003_154049_jizhou_toilettesCes photos ont été prises à un des deux arrêts sur l’autoroute en direction de Jixian, à 120 kilomètres de Tianjin, lieu de villégiature avec la montagne (le parc national de Panshan), les lacs, et la Grande Muraille (Huangyaguan, la passe des Falaises Jaunes). Avis de Ghislaine sur les toilettes des dames : « C’est comme les soldes, on se les arrache ». Je m’étais arrêté ici pour la première fois il y a 9 ans, en 2005, en voyage organisé, le 1e octobre aussi. Il y avait beaucoup moins de monde, des autocars, et très peu de voitures. L’autoroute était presque déserte. Pour voir la carte, cliquer ici. Pékin est à gauche (à l’ouest) et Tianjin en bas au sud.

Une fois Jixian dépassé (c’est une ville de 300.000 habitants, 800.000 dans le district, mais classée « campagne »), nous roulons vers la montagne, et le gîte à la ferme où tout est prévu. Sur le chemin, petit déjeuner tardif au bord de la route.

IMG_5723_dejeuner_petite_tableA table, les grand-parents Wang et le petit-fils. Sur l’enseigne rouge (de haut en bas et de gauche à droite) ting che arrêter voiture ; xiuxi se reposer ; canyin à manger à boire ; zhusu passer la nuit.

IMG_5727_dejeuner_cuisineIls surveillent la cuisine, qui doit être en vue des hôtes, et donc ici au bord de la route.

IMG_5706_dejeuner_galettesLa dame au masque étend des crêpes de pâte à l’huile. Le monsieur en tablier rouge à gauche les trempe habilement dans l’eau bouillante, la pâte foisonne et forme des bulles.

IMG_5714_dejeuner_dedansOn peut manger dehors, ou dedans. Dans les grands bols, de la bouillie de riz et du tofu frais dans un bouillon; le tofu frais ressemble exactement au lait caillé. C’est le menu de tous les restaurants de petit-déjeuner; il ne manque que les petits légumes confits au sel.20141002_142836_chemin_sojaLa route est devenue un petit chemin de béton qui monte, au ras des champs (ici un carré de soja). C’est à ce moment que mon appareil photo est tombé en panne, et le reste des illustration est fait avec mon téléphone, ou celui de Ghislaine.

20141002_155650_kaki_vergerOn entre sur les terres de famille de notre hôte. Il a des vergers de kakis et d’azeroles, il fait aussi du maïs et des oignons. Je reparlerai de l’agriculture de l’endroit dans un autre article.

20141002_140614_pension_entreeNous arrivons. Le gîte rural est fait de bungalows semés sur la pente autour d’un bâtiment commun qui abrite le restaurant. Notre bungalow est en haut à droite.

20141003_094912_cueilleurLe bungalow vu de l’arrière. Le bloc sanitaire-douches est sous le chauffe-eau solaire. Un des travailleur de la ferme est en train de cueillir des kakis presque mûrs pour nous éviter de les recevoir sur la tête ou de marcher dedans (et puis, un kaki mûri sur l’arbre est bien plus délicieux que tout ce qu’on peut trouver au marché; le kaki bien mûr est intransportable). Les arbres étaient là avant les constructions et continuent de produire.

IMG_20141002_104448_salonL’intérieur du bungalow, le salon avec une table de jeu, des fauteuils et la télévision (téléviseur d’époque mais avec un récepteur satellite).

20141002_133842_pension_chambre3Une des trois chambres. Celle-ci a trois lits à une personne.

20141002_111439_pension_kangUne autre chambre. Celle-ci a un kang, l’estrade en briques et carrelage de deux mètres de profondeur, où on peut dormir aussi nombreux qu’on peut, la tête vers l’extérieur, chacun enroulé dans sa couette. C’est l’arrangement traditionnel de la campagne. Ceux qui servent toute l’année sont chauffés, avec un fourneau à une extrémité, de l’autre côté du mur, et la cheminée à l’autre extrémité. Ce logement-ci ne sert que l’été. Le jeune homme au milieu est un petit empereur de huit ans; il a deux parents, quatre grand-parents (ceux du côté paternel sont avec lui), un oncle qui vit en France donc ne compte pas. Pour l’instant il s’inquiète quand aucun adulte ne s’intéresse à lui.

20141003_094415_place_en_basVus de la terrasse de notre logement, la salle commune dehors et dedans, et un autre bungalow avec sa petite cour.

20141002_112528_pension_refectoireRepas de midi. Les dames sont entre elles. Les hommes se sont réunis dans un des salons particuliers à gauche, ce qui leur permettra de boire du baijiu sans encourir de reproches. Le baijiu, la vodka chinoise, est bu à table dans des verres à eau, une gorgée à chaque toast, et comme il titre entre 40 et 63 degrés, il est redoutable. Les dames n’en boivent pas.

20141002_175216_brochettesPréparation du repas du soir. La cuisinière nous aurait servi un agneau rôti, mais comme le groupe veut des brochettes, il faut les faire nous-même, trop de travail. Au fond, d’autres vacanciers jouent aux dominos. Le gîte rural accueille environ 40 clients pour les derniers jours de la saison.

IMG_20141002_190103_table_damesPetit-déjeuner du lendemain matin à la table des dames. La journée de séjour, repas du soir, logement, et petit-déjeuner, coûte 90 yuans (11.63 euro au cours du jour).

20141003_135251_patron_solaireLe patron de la maison préside à la réparation du remplissage automatique de la réserve d’eau. Il a capté une source qui remplit un grand réservoir enterré, trop bas pour alimenter les blocs sanitaires, si bien que chacun est équipé d’une pompe électrique pour remonter l’eau. Tout cela marche à peu près bien, mais n’a pas été conçu pour durer très longtemps.

20141003_110104_bungalow_chauffe_eau

Vue d’un autre bungalow, avec comme les autres eau chaude solaire et télévision par satellite. Ca ressemble plus aux dessins de Reiser qui illustraient les articles sur les modes de vie alternatifs de l’Hebdo Hara-Kiri qu’à un dépliant touristique, mais ça marche.

20141003_104905_bungalow_chambresLe couloir à ciel ouvert, le salon à droite, les chambres à gauche. Pour une nombreuse compagnie, il y a de quoi loger 15 personnes. Nous les avons vus partir le matin en minibus.

20141003_105012_bungalow_salonLa salle de jeu, avec au centre une petite machine à jeter les dés sans que personne y touche, et la fontaine à eau bouillante-eau tiède qui indique que nous sommes bien en Chine. Bricolage: le plateau où est posée la construction est si étroit que l’étai du poteau qui porte la ligne électrique traverse la salle.

Et maintenant qu’on est arrivé au gîte rural, à un quart d’heure à pied du premier hameau ?

20141003_113637_palancheD’abord c’est une exploitation agricole en activité. Je croise celui qui va nourrir les cochons avec les restes de la salle à manger.

20141003_105553_poulailler 20141003_105350_poules
Les citadins peuvent rendre visite aux cochons et aux poules.

IMG_20141002_150410_fruit_rougeIMG_20141002_145702_arbre_fruits_rougesEt on peut cueillir les azeroles sur les arbres; elles sont presque mûres. On les voit sur les marchés en ville autour du 1e novembre, et en rondelles séchées pour faire des infusions le reste du temps.

20141003_112122_kaki_terrasseOn peut continuer à monter en suivant les sentiers jusqu’aux vergers de kakis haut placés, et continuer jusqu’à la forêt, et même se perdre comme Ghislaine qui est redescendue par erreur sur un autre versant. Heureusement la maîtresse de maison du gîte l’a reconnue et l’a ramenée sur son triporteur en même temps que les courses.

20141003_142739_legumesEt puis, au moment du départ, on compare les fruits, les haricots, les noix, les potirons et les choux vendus par le patron du gîte à ses hôtes. Il vend aussi des oeufs cuisinés dans leur coquille, dans des belles boîtes cadeau. Tout le monde est content.

20141005_143616_hongguo_decoupeDe retour à la maison, ma chère épouse entreprend de faire elle-même des azeroles séchées. Elle a aussi aligné sur le rebord de la fenêtre cinq kilos de kakis, qui vont mûrir et être bons à manger tous en même temps.

IMG_20141004_200903_fenetre_nuitJustement, c’est ça qu’on voit par la fenêtre en ce moment. Les arbres de la rue ont encore leurs feuilles. Les bâtiments jumeaux illuminés en blanc n’étaient pas là l’année dernière. Les citadins auront de plus en plus besoin de passer un peu de temps à la campagne. (photo prise par Ghislaine avec son téléphone, pas mal.)

Tant que j’y pense, vous pouvez aller visiter un gîte rural bien plus chic, du côté de Xi’an, en consultant le blog où Ghislaine, Chinoise de Paris, raconte à ses amis ses aventures en Chine. Au moment où j’écris, elle est dans l’avion quelque part au-dessus de la Russie. Son époux est resté encore quelques jours avec ses parents et ses amis. Elle n’avait pas vu la Chine depuis cinq ans et s’intéresse à des choses que je ne vois plus.

 

Chez Ikea

Dimanche, nous sommes allés chez Ikea acheter des rideaux. Ça parait anodin, mais pour moi c’est une réussite longuement préparée. Ma chère épouse est née à une époque où on ne dépensait rien pour orner la maison (sauf les images et les banderoles en papier) parce qu’ il n’y avait rien. Suspendre un tissu neuf devant une fenêtre n’était pas imaginable. C’est pour cela que nous vivons depuis des années avec des rideaux taillés dans des draps de lit usés. Et c’est moi qui ai introduit la barre au-dessus de la fenêtre. Non que mon épouse soit ennemie de la dépense. Pour ce qui n’existait pas quand elle était petite, par exemple les voyages à l’étranger, ou les téléphones intelligents, ou les crèmes pour avoir une belle peau achetées en France, utiliser l’argent est sans problème. Mais pas pour le confort de la maison. IMG_7597_matelas_echange

Les grands caractères blancs : bu ai jiu huan ; pas aimer aussitôt changer. Le chinois est une langue facile. Bien sûr ça s’applique au matelas, pas à celle qui est dessus.

J’avais réussi à l’emmener chez Ikea en 2012. Le magasin venait d’ouvrir et nous avions fait rénover l’appartement. Plusieurs meubles n’avaient pas survécu au déménagement. Nous avions acheté une table et des chaises, et essayé des matelas modernes. Deux ans après, un matelas neuf vient d’être acheté et mon épouse est d’humeur à renouveler autre chose. Je suis allé reconnaître les lieux, j’ai rapporté le catalogue et deux verres à bière très voyants (dessinés en Suède, fabriqués aux Philippines, et vendus en Chine, dit l’étiquette) qu’elle a trouvés laids. Ce qui m’a permis d’ouvrir le catalogue et de lui faire regarder le chapitre des rideaux.

IMG_5665_facadeIMG_8256_enseigneLe magasin Ikea est dans une partie désolée de la grande ville, sur la ligne de RER entre Tianjin et le port de Tanggu. Rien n’indique que nous ne sommes pas quelque part en Europe. Un oeil exercé discernerait une dame avec une ombrelle, signe de pays exotique. Heureusement qu’il y a les caractères sous le nom du magasin: yijia jiaju. « femme qui fait régner la concorde », « rester en famille », avec le caractère jia , la famille ou la maison, répété deux fois. Une transcription phonétique idéale, sauf qu’il est impossible de reconnaître à l’oreille « i kéa » si on n’est pas au courant.

IMG_5643_menu_escalierA l’intérieur, c’est comme tous les magasins Ikea. Les clients sont transportés en haut, parcourent l’immense champ des choses qu’on peut acheter, chargent leurs chariots de meubles démontés à l’étage intermédiaire puis rejoignent le sol et leur voiture; le client est supposé avoir une voiture. On peut aussi déjeuner suédois, et acheter de quoi manger dans le style Ikea.

IMG_5620_circuitComme partout ailleurs, le client doit faire un long chemin et passer devant tout avant de voir (peut-être) ce qu’il cherche.

IMG_7627_marionnettesEntre les articles « sérieux », on doit passer au milieu des accumulations de choses pas chères mais qu’on n’aurait pas idée d’acheter si on ne les voyait pas. Jusqu’à l’avènement d’Ikea, un centre commercial pour les choses de la maison est un honnête alignement de boutiques et d’espaces ouverts dans des allées à perte de vue. On s’égare mais on n’est pas obligé de parcourir le « show room » en entier. Le parcours obligé est une aussi grande nouveauté que le caddy et la queue à la caisse apportés par Carrefour il y a 20 ans maintenant (le premier Jialefu a ouvert en 1995).

IMG_5659_descenteIl y a aussi la descente vers l’étage immense des rayonnages de cartons de choses démontées. Là j’ai l’impression que le client d’ici commence tout juste à s’y habituer. Mais il peut appeler au secours ceux qui sont chargés de le guider.

Et pour l’étape suivante : transporter à la maison les meubles en boîte et les transformer en choses utilisables, on peut profiter du grand avantage de la Chine: pour tout ce qu’il y a à faire, on trouve quelqu’un de compétent pour le faire. Le client, ayant passé la caisse, roule son chariot jusqu’au bureau des transports et des installations. Pour un prix honnête, le magasin organisera la livraison et le montage. Personne ne comprendrait qu’il fasse autrement.

IMG_8273_montage_chaisesAu printemps 2012 nous avions acheté des chaises, une table, une bibliothèque, puis nous étions rentrés à la maison en métro. Et tout était arrivé le lendemain, avec les monteurs. Pourtant le magasin Ikéa est organisé pour le jour où tous ses clients auront une voiture (les magasins Carrefour et leurs concurrents sont en centre ville, avec un parking modeste sur le toit et des lignes d’autobus spéciales).  Ça commence seulement à être vrai. Il y en a quand même assez pour que la formule fonctionne. Pour donner une idée, le magasin Ikea de Nantes a à peu près 1.300.000 habitants autour de lui; dans le même rayon, celui de Tianjin en a 11 millions.

IMG_5613_parking_videIMG_5663_parking_pleinMercredi: le parking extérieur est vide. Dimanche après-midi, le parking sous le magasin est complet, et le parking extérieur bien garni.

IMG_8250_bestaMais il faut retourner à l’étage du « show room » pour comprendre le charme d’Ikea et pourquoi il a déjà tant de client, et pas seulement parce que les Chinois aiment tout ce qui est étranger. Sur les étiquettes, le nom en suédois est écrit gros, l’explication en chinois beaucoup plus petit. Tout est dans la mise en scène, pour que le client se voie déjà chez lui.

IMG_5614_appart_1 Voici un grand appartement, la salle à manger devant, le salon au fond. Il y a des chambres aussi, mises en scène ailleurs.

IMG_5618_appart_55Plus petit, et là la surface est annoncée. 55 m2 c’est un appartement raisonnable pour une famille: lui, elle, un enfant, et un grand-père ou grand-mère.

IMG_5653_appart_46Nettement plus petit. Le fils a quand même une vraie chambre avec un bureau pour travailler après l’école. La grande chambre des parents et la salle de bains sont à droite.

IMG_7595_appart_blancTrès chic, mais en réalité minuscule. Le téléviseur au pied du lit peut tourner ; il est orienté vers le salon. La cuisine aménagée est à gauche, la salle de bains derrière le mur blanc de droite.

IMG_5617_appart_chicStyle moins technologique, et on ne montre que le salon.

IMG_5628_chambre_enfantUn rêve pour jeunes parents: la vraie chambre d’enfants (2400 yuans, c’est environ 300 euros). IMG_5632_coussin_coeurcoussin_rougeOn marche ainsi sur des centaines de mètres. Ce couple venu pour voir n’avait même pas pris un cabas jaune pour petits articles. Ils ont quand même succombé à la tentation et acheté le coussin de velours en forme de coeur avec deux bras (8.99 euro, moins cher en Chine).

IMG_5649_bebe_coussin_rougeLe même coussin a été ajouté au chargement d’un caddy, le plus petit modèle avec des crochets pour suspendre les cabas jaunes.

IMG_5627_chariot_3Ce caddy est très bien conçu. Il permet de réunir toute la famille sans empêcher le transport de ce qu’on achète.

IMG_5629_jeux_softIl y a de petites aires de jeux pour les enfants fatigués de suivre, avec des jeux doux et accueillants (on peut aussi les acheter, si on a la place pour les installer).

IMG_5648_salle_sofasLes grandes personnes utilisent ce qui est exposé.

IMG_5658_couple_endormiUn jeune couple s’est installé dans cette mise en scène pour très petit appartement.

IMG_7574_femme_endormieRepos dans une chambre d’enfants. Cette photo a été prise en mars 2012, alors qu’il faisait bien plus froid que maintenant. D’autres photos datent aussi du même jour.

IMG_5636_lit_refaitTout cela est prévu. Des travailleurs du magasin brossent les sofas, refont les lits, et ramassent les jouets que les enfants ont pris dans les rayons puis abandonnés.

IMG_7619_resta_hors_doeuvre

IMG_7621restau_platsMais le meilleur lieu pour se reposer, c’est le restaurant suédois, libre-service, une nourriture garantie exotique à des prix honnêtes, bien moins cher que le Starbuck, et pas plus cher qu’un restaurant de cuisine chinoise moyen. Il est situé après le show-room long à parcourir, et juste avant les grands espaces de palettes et de rayonnages où on remplit les cabas et les caddies avec la vaisselle, les casseroles, les draps, les rideaux, et tous les articles pour la maison, en attendant de descendre charger les meubles en boîte. Il faut reprendre des forces.

IMG_7606_restau_paysageLa salle du restaurant a vue sur un paysage typiquement chinois des villes, avec démolition au premier plan et centrale thermique à l’horizon. Les démolitions font la place pour un autre grand magasin avec parking, c’est la destinée de ce quartier.

IMG_7624_restau_ambianceMais peu importe. La salle du restaurant a l’ambiance qui convient pour faire illusion.

Et l’illusion Ikea est très puissante. Ma chère épouse, après avoir longuement médité pour le choix des rideaux prévus (300 yuans par fenêtre), n’a pas su résister aux draps (deux fois plus chers que ce qu’elle achète d’habitude), couvre-lits, et même un autre rideau pour la cloison vitrée qui sépare la cuisine de la salle, qu’elle avait remarqués dans les mises en scène et qu’elle a retrouvés dans les rayons de la salle des tissus. Nous avons dépensé deux fois le budget; j’avais apporté assez d’argent en prévision de ce succès possible. Seul échec: il fallait acheter les anneaux, crochets et épingles qui conviennent aux rideaux. Je voulais prendre quatre assortiments (15 yuans pièce), elle soutenait que deux suffiraient. Nous en avons donc acheté trois. J’ai manqué d’accessoires pour monter les rideaux, il faudra que j’aille chercher ce qui manque.

 

La rentrée

 

IMG_5142_couleurs C’était le 29 aout après-midi, il faisait chaud, j’étais à la maison, et j’ai entendu quelque chose pour la première fois depuis le mois de juin: l’hymne national qui montait de la cour du collège en face de la résidence. Pendant l’année scolaire, la semaine commence par le lever des couleurs devant tous les élèves, et un discours du directeur (ou de la directrice, c’était une voix féminine l’année dernière). On était vendredi, ils n’étaient que quelques uns au pied du mât, c’était la répétition.

IMG_5173_rassemblementLundi, le 1e septembre, c’était la rentrée. Et moi aussi il fallait que je me persuade que la vie « normale » allait recommencer. Cette année l’université des langues étrangères ne m’a pas demandé de faire l’intérim du professeur de français locuteur natif introuvable ou pas encore arrivé. Cécile, qui avait donné une partie des cours l’année dernière, a réussi à persuader l’administration de lui faire un contrat correct et elle continue donc.

Au mois de juillet, je suis parti en France, rendre visite à ma vie passée. Sans ma chère épouse, qui travaille; nous étions allés ensemble en France au mois de mars, après la Fête du Printemps (le nouvel an chinois, pour ceux qui confondraient), réunion de famille et petit voyage au Portugal avec les frères et soeurs et belles-soeurs et beaux-frères. Un mois entier qui a épuisé ses droits aux congés. IMG_1901Nous avons rencontré des Chinois, le monde en est plein maintenant. Et puis le Portugal offre un permis de résidence à tous ceux qui achètent un logement pour l’habiter. Visa en or, il faut quelques centaines de milliers d’euros (quelques millions de yuans). Et beaucoup de Chinois ont l’argent et l’envie de s’installer ailleurs que dans leur pays où on se demande toujours ce qui arrivera demain (aujourd’hui est bien mieux qu’hier, mais ce n’est pas une assurance). En haut au centre huang jin ju liu, jaune métal résidence rester.

Au mois de juillet, je me suis senti poursuivi par la Chine. A la caissière de Carrefour qui me demandait pourquoi j’achetais sept boîtes de Régilait lait entierRégilait lait entier en poudre. Je lui a dit que c’était pour une amie chinoise qui les offrirait à sa grand-mère ; le lait français est bien meilleur et jamais dangereux. Elle m’a raconté que sa meilleure amie, qui est partie là-bas pour le travail, se désole: pas moyen de trouver un copain; tous les jeunes Français ont  une copine chinoise; et les jeunes Chinois n’osent pas (si un intéressé me lit malgré le filtrage de la Grande Muraille de Toile, qu’il soit attentif). Et à la gare de Vannes j’ai attendu pour monter dans le train derrière des bonnes soeurs et des jeunes filles qui allaient à Quimper.

IMG_4050_bonnes_soeursAccueilli par la famille en vacances en Bretagne, j’ai rencontré le patron d’un chantier naval de plaisance, qui venait prendre livraison d’un petit bateau que mon beau-frère vendait d’occasion. Il venait de passer quatre ans en Chine pour le travail. Nous avons eu le plaisir de discuter un peu en chinois (qu’il parle bien mieux que moi). Il a lui aussi une copine chinoise. Il l’avait emmenée en France et ils avaient logé chez lui, dans un endroit aussi tranquille que là où nous étions à discuter; les petits oiseaux chantent, personne en vue et les bruits de la vie dans la maison voisine sont imperceptibles.

IMG_3853_jardin_kernersMais elle n’est pas habituée au silence et à la tranquillité et s’est sentie très mal à l’aise, comme entourée de menaces invisibles. « La France et un beau pays, mais il n’y a personne », disait mon épouse.

Moi aussi, je me suis mis à aimer la présence paisible de beaucoup de gens autour de moi. Étant à Rouen, je suis allé passer un après-midi sur la plage installée au bord de la Seine par la municipalité, pour le plaisir de lire dans un fauteuil de toile au grand air plutôt que devant une fenêtre de l’appartement.

IMG_4608_plage IMG_4613_plage_voileC’est un endroit sympathique, où on peu aussi faire des pâtés de sable, se rafraîchir sous le brumisateur, discuter entre mères de famille pendant que les enfants jouent dans les châteaux en plastique. En passant: les deux dames en costume islamique m’assurent que je suis bien en France; en Chine ce sont nécessairement des étrangères (il y en a cette année à l’université des langues étrangères).

IMG_4606_interditLa bibliothèque municipale a installé des kiosques où on peut emprunter tous les livres qu’on veut, sans formalité, à condition de ne pas les emporter hors de la plage. Au rayon des bandes dessinées, il y a des choses très éducatives qu’on ne trouvait pas quand j’étais petit, et en Chine non plus. Au rayon des romans pour adolescents il y a Jules Verne, Michel Tournier (Vendredi ou la vie sauvage), et aussi des traductions de Bukowski. Quand je le fait remarquer à la bibliothécaire, elle me dit qu’elles n’avaient pas eu beaucoup de temps pour faire le choix. En effet, le premier album qui me tombe sous la main au rayon des BD est un livre d’art, un recueil de reproductions de lithographies, dans la belle édition: « Le Piéton de Pékin » , de Fan Li, que je ne connaissais pas.

IMG_4533_pieton_couvertureJ’ai tout de suite aimé, tellement ça ressemble à la réalité que je connais, mais bien mieux, plus vrai et plus délirant en même temps.

IMG_4486_pieton_tiananmenTian an men: le monument a été ramené à l’échelle humaine, et on voit mieux qu’il y a beaucoup, beaucoup de monde.

IMG_4514_pieton_restauAu restaurant. Pas besoin de tendre l’oreille pour entendre le raffut. Là, c’est sûr, on n’est pas perturbé par le silence et la solitude.

IMG_4504_pieton_echangeurSous l’échangeur: les dames d’un groupe de voisinage répètent leur spectacle musical pendant que les voitures passent au ras de leurs têtes. Il y a 35 images comme ça. On ne trouve que d’occasion, ça vaut la peine de l’acheter.

Comme je disais au début, j’ai passé une partie de mon temps en France à visiter la vie que j’aurais eu si je n’étais pas parti (le reste du temps, je suis allé voir la famille et les amis, tout le monde va bien, et une petite-nièce est née pendant que j’étais là). Je suis passé par Nantes.

IMG_4881_quai_de_la_fosseQuai de la Fosse: j’avais failli acheter l’appartement du second étage dans la belle maison à fronton. Celui que j’avais acheté, dans un immeuble moins noble un peu plus loin, est de nouveau à vendre.

IMG_4868_rue_sesmaisonsDans le quartier où j’avais fini par acheter une maison avec jardin, mes voisins d’en face, une famille nombreuse, s’étaient installés dans une petite maison avec quatre fenêtres sur rue mais sans étage. Ils avaient le projet de l’agrandir et de la hausser; le père de famille est dans le métier. Ils l’ont fait, mais ils sont en vacances et je ne pourrai pas les féliciter. Pour donner raison à mon épouse, je n’ai rencontré personne dans le quartier, il a fallu que j’aille à la boulangerie pour parler à quelqu’un.

IMG_4872_jardin familialSur le chemin de la boulangerie, il y avait une friche de bonne terre. Un printemps, je m’étais amusé à y planter des capucines et semer un sachet de « fleurs des champs pour massifs », qui avaient bien poussé. La friche a été aménagée en jardins familiaux pour les gens du HLM en face de la boulangerie.

IMG_5179_jujubierDans notre résidence à Tianjin, un vieux monsieur qui habite au rez-de-chaussée a réussi à préserver un jujubier sous ses fenêtres, qui donne beaucoup de fruits. Et chaque printemps il sort dans la cour des caisses de terre où il plante des haricots grimpants. Il passe une partie de ses journées sur un pliant à les contempler, et il les arrose tous les jours. Il y aurait des jardins familiaux dans le quartier, il serait dans le bonheur. Mais pas de place.

IMG_5064_residence_facteurLa cour de notre résidence avec son pavage de briques neuves. Au premier plan, un canapé de récupération que les retraités amateurs de conversations ont installé pendant que je n’étais pas là, et qui disparaîtra cet hiver. L’artisan fabricant de fenêtres pour rénovation a un chantier en cours. La verdure à gauche appartient à un autre vieux monsieur qui fait grimper des lianes fleuries sur les barreaux de sa fenêtre. Lui aussi sort ses caisses au printemps et les arrose tous les soirs. Mon épouse a une rangée de pots de fleurs sur l’appui de la fenêtre, et cultive des plantes aromatiques pour sa cuisine. Pourtant, quand je lui parle de s’installer à la campagne quand elle ne travaillera plus, elle n’y tient pas du tout.

Tout ça pour dire que je me sens bien en Chine, même si ce ne sera jamais « chez moi » pour des quantités de raisons. Mon petit voyage m’a conforté dans mon opinion. C’est la destinée qui m’a amené ici, et c’est une bonne destinée. Pourvu que ça dure.

IMG_4648_pont_de_boisRegardez ces deux Français retraités, qui partent en expédition touristique (ou reviennent, je ne les connais pas). Ils ont un air de prospérité et pourtant ils font la gueule. Ceux qui rêvent de s’installer en France ne comprendraient pas.

Le Père Noël à cheval

Il parait que les journaux qui nourrissent des envoyés spéciaux permanents dans les pays lointains veillent à les transplanter régulièrement. Celui qui est installé depuis trop longtemps quelque part ne voit plus ce qui est devenu banal pour lui, et qui est justement ce que les lecteurs attendent du témoin d’un monde exotique. Ceux qui en font un métier indépendant le savent aussi.

hesslerPeter Hessler, Américain installé en Chine depuis 1996 (il était arrivé comme professeur d’anglais dans une école normale, envoyé par le Peace Corps, et il est resté) a décidé en 2011 de s’installer en Egypte, et pour commencer d’apprendre l’arabe. J’en profite pour dire que son livre « Country driving », qui raconte ses randonnées en voiture à travers les campagnes, est paru en français. Pour ceux qui connaissent l’anglais, il fait lire « River Town », le récit de ses années d’enseignement et d’apprentissage à Fuling (au bord du Yang Tse, juste en amont des Trois Gorges, maintenant déplacée vers le haut par l’eau du barrage). Il était une autorité installée sur la Chine vue de l’intérieur. Quand le National Geographic a fait son numéro spécial en mai 2008, c’est à lui qu’on avait demandé le grand article. Maintenant, il veut faire autre chose, écrire sur ses nouvelles découvertes.

IMG_9559_agneauUn autre exemple: Justine, professeur de français, est une amie. Nous sommes allés déjeuner au restaurant français « Le Loft » (pour les gens de Tianjin, c’est dans Nanjing lu, à l’entrée de Jinzhou dao, la petite rue en face de l’hôtel Tangla). Elle n’avait jamais mangé un plat de viande servi à l’européenne, une assiette apportée par le serveur,  un morceau de viande qu’il faut couper avec le couteau et la fourchette. Manoeuvre compliquée: il faut mettre le couteau dans la main droite, tenir la viande avec la fourchette et couper, puis poser le couteau, reprendre la fourchette dans la main droite et manger. Je n’avais pas pensé que ça puisse être un sujet de débat (conclusion: couper avant et manger avec les baguettes, méthode chinoise, c’est mieux, on économise les gestes et la réflexion et on peut mieux apprécier le goût). Par contre, quand je mange avec les baguettes, je n’y pense plus et je ne sais plus en parler, alors que j’expliquais très bien jute après mon arrivée.

Je ne vais pas me comparer à Peter Hessler. J’écris ce blog pour me faire plaisir, et pour quelques lecteurs que je connais. Mais justement ça ne me fait plus plaisir d’écrire.  Certains se sont inquiétés de voir que mes journaux s’espacent. Donc je les rassure: je vais arrêter d’écrire ici mais ça ne veut pas dire que je vais mal. Peut-être que dans deux ou trois mois j’aurai envie de nouveau d’écrire, et des choses à raconter.

 

tianjin_boutique_nouvel_anEn attendant, quelques images de saison. Demain c’est le Nouvel An, on entre dans l’année du Cheval. La petite boutique de saison en bas de la résidence a rouvert. En vitrine, deux fois le caractère FU, le bonheur. Combien de milliards de fois ce caractère est-il imprimé ces temps-ci ? IMG_9657_patronne

La patronne est contente de poser. Sa boutique a été pleine de clients sans arrêt et j’ai été obligé d’attendre un moment favorable.

IMG_9658_patronne_dedansIl reste de grands chevaux en papier découpé, des lanternes et des tresses porte-bonheur.

IMG_9667_dedans_marchandiseLe cheval est un animal sympathique à associer aux marchandises, ici dans l’hypermarché d’à côté.

IMG_9617_budweiserIMG_9624_paquets_cadeauPour le Nouvel An on trouve tout en grande boîte cadeau: cinq kilos d’oeufs frais (à droite), des protéines pour remonter les vieux (plus loin)

IMG_9628_kit_greatwallet une panoplie Grande Muraille pour devenir buveur de vin, avec un tire-bouchon perfectionné (en bas) et un verre à pied, imitation d’un vrai verre Luminarc. C’est dans le journal aujourd’hui: la Chine est le premier pays consommateur de vin rouge.

Et aussi un souvenir de Noël à Qingdao.

IMG_8597_vierge_qingdaoJe suis arrivé le 24 décembre à la fin de l’après-midi. Mon amie Florence donnait ses cours à l’Alliance Française jusqu’à 9h du soir (Noël n’est pas jour de fête, c’est la vie de tous les jours). J’ai cherché la cathédrale et je l’ai trouvée.

IMG_8616_cathedrale_cortegeHeureusement que je suis arrivé trop tôt: quand le cortège de l’évêque est entré, il a fallu faire de la place pour qu’il puisse passer.

IMG_8622_evequeJ’ai pu voir monseigneur Li Mingshu, ordonné prêtre en 1949, puis emprisonné au temps de Mao, resté fidèle à l’Eglise de Rome, et que le Parti a été obligé d’aller chercher en 2000 pour en faire l’évêque de l’Eglise officielle.

IMG_8625_choeurJe le vois à gauche sur son trône épiscopal, dans le décor de la cathédrale allemande construite dans les années 1930.

IMG_8627_assistnce_1024IMG_8631_chorale_1024Voici la chorale qui faisait partie du cortège. (pour voir une grande image, cliquer dessus, il y a un ennui technique).

IMG_8632_bas_cote_1024creche_1024La crèche est dans le bas-côté droit. L’ange a bien une figure chinoise, mais ses cheveux ne sont pas noirs.

IMG_8643_cathedrale_dehorsQuand je sors, le grand éclairage de la façade est déjà éteint.

IMG_8669_salle de classe Le lendemain 25 décembre, je rejoins Florence dans sa salle de classe au lycée municipal N° 9 (c’est écrit sur le dos des uniformes), fondé en 1900 par Richard Wilhelm (traducteur du Livre des Mutations), et spécialisé dans les langues étrangères. Il n’y a pas beaucoup de lycées qui aient une résidence des experts étrangers. La voisine de Florence est Japonaise. La salle de classe est puissamment équipée: la petite caisse blanche au-dessus du tableau blanc est un projecteur video, et le point noir au-dessus du tableau vert est la caméra reliée aux écrans du bureau du directeur, qui peut ainsi suivre un cours sans déranger. Est-ce qu’on a ça en France ?

IMG_8682_eglise_lutherienneComme Florence ne doute de rien, elle a prévu de m’emmener à « un spectacle de chants de Noël dans une ancienne église allemande ».

IMG_8681_repetitionEn réalité, nous sommes dans le temple luthérien de Qingdao, et c’est l’heure de la répétition de la cérémonie de Noël (trois jours de suite, c’est trop petit pour accueillir toute la communauté plus les visiteurs ensemble).

IMG_8688_chorale_blancPuis, à l’heure prévue, les chorales arrivent en procession. Sur le grand écran, on peut suivre le texte des psaumes et regarder les chanteurs comme si on était au milieu d’eux.

IMG_8690_chorale_rougeEt à l’heure du prêche,

IMG_8717_en_chaireon voit que la parole de Dieu bénéficie de moyens à jour. Aussi bien, en son temps Luther aussi avait fait appel à la haute technologie : imprimer la Bible.

Donc j’arrête d’écrire pour l’instant.1(6846) On verra si dans quelques mois, avec un esprit rafraîchi, et l’inspiration positive de l’année du Cheval, je m’y remets.

 

Les choux de Qingdao

Le jour de Noël, 25 décembre, je me suis rappelé que je n’ai pas encore publié en 2013 un article à la gloire des choux qui ont donné leur nom à ce blog. Je venais d’arriver à Qingdao, pour rendre visite à Florence, professeur de français au lycée numéro 9, spécialité de langues étrangères. Elle est logée dans le pavillon des experts étrangers, comme ses consoeurs japonaise, allemande, espagnole, et ses confrères canadiens anglais.

carte_bohai_512Sur la  carte, Tianjin est en haut à gauche, Qingdao en bas vers la droite; le jalon rouge est posé tout près du lycée N° 9. Cliquer pour bien voir et explorer le paysage. Au moment où j’écris, Google montre des images de l’hiver 2012.

Ce n’est pas loin, un peu plus de 500 kilomètres, 4h de train rapide. Mais c’est une autre province, le Shandong, et Qingdao est au bord de la mer, avec des plages tout le long du côté sud.

IMG_8959_1200_mouettesVoici la carte postale de la ville: la baie, la plage et les rochers, le pavillon 1900 au bout de la jetée construite pour les premiers gros bateaux, et les grands immeubles au bout de la presqu’île qui dominent les maisons  construites par les Allemands au début du 20e siècle. C’était la grande concession allemande jusqu’à 1914, et ce sont eux qui ont construit la première brasserie en Chine (Bière Tsing Tao, maison fondée en 1903).

Mais je reparlerai de Qingdao. J’en étais à raconter que c’est la septième année de choux chinois qui se termine. Le temps passe. D’autant plus vite que le site qui héberge ce blog n’est pas accessible dans la province du Shandong (il l’est à Tianjin) et que mon service de VPN pour passer sous la Grande Muraille ne marche pas non plus.

IMG_9111_choux_camionDans la rue qui mène à l’entrée du lycée numéro 9, un camion de choux, sous leurs bâches en coton matelassé. Il gèle et le soleil est caché.

IMG_8667_chou_bonnet_jauneA l’heure de midi, il ne fait pas plus chaud; la patronne a le sourire, il ne reste plus qu’un rang au fond du camion.

IMG_9143_choux_orangesDans le soleil du matin, la marchandise a un air d’abondance. Les gens attentifs peuvent voir que les choux de la province du Shandong ne sont pas de la même variété que ceux de la municipalité de Tianjin.

IMG9149_marche_1200Ici nous ne sommes plus dans le quartier résidentiel où le commerçant vient tenter les maîtresses de maison, mais dans une rue qui monte depuis l’avenue Sun Yatsen (Zhongshan lu) où on trouve les montres Longines et l’entrée de la rue typique-authentique de Pichayuan, construite pour les touristes (où les gens de Qingdao viennent aussi; on y mange d’excellents poissons et fruits de mer).

IMG_9125_sept_chouxSept choux posés au coin du trottoir dans un autre quartier. Personne n’a l’air de veiller sur eux. Peut-être est-ce comme à Guernesey, où j’avais vu dans une rue tranquille une caisse pleine de petits sacs avec un panonceau « pommes de terre nouvelles, une livre les deux kilos » et une boîte en carton avec une fente pour y glisser l’argent. Mais il n’y a même pas de boîte en carton.

IMG_9101_chou_nature_morteCeux-ci se conservent mais ne se mangent pas: une petite nature morte proposée dans un café-studio d’artiste-salon de thé comme il y en a un peu partout; celui-ci est près de la cathédrale où j’ai assisté à la messe de minuit.

IMG_9102_cafe_cathedraleLe café est bon, et on peut se faire servir des alcools occidentaux. Nous reviendrons.

Plus le temps de parler de mon amie Florence ni des célébrations de Noël où elle m’a emmené (oui, j’avais abandonné ma famille, mais sans remords; ma chère épouse ignore Noël et au supermarché elle passe devant le rayon « articles de saison » garni de petits sapins à monter soi-même sans faire attention; d’ailleurs, les sapins sont maintenant remplacés par les décors rouges du Nouvel An) Ce sera pour le prochain article.

Ceux qui lisent l’anglais feraient mieux de lire The World of Chinese, revue et site qui raconte bien mieux la vie en Chine. Ils sont plusieurs, et même nombreux, à l’écrire.

Et bonne année 2014 degongyuan gongyuan l’ère commune. Nous passerons dans<a href="http://ebolavir.blog.

Un jour à la campagne

Il fait beau aujourd’hui. Le vent nettoie le ciel et le soleil brille. Mais j’ai attrapé froid la semaine dernière, et le mauvais air de samedi et dimanche n’a rien arrangé. Les journaux ont parlé de Shanghai où on ne voyait plus devant soi. A Tianjin c’était à peine mieux, mais les journaux n’en ont pas parlé parce que ça arrive tous les ans, plusieurs fois. Je prétends que ça s’améliore avec les années. Ceux qui sont assez vieux pour se rappeler le brouillard à Rouen dans les années 1950 savent que ça n’existe presque plus.

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Je dois donc rester à la maison. Une chance: le grand immeuble couleur cuivre que je vois par la fenêtre renvoie le soleil (pas sur la photo, prise à une autre heure; on ne verrait pas grand-chose. A gauche de l’image, le grand immeuble en carré double a poussé en entier depuis l’année dernière. )

IMG_8495_ombreCristina (c’est son nom occidental) est professeur de français à l’université. Elle m’a invité à son mariage. Son futur est de Jixian, c’est à la campagne, tout au nord de la municipalité de Tianjin. La passe des Falaises Jaunes de la Grande Muraille est tout près.

IMG_7978_halte_autorouteJ’ai commencé à chercher comment aller à Jixian, mais tout est prêt. La veille du mariage, des amis de Cristina viendront me chercher et me transporteront en voiture. Ce drôle d’endroit avec des musiciens de bronze est la halte d’autoroute à mi-chemin, avec passerelle et esplanade. En 2006, l’excursion pour les étudiants étrangers de l’université s’était arrêtée là. C’était tout neuf, il n’y avait personne, et l’autoroute était déserte. Aujourd’hui il y a autant de circulation qu’un samedi en France.IMG_8021_horizon_villageNous sommes arrivés. Si l’air était transparent, on verrait la montagne à l’horizon, mais ici nous sommes dans la plaine. Le village est tout près à gauche. IMG_8015_deux_amiesCristina se promène avec son amie Diane, qui est aussi professeur de français, mais sur l’autre campus de l’université des Langues Étrangères. Elles m’ont emmené pour me tenir compagnie. La famille du mari de Cristina a une maison dans le village. Le père est pharmacien à Jixian. Son fils travaille à Tianjin et il prendra peut-être la succession de son père, plus tard.

IMG_8001_rangs     IMG_8010Le paysage est plutôt austère. La terre du village est divisée en rangs de moins de dix mètres de large, sur des centaines de mètres de long. Chaque famille fait plus ou moins ce qu’elle veut. Le maïs vient d’être récolté et une partie des champs sont déjà semés (en blé, il me semble, mais je ne connais pas grand-chose). La pierre bleue debout est une tombe, face au sud.

IMG_8008_rang_maisCe rang de maïs n’est pas fini. Les épis ont été cueillis mais les plants pas encore emportés.

IMG_8004_rang_vigneIci un rang de vignes, du raisin de table qui a été cueilli il y a quelques semaines, chaque grappe dans un petit sachet; j’en ai acheté de pareilles à l’hypermarché. Des navets poussent à l’ombre de la vigne.

IMG_8017_rang_pechersUn peu plus loin il y a un rang de jeunes arbres fruitiers, avec aussi des légumes à leur ombre. Le pylône porte une ligne électrique. Le paysage pourrait ressembler de très près à la plaine à céréales et à betteraves du côté de Beauvais ou de Saint Quentin, mais la vie qu’on y mène n’a rien à voir. Au temps où je travaillais pour l’agriculture, j’avais eu besoin de parler avec un dirigeant de coopérative, céréalier. Au téléphone, sa fille m’avait dit « Papa est en plaine. » comme elle m’aurait dit « Il est en mer. » (c’était avant le téléphone portable). C’était la région des gros tracteurs et des remorques de dix tonnes. Ici on a des motoculteurs et des triporteurs, et le prochain village est à un kilomètre.

IMG_8011_tombe_butteDe l’autre côté du chemin, une autre tombe dans les champ, avec sa butte derrière la plaque. IMG_8012_tombe_300Le grand caractère dian (hommage)et ci ci(êtres bons). A gauche la mère   mu  madame Yangyang, à droite le pèrefu monsieur Wangwang. En petits caractères à gauche la date de la plaque, 2009, à droite les dates de leurs vies: 1922-1996 et 1912-1985.

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Nous voila dans la « rue principale ». A gauche, face au sud, les portails des cours. Devant les portails, des plates-bandes de légumes et des rames de haricots. A droite l’arrière des maisons qui nous tournent le dos. Par terre, les fanes des épis de maïs qu’on vient de finir d’éplucher. Tout ça est fait à la main. Au fond, la voiture qui nous a transportés depuis Tianjin.

IMG_7994_citrouillesHistoire de montrer qu’il n’y a pas de place perdue: le toit d’un appentis sert à faire pousser des citrouilles. Le rond gris à droite est une parabole de satellite.

IMG_7991_corps_de_fermeLe dernier corps de ferme au bout de la rue: la guirlande jaune en haut du mur, c’est du maïs qui finit de sécher. Les tournesols ne sont pas là pour faire joli, mais pour donner des graines à grignoter. Les experts reconnaîtront un chauffe-eau solaire. D’ailleurs la maison a le chauffage central au charbon et au bois.

IMG_7998_ferme_jonquesLe portail d’un voisin, avec décor de faïences. On devine la maison au fond: une porte au centre, qui donne sur la pièce centrale, et des chambres de chaque côté avec de grandes fenêtres, les dépendances dont la cuisine sont des deux côtés de la cour.

2013-10-06 10.50.24_maison_neuveOn continue de construire dans le même style. Celle-ci n’est pas une petite maison.

IMG_8028_porte_rougeDiane me montre un autre portail, orné de paroles favorables. En hautjiahewanshixingjia he wan shi xing, famille harmonie dix-mille affaires prospèrent. Cette phrase a 20 millions de références sur Google, et c’est le titre d’un feuilleton taïwanais à succès. A gauche et à droite deux vers parallèles de sept caractères que je ne me risquerai pas à traduire. Ils commencent par jiajia famille et  fu_bonheurfu bonheur. Le même caractère du bonheur est sur les vantaux de la porte, à l’envers et à l’endroit. A gauche de l’allée, du soja en gousses est en train de sécher.

IMG_8044_sojaPour ceux comme moi qui n’en avaient jamais vu en vrai, voici à quoi le soja ressemble avant d’être transformé en tofu ou en huile.

IMG_8099_cuisine_veillePendant ce temps, l’équipe de cuisine de noces a débarqué avec son matériel, fourneaux et paillasse en acier inox, grandes casseroles, et s’active pour le banquet de demain midi.

IMG_8098_marmite_vapeurDans ce grand cuiseur à vapeur, des timbales de viande de porc mijotent doucement.

IMG_8052_chaudiereCette chaudière pour l’eau bouillante a probablement été récupérée sur un wagon de chemin de fer. Pour les amateurs de trains de l’ancien temps, il est encore possible de circuler dans ces wagons qui fonctionnent au charbon (chauffage l’hiver et eau chaude pour le thé toute l’année), et parfument les gares avec leur fumée, mais il y en a de moins en moins.

IMG_8060_salle_a_mangerVoici la cour vue de l’intérieur de la maison. Plus personne n’y habite, c’est une vieille maison qui n’a pas le confort moderne, et les fenêtres laissent passer le froid. Des voisins sont venus tenir compagnie à la famille en profitant des tables déjà mises.

IMG_8147_kang_bebeCette photo a été prise du même endroit le lendemain. Le bébé est confortablement installé sur le kang, l’estrade en briques de deux mètres de profondeur qui sert de lit collectif. Il y a un petit fourneau de l’autre côté du mur à l’extérieur de la chambre, et sa cheminée est à l’autre bout du kang. La fumée passe sous le kang et chauffe doucement. Les maisons modernes ont le chauffage central, et des lits géants en fer avec des matelas pour autant de dormeurs.

IMG_8077_noce_hotelChangement de décor. Nous sommes dans le parc du grand hôtel de Panshan, où les mariés ont emmené les invités se promener au pied de la montagne. Panshan est une montagne bouddhiste avec temples, monastères, et escaliers pour les pèlerins. C’est devenu un lieu touristique comme on sait faire en Chine, avec jardins, statues, fontaines, et tout ce qu’il faut pour se nourrir et se divertir.

IMG_8078_hotel_charJuste pour le plaisir, je montre le char antique à six chevaux de bronze (la Chine est un pays fastueux). J’avais pris une photo des mariés devant la statue, mais ça ne va pas.

IMG_8095_maries_512Voici donc les mariés dans le jardin. Comme il est traditionnel aujourd’hui, c’est lui qui porte tout. Son prénom zhuyuzhuyu signifie « Ile du Pilier ».

IMG_8061Avant que nous partions en promenade, ils avaient essayé les alliances. Il n’y a pas d’alliances dans le rite traditionnel.

IMG_8129_benNous sommes le jour du mariage. Les vieux invités de Tianjin, comme moi et Ben (à droite, professeur de français dans la même université que Diane et Cristina) n’avaient pas dormi au village, mais dans un hôtel en ville. On nous a laissé dormir et nous n’avons pas participé au cortège ni entendu les pétards devant la maison du mariage. Pas d’images. Nous arrivons pour le banquet.

IMG_8131_trois_fillesJe manque de photos de la mariée en robe rouge. Il ne fait pas chaud et elle gardait toujours un grand manteau par dessus. La voici avec ses amies. Autrefois elles auraient été bien plus nombreuses au mariage, soeurs et cousines. Nous sommes à la génération des enfants uniques.

IMG_8135_serveuses Les cuisinières, qui ont travaillé toute la journée d’hier, ont mis des tabliers neufs pour la fête.

IMG_8145_a_tableIMG_8144_table servieUne table servie. Et tout n’est pas encore arrivé. On ne mourra pas de faim.

IMG_8141_billets_2Dernier rite: les mariés reçoivent les enveloppes rouges, les cadeaux en espèces des invités. Je m’étais soucié d’avoir une belle enveloppe. Mais la plupart des invités ont simplement posé des billets sur le plateau. Le maître de cérémonie (un oncle du marié, si j’ai bien compris) remercie à très haute voix.

IMG_8153_retourSur l’autoroute. La fête est finie. Les mariés rentrent à Tianjin, demain ils travaillent. Cristina a quand même gardé sa robe mais elle a changé de chaussures. La campagne est déjà loin.

Deux mariages

Les mariages dont je vais parler ont été fêtés pendant la semaine de la fête nationale, autour du 1e octobre. Les jeunes époux ont déjà eu le temps de se disputer (non, me disent mes informateurs). J’ai laissé passer le temps. Surtout que depuis la fin des cours à l’université j’ai tout le temps qu’il faut. Mais justement, il m’est arrivé ce que j’avais connu de temps en temps quand je travaillais: après un effort soutenu, quand c’est fini, je me sens tellement fatigué que je ne suis plus bon à rien. Les Américains appellent ça burn out. On attend et ça passe. Donner des cours quatre matinées par semaine pendant deux mois, ce n’est pas un grand exploit. Mais voila, je vieillis, j’atteins l’âge où on se fatigue à faire quelque chose de pas habituel, et où on met longtemps à s’en remettre.

Du coup, quelques fidèles lecteurs se sont inquiété de ma santé. Ils avaient raison. Leurs messages m’ont aidé à me remettre en état.

Je n’ai quand même pas passé mon temps à ne rien faire du tout. Par exemple, j’ai continué mes lectures des livres d’Emmanuel Todd, l’homme qui explique la marche du monde par l’organisation des familles: un pays où les enfants quittent leurs parents pour se marier et s’installer ailleurs et reviennent longtemps après pour se partager l’héritage à égalité (en France autour de Paris), ne fonctionne pas comme un pays où le fils préféré reste vivre avec ses parents et l’épouse qu’ils lui ont choisi, et garde la maison, pendant que ses frères et soeurs ont fait leur avenir ailleurs (en Allemagne, en Bretagne bretonnante), ou un pays où les fils restent avec leur épouse et leurs enfants dans la maison des parents et ne se séparent qu’après la mort du père (en Chine). Et on ne voit pas le monde de la même façon quand on épouse sa cousine (pays arabes51qwKVLAMzL) et quand on est obligé d’aller chercher une épouse ailleurs que dans la famille (un peu partout).

J’ai lu son premier livre, « La Chute finale », celle de l’URSS, et je suis tombé sur l’émission « Radioscopie » de 1976 (Jacques Chancel) où il parle de son livre. Pour les jeunes, l’Union Soviétique était le nom de la Russie en 1976, et jusqu’en 1989, et c’était un pays communiste. Et en ce temps-là le Parti communiste en France avait plus d’électeurs que Marine Le Pen aujourd’hui. Je précise, parce que j’ai essayé d’en parler, et je me suis aperçu que ça ne dit pas grand-chose à ceux qui étaient à l’école primaire en 1989. Ca m’a permis de me rafraîchir la mémoire sur ce qu’était l’URSS, un pays où tout le monde vivait dans la pénurie, où ni les étrangers ni les Russes n’avaient le droit de voyager, sauf une petite classe dirigeante, et où la première industrie était la police (je simplifie). Plus rien ne faisait de progrès, sauf la production d’armes, et surtout pas la santé; le nombre de bébés morts peu après la naissance était en hausse. Et l’URSS s’est effondrée quand quelqu’un a essayé de changer quelque chose (c’était Gorbatchev en 1989).

Pour revenir à la Chine qui est le sujet habituel de ce journal, justement la Chine de maintenant n’est pas du tout un pays communiste au sens de l’URSS. On voyage, on consomme, on fait des affaires, les étrangers s’y installent et circulent comme ils veulent (je suis un bon exemple), tout le monde peut aller à l’étranger (ce sont les pays où les Chinois ont envie d’aller qui freinent, pas l’inverse), et on ne vit pas dans la pénurie; au contraire l’encombrement menace, il suffit de regarder la cour de ma résidence remplie de voitures (neuves; il y a 5 ans il n’y avait que celle d’un chauffeur de taxi qui habite ici). La Chine ne s’effondrera pas comme l’URSS. Pire: on entend des dirigeants occidentaux rêver à haute voix d’avoir les mêmes moyens de gouverner que leurs si efficaces confrères chinois. Pour le voyage dans le temps, écouter sur Youtube Emmanuel Todd en 1976, (désolé pour ceux qui habitent à l’intérieur de la Grande Muraille, çan ne passe pas), et téléchargez un exemplaire pirate de « La Chute finale » sur Scribd (même remarque, ça ne passe pas non plus la Grande Muraille).
Du Halde_512Revenons au mariage de la cousine de Petite Feuille à Pékin. Je suis un étranger invité par une des familles pour faire honneur à la fête. Et le rite est un descendant de celui que le révérend père Du Halde décrivait à ses lecteurs en 1835 :

 » Lorsque le jour des noces est venu, on enferme la fiancée dans une chaise magnifiquement ornée : toute la dot qu’elle porte, l’accompagne, et la suit. Parmi le menu peuple, elle consiste en des habits de noces, enfermés dans des coffres, en quelques nippes, et en d’autres meubles, que le père donne. Un cortège de gens qui se louent, l’accompagne avec des torches et des flambeaux, même en plein midi. Sa chaise est précédée de fifres, de hautbois et de tambours, et suivie de ses parents, et des amis particuliers de la famille. Un domestique affidé garde la clef de la porte qui ferme la chaise, pour ne la donner qu’au mari ; celui-ci magnifiquement vêtu attend à la porte l’épouse qu’on lui a choisie. Aussitôt qu’elle est arrivée, il reçoit la clef que lui remet le domestique, et il ouvre avec empressement la chaise. C’est alors que s’il la voit pour la première fois, il juge de sa bonne ou de sa mauvaise fortune. Il s’en trouve, qui mécontents de leur sort, referment aussitôt la chaise, et renvoient la fille avec ses parents, aimant mieux perdre l’argent qu’ils ont donné, que de faire une si mauvaise acquisition. C’est néanmoins ce qui arrive rarement par les précautions qu’on a eu soin de prendre. Dès que l’épouse est sortie de la chaise, l’époux se met à côté d’elle ; ils passent tous deux ensemble dans une salle, et là ils font quatre révérences au Tien, et après en avoir fait quelques autres aux parents de l’époux, on la remet entre les mains des dames qu’on a invitées à la cérémonie : elles passent ce jour-là toutes ensemble en divertissements et en festins, tandis que le nouveau marié régale ses amis dans un autre appartement.  » (le texte de la Description de la Chine est en ligne sur le site chineancienne.fr )

IMG_7833_hotel_7Les coutumes ont un peu évolué. Les futurs époux se sont déjà rencontrés avant. Et même en général ils n’ont pas eu besoin des parents pour trouver le conjoint qui convient. Tout le monde se régale ensemble, on ne met plus les femmes d’un côté et les hommes de l’autre. Mais rien n’a changé sur le fond du sujet: se marier, c’est aller en cortège de la maison de la famille de l’épouse à la maison de la famille de l’époux, et faire un festin en l’honneur des mariés.

La mariée est de Tianjin; tôt le matin, un autobus est parti avec la famille et les amis. Invité au nom de la famille par une cousine de la mariée, j’ai été prié de partir la veille et de passer la nuit à Pékin. j’ai été conduit avec sollicitude par Petite Feuille (la cousine, en rouge sur la photo) ; les mères avaient insisté pour que l’invité étranger soit accompagné, pour ne pas se perdre entre Tianjin et Pékin, et soit logé dans le même hôtel qu’eux. Petite difficulté: cet hôtel n’est pas ouvert aux étrangers et à Pékin c’est encore pris au sérieux. Donc je suis arrivé le soir en même temps que tout le monde et je suis allé directement dans ma chambre sans m’inscrire ni laisser une copie de mon passeport à la réception. C’est chinois: si celui qui enfreint la loi ne la connaît pas, et si on n’a rien montré à celui qui doit la faire respecter, tout est en ordre cependant. J’ai fait un séjour clandestin dans la ville la plus sécurisée de tout l’Empire; c’était plus simple que de séjourner légalement dans un autre hôtel.

IMG_7846_cineasteNous sommes dans un autre hôtel, tout près, qui joue le rôle de maison de la famille, dans la chambre où la mariée se prépare, entourée de toute sa famille. Les deux personnages qui contemplent sont une petite soeur de la mariée, et le cinéaste, homme indispensable à toute cérémonie réussie (à tous les mariages où je suis allé, c’est toujours un homme).

IMG_7848_chambre_hotel La mariée est en blanc, pas en rouge. De même que le marié sera en costume avec une cravate claire et pas en robe avec les insignes de sa qualité. Il reste quand même une tradition : à Tianjin, les femmes de la famille portent dans les cheveux une barette rouge ornée de huit petites pièces d’or.

IMG_7852_nego_fianceDe l’autre côté de la porte, ce sont les amis du marié qui viennent réclamer la présence de la mariée. Le couloir est un peu étroit, mais le rite se déroule.

IMG_7862_chaussureIMG_7852_mariage_200Le marié arrive derrière ses amis, et chausse lui-même sa future épouse pour qu’elle marche vers  sa nouvelle demeure. En fait, devant la loi ils sont déjà mariés depuis quelque temps, c’est-à-dire qu’ils sont allés ensemble au bureau de l’état-civil déclarer qu’ils se mariaient. Le fonctionnaire municipal les a confiés au photographe de l’administration qui a réalisé une image d’eux ensemble sur fond rouge, puis leur a demandé d’attendre, le temps de remplir les deux petits livres rouges qui sont les certificats de mariage. Le maître de cérémonie les leur remettra tout à l’heure; c’est le banquet des familles qui fait le mariage, pas la formalité (à gauche, mon exemplaire de certificat de mariage).

IMG-1672_couloir    IMG-1680_maries_sortieDépart de la « maison de famille de la mariée »; je suis derrière en haut des marches de l’hôtel. Les photos ont été prises par une autre cousine de la mariée. Le cortège attend dehors.

IMG_7866_hummerVoici la chaise à porteurs de la mariée. Celle-ci est blanche. Il y en a aussi de noires, mais pas de rouges. C’est l’organisateur du mariage qui l’a fournie, avec les voitures rouges des invités et leurs chauffeurs. Les mariés monteront tous les deux. J’ai vu d’autres mariage où le marié part avec ses amis, et attend le cortège devant l’hôtel qui joue le rôle de la maison de ses parents.

IMG_7880_cortege_rougeCe n’est pas loin, mais pour respecter la tradition le cortège fera un tout dans le centre de Pékin. Comme invité de la famille, je suis dans la dernière voiture rouge, en compagnie d’une autre cousine de la mariée, qui parle anglais. On a été très attentif pour que je me sente bien. Ici nous sommes sur le Troisième Périphérique ouest.

IMG_7888_afroL’organisateur de la fête a un petit contretemps: le cortège est arrivé dix minutes trop tôt, et la réception n’est pas prête. C’est l’occasion d’admirer les nouveaux cheveux africains de Petite Feuille. Elle aime innover. Normalement les cheveux d’une jeune fille doivent être longs, lisses et brillants (les cheveux d’une femme mariée étant courts et moins brillants, parce qu’une maîtresse de maison se consacre à ses devoirs et n’a plus de temps pour s’occuper de choses futiles; mais la Chine se modernise en ce moment).

IMG_7911_famille_groupeNous sommes arrivés à la « maison de famille » des parents du marié. Les futurs époux sont descendus de leur char sous une pluie de pétales de fleurs en papier brillant. A Tianjin il y aurait eu des chapelets de dix mille pétards et des fusées qui sifflent, mais à Pékin c’est interdit, donc pas de bruit, et moins de petits papiers sur le sol.

IMG_7909_famille_faceLe marié avec son père et la mariée avec sa mère. A la fin de la fête nous irons de l’hôtel à la maison des mariés. Ils habiteront dans une chambre de l’appartement de ses parents à lui. Emmanuel Todd explique que la famille chinoise est communautaire égalitaire. Dans un monde où tout se passe bien, les fils mariés restent sous l’autorité de leur père, dans sa maison, et ne se partageront l’héritage que quand les parents ne seront plus là. Dans la réalité que je connais, c’est toujours vrai même en ville; un jeune couple s’installe ailleurs que chez les parents du mari par nécessité (appartement trop petit, travail ailleurs; le conflit belle-mère – belle-fille est dans la catégorie des nécessités). D’après Todd, c’est très favorable à une société stable, et au communisme depuis que l’idéologie a remplacé la religion. Pour les anglo-saxons, qui mettent leurs fils dehors dès qu’ils peuvent et au plus tard le jour du mariage, c’est le contraire; famille nucléaire absolue dans le vocabulaire d’Emmanuel Todd. Lire L’invention de l’Europe.

IMG_7917_receptionEntrée de la salle du banquet. La photo de mariage accueille les invités. Elle a été faite bien avant. J’ai vu des mariages où la cour de l’hôtel était décorée d’une affiche trois fois grandeur nature. Les albums de photos sont aussi réalisés avant. La Chine est un grand décor de photos de mariage.

IMG_7918_decorVoici le décor de la cérémonie: l’estrade, avec le panneau « Wedding » parce que le mot étranger est plus favorable que le double caractère, les tables, l’écran où on fera défiler les images du bonheur futur, et le trépied de la caméra. Il manque l’arceau fleuri qui marque l’entrée, il est derrière moi.

IMG_7924_table_de_10Une des tables de dix, alors que les invités ne sont pas encore arrivés. Sur la table, du Sprite et du baijiu (la bouteille rouge, couleur qui porte bonheur). Cela me fait penser à une histoire du temps où je travaillais dans le parfum  : le grand commercial pour l’Afrique avait raconté qu’un de ses représentants régionaux faisait des ventes miraculeuses; il avait réussi à persuader les familles qu’une des eaux de toilette de la maison était très appréciée des génies favorables et qu’il fallait leur en offrir a chaque occasion où on avait besoin d’eux, les mariages par exemple. Le jour où les Chinois seront persuadés qu’une bouteille de vin français est indispensable au centre d’une table ronde de banquet, ce sera la fortune.

IMG_7939_archeLa mariée arrive sous l’arceau fleuri, et le marié l’accueille. Il s’est fait tout petit devant elle comme si c’était une divinité. Le maître de cérémonie a-t-il choisi le rite matriarcal ? Dans d’autres mariage, la mariée était conduite par son père.

IMG_7929_animateurVoici le maître de cérémonie, sur son estrade, qui va guider tout le monde et veiller à ce que les bons gestes soient accomplis.

IMG_7953_caractèreA gauche, le caractère du double bonheur dont je parlais tout à l’heure. Il est partout dans la salle, mais pas dans le décor de la cérémonie.

IMG_7969_serveuses

Les autres officiantes, ce sont les serveuses qui ne vont pas arrêter de couvrir les tables de bonnes choses. D’après un livre sur le sujet, il faut au moins trois services de trois plats. C’est très bon, très abondant, et à la fin du banquet les maîtresses de maison se partageront les restes, dans des boîtes de plastique blanc apportées par les serveuses.

IMG_7950_lumieresLes mariés allument ensemble le feu nouveau. Ils vont aussi verser une grande bouteille sur une pyramide savante de verres qui se rempliront en débordant d’un rang à l’autre, et couper un grand gâteau à étages.

IMG_7946_orateurDes invités notables prennent la parole pour vanter les qualités de l’un ou l’autre époux. Le directeur d’une filiale d’entreprise française m’avait raconté qu’il est invité systématiquement quand un de ses employés se marie. Il dit aux invités combien elle (ou lui) a de la chance de s’unir avec quelqu’un qui montre au travail les plus hautes qualités.

IMG_7954_1e_sortieFin de la première cérémonie. Les mariés et leur escorte prennent congé de l’assistance. Ils reviendront un peu plus tard.

IMG_7963_robe_rouge

Retour des mariés. Elle a mis une robe rouge. Dans un autre mariage, j’avais vu une robe rouge puis une robe verte. Chaque invité boit avec les mariés un petit verre, les messieurs fument une cigarette et les dames mangent un bonbon.

IMG_7967_petits_verres

Bien sûr, ils ne survivraient pas à la tournée des tables s’il n’y avait pas un truc. La bouteille rouge de baijiu de la demoiselle d’honneur a été remplie d’eau (le baijiu est clair comme de l’eau).

IMG-1986_pierreMoi en invité. J’ai l’air d’être le plus chenu de l’assemblée (ce n’est pas vrai, mais la peau d’un visage chinois reste fraîche bien plus longtemps que celle d’un visage occidental).

IMG_7971_sortieC’est fini, et tout le monde est parti ou presque. Normalement, nous devrions encore aller rendre visite à l’endroit où le nouveau couple va s’installer. Mais il y a une difficulté: le père du marié travaille à l’état-major de la marine nationale, et il a son appartement de fonction dans une des résidences pour familles de militaires au centre de Pékin (parc, grands arbres, petits immeubles, magnifique portail et soldats en bel uniforme qui patrouillent dans les allées). Les étrangers n’ont pas le droit d’entrer, et je reste donc à contempler devant le portail ouvert que je n’ai même pas photographié. Retour à Tianjin dans l’autobus de la noce. Nous dînons ensemble (même après avoir festoyé à midi, il reste de la place; il faut être prêt à tout), un plat de nouilles de l’éternité, idéalement une seule nouille infiniment longue, comme le bonheur des mariés.

Je raconterai le mariage à la campagne plus tard. C’est autre chose mais il y a un point commun: pas de cérémonie religieuse. En fait, la religion des Chinois, c’est le culte de la famille et de son infinie durée. Dans la famille chacun choisira son Bouddha, ou son Tao, ou ce qu’il ou elle voudra.  C’est vrai sauf chez les catholiques. Et je viens d’avoir la chance d’aller à un mariage à la cathédrale de Tianjin.

IMG_8316_petards_cathedraleEn passant devant la cathédrale un après-midi, je vois des jeunes gens s’activer, comme les amis du marié devant l’hôtel où on attend la noce. Caisses de 25 fusées et rouleaux de 10.000 pétards. Tout cela partira quand la grande voiture des mariés arrivera dans la cour de la cathédrale. Mais les pétards sont en dehors de la cour.

IMG_8341_entree_cathedraleEntrée des mariés dans l’église  pleine. Si je suis à jour sur les rites, en France la mariée entre seule, conduite par son père, et retrouve son conjoint en haut de la nef. Ici ils entrent ensemble, déjà unis.

IMG_8370_choeur_cathedraleQuand même, le choeur d’une cathédrale, c’est mieux que l’estrade d’une salle de banquet, même si la grâce du sacrement existe certainement dans les deux. Les mariés s’engagent en présence de ceux qui se sont réunis en leur honneur. A la sortie, je n’ai pas osé suivre le cortège jusqu’à la salle du banquet. Je suis sûr qu’il y a eu aussi des gestes et des discours, et beaucoup de tables pour dix convives.

IMG_8491_dagunanluAvant de partir, quelques nouvelles du temps qu’il fait. Aujourd’hui ciel bleu et vent froid (les deux vont ensemble; vendredi pas de vent et pas de ciel). C’est l’hiver; Les buissons qui séparent la voie pour cyclistes et l’avenue sont mis à l’abri du vent entre des petits murs de plastique vert tenus par des bambous.

La prochaine fois nous serons à Jixian, la campagne au nord de la ville, au pied des montagnes. J’étais invité à un autre mariage.

Vivement la retraite

Ca fait un mois que j’enseigne, quatre matinées par semaine, et que je prépare les cours, une bonne partie du reste du temps. Il ne me reste pas assez d’énergie pour raconter.

Heureusement, la semaine d’or est arrivée, celle qui contient le premier octobre, 64e anniversaire de la proclamation de la république socialiste par Mao. La télévision nous a montré des images modestes d’une cérémonie humide sur la place Tian an men.

Tenant eux-mêmes leur parapluie, le Président, le Premier ministre, les autres puissants, donnent une leçon de simplicité. La caméra aussi était mouillée, comme les petites chanteuses.

Notre nouveau téléviseur marche très bien. Le précédent, acheté l’année de notre mariage, est tombé en panne. Il aura duré moins longtemps que celui qui était tombé en panne quand je suis arrivé, et qui datait de la naissance du fils de mon épouse. Je me rassure, la machine à laver, qui fut un objet de controverse dans notre vie quotidienne, continue de très bien fonctionner.

Donc ce sont les vacances, et j’espérais me reposer. Mais Petite Feuille, mon amie postière (elle dessine les cartes postales de la Poste de Tianjin, et j’ai écrit pour elle la traduction en français de la notice à l’usage des touristes de l’année olympique) avait décidé que j’irais au mariage de sa cousine. C’est à Pékin. Et la veille il y a un festival rock, dans une prairie, 10 km à l’est de la Cité Interdite. Près de la station de métro Tongzhou Beiyuan pour ceux qui connaissent.

Ca commence à quatre heures de l’après-midi, c’est gentil et paisible et on peut y emmener les petits enfants aussi.

Ca se termine à neuf heures du soir. Mais c’est un vrai concert, avec de quoi faire trembler la terre et les têtes de ceux qui écoutent. Lao Lang (Vieux Loup) y chante. Je n’y connais rien, c’est la première fois que je vais à un festival rock.

Et le lendemain matin (hier) j’étais dans la chambre d’hôtel de la mariée, qui joue le rôle de la maison de ses parents, et le futur marié l’a rencontrée sous le regard de la famille. Le jeune homme en noir qui sourit est le cinéaste du mariage. La dame qui a l’air content est la tante de Petite Feuille (la mère de la mariée, donc). Tout à l’heure nous monterons dans les voitures rouges du cortège qui nous mènera à la maison de la famille du marié, représentée par un grand hôtel de Pékin. Le soir un autobus ramènera les gens de Tianjin, moins la mariée, qui mangerons ensemble des nouilles (idéalement le plat est une seule nouille sans fin, symbole de la durée du bonheur) avant de rentrer chez eux. Je suis bien fatigué et je raconterai une autre fois.

Aussi bien, comme ma présence à un mariage doit être favorable, Cristina, jeune professeur de français à l’université, m’a invitée à son mariage. C’est demain. Et lundi je donne des cours. Celui que je remplaçais ne sera pas là comme prévu (non, il ne lui est pas arrivé malheur, c’est la faute des mystères de l’administration) et je vais continuer. Vivement la retraite.

Rentrée des classes

Banderole et panneaux, et ballons porteurs de devises comme devant un grand magasin d’électro-ménager. C’est aujourd’hui la rentrée des étudiants de première année à l’université des langues étrangères de Tianjin.

Le vestibule du grand bâtiment des cours, avec son sceau en marqueterie de pierres dures presque digne de la CIA (la pendule est au fronton du bâtiment des années 1920 construit par les pères jésuites, c’était l’école de commerce) est plein d’animation. L’université reçoit ses étudiants de première année. Ceux de troisième et de quatrième année sont déjà rentrés depuis lundi. Et ils se sont dévoués pour accueillir, depuis 6h 30 ce matin, les nouveaux, leur faire compléter et signer la liste des inscrits, leur distribuer les manuels du nouvel étudiant, et les relâcher dans le campus avec leur petit livret. Tout ce qui a une importance pour quelqu’un en Chine prend la forme d’un livret; la naissance, le mariage (couleur rouge), le divorce (couleur bleue), l’embauche (couleur rouge chinois), la résidence (le fameux Hukou, couleur brune).

Le livret d’étudiant est brun aussi, et de tout petit format. Au premier plan, une des pages du tableau des effectifs du département d’anglais.

Voici trois des volontaires à la table de l’anglais.

Et voici la table du françaisfayu, lois langue.

La table du département des langues européennes: russe, français, allemand, espagnol, italien, portugais.

Pour donner une idée de la proportion, voici la table du département d’anglais (il est midi, presque tout le monde est passé).

Et voici la table du département de japonais riyu (prononcer d’ju yu) soleil langue, le Japon s’appelleriben, soleil racine (soleil levant). Pas moyen de se tromper. Il y a beaucoup de Japonais parmi les étudiants étrangers, tout est pour le mieux.

A la table du département des langues asiatiques (comme tout le monde le sait sauf en Europe, le Japon n’est pas en Asie, il est au Japon), j’aperçois l’arabe, le coréen, et le siwaxili yu. le swahili, parlé en Afrique orientale, la plus proche de l’Asie (l’équivalent pour l’Afrique occidentale, c’est le français). On m’indique qu’il y a une nouvelle langue cette année, l’indonésienyinni yu. Je l’ai ratée.

Vendredi, j’étais passé devant le bâtiment des étudiants internationaux au moment où on disposait les drapeaux  de l’accueil sur les marches de la grande entrée.

Quelques heures après, quelqu’un avait expliqué qu’on ne dispose pas les pavillons nationaux comme du linge à sécher, même si ça les rend plus lisibles. Le bâtiment des étudiants internationaux est le plus neuf du campus (terminé en 2011). On n’y loge pas par 4 ou 6 ou 8 comme dans les dortoirs des étudiants chinois, et on paie dix fois plus cher, ce qui enrichit l’université. En bas, le grand vestibule est digne du lobby d’un hôtel de bonne catégorie; il y a un petit supermarché où les choses sont plus chères qu’au supermarché du campus (qui est d’esprit très chinois; il est prévu de le moderniser). Avant, les étudiants internationaux étaient logés (pas très bien) dans l’enclos des experts étrangers (avec muraille, corps de garde, inscription des visiteurs, supermarché et restaurant pour ne pas avoir à sortir; jusqu’au milieu des années 1990, les étrangers étaient couvés et surveillés; c’est fini).

La moitié nord du campus, avec le bâtiment d’origine, la bibliothèque, et les étudiants qui vont vers la cantine; vu du 11e niveau du grand bâtiment ses cours.

Et moi, pourquoi suis-je à l’université le jour de la rentrée (et même depuis lundi) ? Parce que je fais partie des enseignants; j’ai même été invité à la réunion de rentrée du département de français. Comme en 2011, le professeur « locuteur natif » ne peut pas être là avant octobre. J’assure donc le remplacement. Officiellement cette fois, et avec un contrat, au lieu faire croire à l’administration que je suis le vrai. Pour les cours de « compréhension orale et audiovisuelle », j’ai repris la recette de 2011 (ceux que ça intéresse liront l’article). Une chanson, écoutée plusieurs fois, sans le texte puis avec le texte, avec plus d’un interprète pour ne pas se laisser endormir. Cette année j’utilise des videos de Youtube qui s’est bien enrichi depuis deux ans.

Valeur éternelle: Edith Piaf et ses textes faits de lieux communs de la langue française, transportés par l’émotion (« Je repars à zéro … Non, rien de rien … »). Le repos de l’enseignant: Françoise Hardy (« Oui mais moi, je vais seule, car personne ne m’aime … »). Les étudiants de troisième année n’ont pas compris grand-chose à la première audition. A la troisième, avec le texte sous les yeux, elles chantaient elles aussi (je dis « elles » parce que sur les 18 étudiants du premier groupe, il y a deux garçons; le deuxième groupe, pareil). J’ai essayé avec la même méthode « Papaoutai » de Stromae, le tube de l’été. Là ça a moins bien marché. (le clip, les paroles, en public). Un jeune homme qui cherche son papa irresponsable, c’est bien plus loin de leurs préoccupations. Je débute.

Les quatrième année ont eu droit à un texte authentique en français contemporain. Ils ont suivi et ça leur a plu.

J’ai eu l’impression que le sixième stéréotype n’avait pas été bien compris à la première audition. Du coup, j’avais préparé « Annie aime les sucettes » sans et avec Gainsbourg mais je le donnerai d’abord aux étudiants de maîtrise.

S’il n’y avait qu’à faire écouter des choses diverses, ce serait assez reposant. Mais on attend du professeur locuteur natif un savoir universel (aussi bien, il est le seul non-Chinois du département). Donc le programme dit, pour les étudiants de maîtrise 1:

Lecture en français supérieur (littérature française)
Histoire contemporaine de la France (depuis 1789)

Et pour la maîtrise 2:

Politique française (histoire contemporaine de l’idéologie occidentale, constitution française, partis politiques français, géopolitique.)

J’aime beaucoup l’expression « Idéologie occidentale ». En attendant de me mettre d’accord avec le professeur titulaire (un diplômé de Sciences-Po, déjà passé par les organismes supra-nationaux, nettement plus qualifié que moi), je vais commencer par la découverte de Tcheng Kitong, le premier écrivain chinois en français, et le survol de l’histoire de France avant 1789 (de Jules César à Louis XVI en 1h40, tout est possible). Pour l’idéologie occidentale, je ne sais pas encore. Peut-être un cours sur la Genèse (Alors Dieu dit « Que la lumière soit », et la lumière fut. « Croissez et multipliez, emplissez la Terre et soumettez la. »). Les penseurs de la réforme chinoise de 1898 (ceux que la méchante impératrice Tseu-Hi a exterminés) croyaient que c’était le secret de la supériorité occidentale de l’époque.

 

Un autre monde

Pour commencer, une image quelconque. Dagu nanlu, l’avenue sud de la Grande Vente (ou du Grand Menteur), à côté de notre résidence, un matin du mois d’aout.

C’est un jour exceptionnel. Le ciel est bleu, avec des nuages « comme en France ». Ces temps-ci il fait abominablement chaud à Tianjin, ailleurs aussi, et le ciel est blanc, le soleil voilé. La semaine dernière je me suis enfui vers le sud, où il fait meilleur.

L’avion en provenance de Tianjin et à destination de Shenzhen survole l’estuaire de la Rivière de Perles. En remontant on arrive à Canton. L’aéroport de Shenzhen est la petite tache blanche sur la côte, loin en haut, et Hongkong dans le bleu au-delà.

L’avion serait à peu près au coin en haut à gauche. Pour lire la carte, cliquer dessus. Pour voir le paysage aérien, cliquer ici. Le petit jalon rouge marque le but du voyage: l’université polytechnique de Hongkong (écoles d’ingénieurs). Je me suis inscrit à Wikimania 2013, le congrès annuel de ceux qui écrivent les articles de Wikipedia, le site qui apparaît en premier quand on cherche quelque chose sur Internet.  Non pas que je sois tellement assidu (j’ai beaucoup fait il y a quelques années, moins maintenant), mais j’avais envie de rencontrer « en vrai » quelques uns de ceux avec qui j’avais échangé des arguments. Ceux qui lisent l’article sur la troisième épouse légitime de notre précédent président n’ont pas idée de la quantité de gens qui ont participé à sa rédaction et discuté de la qualité de l’information. C’est ainsi que, ayant ajouté que le fils d’un grand avocat avait été un de ses amants en titre, j’ai été sommé d’apporter la preuve (article de journal sérieux), sinon mon information non vérifiée serait effacée. L’article ayant été fourni par quelqu’un d’autre, un autre encore l’a lu et en a tiré la citation (authentique donc) « l’amour dure une longue période, mais le désir brûlant, deux à trois semaines. Je suis monogame de temps en temps, mais je préfère la polygamie et la polyandrie » (Daily Mail, 24 janvier 2008). Ca, ce sont les contributeurs. Et l’article existe en 51 langues, dont le chinois, à l’initiative des contributeurs. Mais il y a aussi la Fondation, gestionnaire des ordinateurs qui abritent tout cela (un des 10 sites les plus fréquentés du monde), et employeur de 150 personnes. Et les volontaires qui écrivent les programmes et administrent le contenu, de chez eux ou de chez leur employeur. Donc les 1000 et quelques participants de cette année représentent au hasard des millions de gens qui participent, sans parler des milliards qui consultent. J’aurais aimé rencontrer Vincent Ramos, professeur au collège technique de Lansargues en Camargue, et premier auteur des grands articles sur l’écriture chinoise. D’autant plus qu’une lectrice de ce blog, qui avait cru que j’étais lui, parti en Chine, m’avait envoyé une déclaration d’amour enflammée. Mais non, je ne suis pas un si grand contributeur (l’image han zi , chinois caractère, provient de Wikimedia Commons, le réservoir d’images sous licence libre de Wikipedia).

Voici un participant typique. Il vient de Singapour et s’appelle Lee Tsen Ta, Jack Lee en anglais. Il écrit dans le Wikipedia en anglais. Nous sommes vendredi matin, là où on sert le petit déjeuner dans une des cours de l’université.  Il vient de prendre à l’accueil son badge de participant, sa sacoche de participant contenant le programme imprimé et un T’shirt de l’évènement. Il porte un des T’shirt qu’il faut avoir « Je modifie Wikipedia », et tient une boisson non alcoolisée à la main (pas d’alcool sur le campus).  Mais ne faisons pas d’erreur: il est professeur de droit public à l’université de Singapour, et ses étudiants écrivent des articles de Wikipedia qu’il met en ligne sous son nom et sa responsabilité ou sous le nom de l’auteur. Voila pourquoi la constitution de Singapour est bien documentée. Ils sont très nombreux à travailler ainsi et c’est pour ça que Wikipedia est digne d’être consulté.

Puisqu’on parle de T’shirt, voici le plus beau et le plus distingué, orné de la sphère magique, emblème de Wikipedia. Il est en vente sur le campus mais n’a pas de succès.

Tout le monde préfère celui du jour, ici porté par Christopher Smith, professeur de français et d’anglais en Thaïlande, venu en voisin.

Il y a aussi les accessoires qui montrent qu’on est dans la note. Le snobisme de l’ancien et de l’introduit est fort, mais ça reste gentil. Aussi bien, les participants sont jeunes ou vieux, beaux ou moches, d’un peu tous les pays mais étrangement semblables, tous avec le même air de gens instruits, équipés, dotés d’un idéal, complètement mondialisés.

Jeudi soir. Nous attendons les autobus qui nous mèneront à la fête d’ouverture, au centième étage du centre international de Kowloon (Kowloon est sur le continent, Hong Kong au sud en face est une île, la Chine continentale commence à quarante kilomètres plus au nord). Je connais l’homme de droite, c’est Gribeco, Français qui vit aux Etats-Unis et très puissant dans Wikipedia en français. Il fait partie du groupe des administrateurs, qui ont le droit de supprimer les articles (les autres ne peuvent que créer et modifier), d’interdire un intervenant qui se comporte mal, et de donner des permissions spéciales. C’est ainsi qu’il m’a autorisé à travailler depuis des adresse Internet normalement interdites d’accès à la modification de Wikipedia, celles du service VPN dont je me sers pour contourner le contrôle d’accès à l’Internet extérieur depuis la Chine continentale. Gribeco gère aussi un automate qui examine tout ce qui est ajouté à Wikipedia en français, pour repérer et éliminer les « vandalismes » qui remplacent le contenu d’un article par des insanités, et signale les informations à vérifier, par exemple l’annonce du décès de quelqu’un. Certaines personnalités sont tuées fréquemment par des contributeurs vindicatifs. Elles sont ressuscitées dans les heures ou les minutes qui suivent (n’essayez pas).

Du centième étage, vers l’est, on voit la baie de Hongkong. Les collines très loin à droite sont à Shenzhen, en Chine, celles qui sont plus près à gauche sont à Hongkong. Ce n’est pas par hasard que la réunion se tient ici. Hongkong est un des rares endroits au monde où presque tout le monde peut entrer librement, sans visa ni contrôle de sécurité. Même en Grande-Bretagne (où la réunion aura lieu l’an prochain) c’est plus compliqué, notamment pour les Africains. Paradoxe: alors que Hongkong est sous la souveraineté de la République Populaire, ce sont les Chinois de l’intérieur qui doivent obtenir un permis de quitter la Chine vers Hongkong (un livret bleu au même format que le passeport). Je suis entré avec mon passeport français.

Du haut de la tour, on aperçoit aussi le campus de l’université polytechnique de Hongkong, tout neuf (2004), les bâtiments rectangulaires en brique rouge et le bâtiment blanc de forme fondante à gauche (2013, il vient d’être fini). Le bout d’autoroute au delà mène au tunnel sous la baie, vers Hongkong.  Derrière, c’est la gare de Hung Hom, autobus, métro, et le train vers la Chine. On ne peut pas être mieux placé.

Vu en plan, le campus rappelle quelque chose (cliquer dessus pour agrandir). C’est la même idée que Jussieu (mais en plus réussi): des tours qui assurent la circulation verticale, reliées par des travées qui contiennent les locaux; le sol est libre pour y installer autre chose, et il y a de grands creux qui éclairent d’autres bâtiments sous les dalles. L’espace est utilisé au maximum, il y en a si peu à Hong Kong. La salle à manger sous parasol qu’on voit sur les photos est ainsi nichée dans un creux, qui donne sur un autre creux plus profond. Les convives s’installent aux tables (pas assez nombreuses) et se répandent dans les gradins qui relient les niveaux. Il y a de la place pour tout le monde.

Tout est neuf. Les plus vieux bâtiments sont datés de 2004. Et on sait d’où est venu l’argent. Voici l’arbre mémorial d’un don moyen. Les riches ont en lettres énormes leur nom sur les bâtiments qu’ils ont financés. Les modestes ont une petite plaque en inox sur une brique ou au dos d’un siège de l’auditorium. Cet auditorium (1000 places) est somptueux, très haut avec des loges au-dessus des gradins, et un grand escalier digne de l’Opéra. Mais il est sous terre, profond comme un abri anti-atomique.

Trois participants équipés en route vers une réunion. La dernière est une des rares qui se soit volontairement habillée « ethnique » (je l’ai vue écrire dans un alphabet qui pourrait être le tibétain).

Le repas de midi. On ne meurt pas de faim, et c’est plutôt bon, chinois du sud modéré et occidental banal.

Les repas sont faits pour discuter, et s’aérer après les séances studieuses dans les salles de cours. Petit déjeuner, dix heures, lunch, quatre heures. L’homme en jaune porte un T’shirt rare, qui réunit toutes les marques déposées de la Fondation Wikimedia. KIWIX, sur l’affiche, c’est de la publicité pour un nouvel outil qui permet d’extraire tout Wikipedia (les 3 millions d’articles de la version anglaise, le 1.5 million en français ou en allemand) pour l’emporter avec soi, sans Internet, dans une cellule de prison par exemple, ou dans un lycée en Afrique qui ne peut pas se payer une connexion Internet permanente. Ca tient dans un smartphone ou une tablette, et une clé USB suffit pour alimenter un réseau d’ordinateurs.

Voici les deux seules filles voilées de la réunion. Il y a un sujet sur le Wikipedia en arabe et un autre sur le rééquilibrage des genres (les contributeurs sont très largement des mâles). Pourtant, à cette table, il n’y a pas besoin de tendre l’oreille pour savoir qui a l’autorité.

Séance inaugurale dans l’auditorium. Jim Wales à la tribune s’écoute parler. C’est lui, l’homme qui a eu l’idée de l’encyclopédie pour tous et alimentée par tous, le partage volontaire de « tout le savoir humain ».  C’était il y a une douzaine d’années, et depuis, ça marche. Dans la salle, il y a quelques dizaines de gens qui travaillent à plein temps pour la Wikimedia Foundation, installée aux Etats-Unis (150 salariés, environ 35 millions de dollars de budget, entièrement financé par des dons). Tous les autres sont des bénévoles; certains y passent une bonne partie de leur temps (on a la trace de tout ce qui est fait et par qui, dans l’historique du contenu des articles et de ce qu’il y a autour). Certains sont de grands professionnels dans leur partie.

Il y a un rien d’autocélébration dans les réunions plénières du matin (ici le troisième et dernier jour, la directrice opérationnelle de la fondation, Sue Gardner). Mais on est là pour ça, aussi.

Ici nous sommes dans le foyer de l’auditorium, à la surface. Les maîtres de l’endroit sont les volontaires de l’organisation, qui veillent à ce que tout se passe bien. Il y en a un avec chaque conférencier, qui veille à lui épargner les mystères de l’équipement audio-visuel des salles.

Quand je suis arrivé pour retirer mon badge, mon nom avait été égaré. J’ai donc été inscrit sur ma bonne mine et une copie de l’email de confirmation d’inscription. Les jeunes gens en T’shirt bleu sont gentils et efficaces.

Ils ont eu droit eux aussi à leur célébration dans la séance de clôture.

Je regarde par dessus l’épaule d’un connecté (il y a un Wifi à haute capacité sur tout le campus). Il a un smartphone posé sur son pied gauche (à droite) et est en train de participer à un forum de debuggers,  ceux qui s’occupent à corriger les programmes qui font tourner le site (tous bénévoles, sauf quelques salariés de la Fondation, qui coordonnent). En même temps, il écoute l’orateur. Ils sont nombreux comme ça.

A l’heure de midi, les programmeurs ne s’arrêtent pas. Ceux-ci sont réunis autour du Visual Editor, le nouveau système pour écrire et modifier les articles, ce qui devrait être moins intimidant que le traitement de texte actuel (regardez mais ne touchez pas, ensuite cliquez sur Article en haut à gauche pour voir normalement. )

Il y a tellement de conférences, de rencontres, d’ateliers, et de sujets traités qu’il faudrait être une douzaine pour tout suivre. Voir le programme. Quelques uns que j’ai suivis:

Conférence de Charles Mok, membre du conseil législatif de Hong Kong au titre de sa profession d’informaticien. Il nous parle de l’Internet chinois. Les Chinois connectés sont 591 millions, soit 21,8% de la population mondiale de connectés. Le monde est peuplé de 2.7 milliards de connectés, 40% de la population mondiale.

Un pays, deux systèmes. Voici les sept sujets dont il est officiellement interdit de parler sur l’internet de Chine continentale, non pas que ceux qui essaient soient punis, sauf s’ils insistent trop, mais tout est effacé. Là où on ne peut pas effacer (par exemple les grands sites de blogs occidentaux), le site étranger est interdit. J’apprends que les systèmes de contournement sont tolérés, à condition d’être compliqués et chers, et donc pas à la portée de tout le monde. Wikipedia a été interdit parce que le gouvernement ne peut pas faire effacer, et risque de l’être de nouveau si l’interdiction de publier autrement que sous son vrai nom est appliquée.

A Hongkong, on est encore plus connecté que sur le continent (2.29 téléphones mobiles par personne), et on peut tout voir et tout publier, pour l’instant (c’est donc mieux qu’en France, où la liste des choses à dire qui sont punies par la loi est longue, et où pas mal de sites sont interdits, mais sur le papier des juges seulement). Mais il y a des inquiétudes; le gouvernement local n’aime pas qu’on se moque de ses grands hommes. Et la politique du gouvernement chinois, qui possède Hong Kong, peut changer.

Autre grand sujet: l’Afrique. Cette drôle de mappemonde représente la quantité de publications universitaires (academic knowledge) par pays et par continent. La surface indique le nombre, la couleur le nombre comparé à la population. L’Afrique est le petit carré bleu pâle en bas au milieu, et encore l’Afrique du Sud en fait les trois quarts.

Quantité d’informations entrées par des contributeurs dans Wikipedia, par pays. L’altitude donne le nombre.

Donc, alors qu’aux USA et en Europe de l’Ouest Wikipedia a peut-être fait le plein de contributeurs (leur nombre n’augmente plus), et que tout le monde consulte les articles, l’avenir est en Afrique, et dans les pays pas encore riches en général. Et les permanents de la Fondation, dont le succès personnel dépend de la croissance de leur grande affaire, sont en train d’agir comme une organisation de développement (en français ONG). Première idée: organiser des formations, enseigner et persuader ceux qui en sont capables pour qu’ils deviennent contributeurs. J’ai raté la conférence sur ce qui est en cours dans les écoles du Mali. On peut lire l’exposé en PDF.  (pays francophone, la conférencière est une universitaire française, c’est quand même en anglais; il faut que les autres entendent).

Deuxième idée: rendre l’accès au contenu de Wikipedia facile et pas cher. En Afrique, le nombre de gens qui ont un ordinateur (avec une prise de courant et un branchement à Internet) est assez limité. Mais tout le monde a un téléphone portable. Un collégien qui étudie dans une école sans bibliothèque trouvera ce dont il a besoin sur Wikipedia. Sauf qu’il devra prendre un abonnement « données » pour voir quelque chose sur son petit écran, et que c’est cher. L’opération Wikipedia Zéro veut persuader les compagnies de téléphone d’autoriser un accès gratuit à une version économique de l’affichage des articles (pas d’images, pas de jolie mise en page). Et ça marche: le vert indique les pays déjà branchés, le jaune ceux où c’est en cours. Le plus gros succès est la Russie.

Il y a un autre sujet qui inquiète la Fondation, et les contributeurs militants: Wikipedia est un champ de bataille entre les anciens, qui savent comment ça marche, et les nouveaux, qui ont un savoir à partager mais ne connaissent pas le mécanismes. Or ce sont les anciens qui élisent les administrateurs, ceux qui jugent et suppriment les articles. Un exemple qui m’a été raconté par la « victime »: C’est le spécialiste en langue française du Classique des Trois Caractères, le catéchisme confucéen, vieux de 800 ans, que tous les petits Chinois connaissent, même aujourd’hui. Il a donc écrit un article. Quelques heures après, l’article était supprimé, parce qu’il était recopié sur un livre (celui que l’auteur avait publié). Il n’a pas réessayé. Donc l’orateur en photo s’appelle Dariusz Jemielniak, il est Polonais comme son nom l’indique (le Wikipedia polonais a plus d’un million d’articles), est sociologue, et étudie le phénomène.

Les gens pas d’accord entre eux récrivent les articles à leur goût jusqu’à l’accablement complet. Voir le Suaire de Turin. Il y a aussi la domination des anglo-saxons et de leur pensée. Un article sur une école aux Philippines a des chances d’être supprimée par un Américain qui doute même de son existence. En langue française c’est la France. Les Québécois se sont organisés pour résister. Un jour j’ai négocié la remise en place d’une célébrité de La Réunion; « pas assez connue » avait décrété un administrateur parisien. Dariusz Jemielniak écrit un livre sur tout ça, qui paraîtra l’an prochain.

Il y a encore 36 choses dont je pourrais parler, mais je n’ai pas vu et la vie est courte. Les gens très studieux pourront se brancher sur la collection des exposés en images de Wikimedia Commons.

Quelqu’un me rappelle que je dois parler du plus gros sujet nouveau de l’année, Wikidata. Oui, j’ai entendu et j’ai suivi plusieurs conférences, mais c’est un peu abstrait à expliquer. Heureusement, un expert a écrit ce qu’il faut comprendre. Donc il s’agit de documenter chaque chose qui a un nom, sous son nom unique, et de les relier. Ainsi, au lieu des 51 Carla Bruni (une par article) que Wikipedia contient, il n’y en aura qu’une seule, reliée à 51 articles dans 51 langues, à ses chansons (lien « auteur », lien « interprète »), à ses amants répertoriés (s’ils ont des articles), à son mari actuel (lien « conjoint ») etc. Ainsi tout le savoir du monde, organisé par des millions d’experts bénévoles, pourra être exploré méthodiquement et pas au hasard de la lecture.

Voici la famille Bach (musiciens de père en fils) dessinée automatiquement (pour voir plus grand, cliquer dessus). Dans un genre plus modeste, cela adoucira le sort malheureux des scientifiques hongkongais, qui ont un nom en chinois, un nom transcrit dans la phonétique officielle de Hongkong (le cantonais), en pinyin de Chine continentale s’ils publient dans une revue internationale qui y fait attention, et n’importe quoi dans un journal ou une revue grand public; si bien qu’ils deviennent plusieurs ou disparaissent à la vue. Il y a bien des « autorités » qui répertorient par exemple les écrivains (la Bibliothèque Nationale et d’autres), mais elles ont des moyens limités quand il s’agit de corriger et d’ajuster (par exemple indiquer à un répertoire américain que Honoré de Balzac et Honore Balzac sont la même personne). Et donc, grâce à la toute-puissante mobilisation des contributeurs bénévoles …. [mettre ici la suite de l’envolée]. Ce sera moins drôle que d’ajouter une anecdote historique sur Félix Faure, mais bien plus sérieux.

Avec tout ça, plus les rencontres avec des gens que je ne connaissais pas, j’étais fatigué le soir, et je n’ai pas beaucoup profité de la vie à Hong Kong. Une autre fois, je reviendrai avec ma chère épouse pour faire du tourisme.

Le lundi, je suis allé à l’aéroport de Hong Kong, là où j’étais sûr de trouver un autobus pour me conduire à Dapeng (c’est en Chine, à droite sur la carte). C’est là que vit en ce moment un ami français qui m’avait invité, au bord de la mer et à la campagne.

Au point de passage, des affiches rappellent qu’il est interdit d’exporter plus de deux boîtes de lait en poudre pour bébé vers la Chine. Retour dans le monde normal.

Je suis presque arrivé. A la terrasse du restaurant, trois petit Chinois essaient de m’expliquer par quel chemin j’arriverai à la maison de mon ami. Ils connaissent le nom mais ne savent pas lire une carte. Je raconterai la suite une autre fois.